NB : "Amours de Papier" a fait partie de la Sélection pour le Prix Alexandrie 2008.

Bien que ce ne soit pas l'ouvrage de cet auteur que je préfère, je dois admettre que, dans "Amours de Papier", Pierre-Alain Gasse n'a pas hésité à prendre des risques en faisant démarrer ce recueil par la nouvelle au titre, explicite s'il en est, de "P'tit Zizi."

Des risques, oui car le lecteur se doute bien du thème abordé, thème qui, surtout chez les messieurs, déclenche en général une sensibilité que je n'hésiterai pas à qualifier, sans aucune intention d'insister lourdement sur la question, d'épidermique.

Pour le traiter, trois options sont possibles :

1) le lourd et le bien gras. Si l'on a déjà lu PAG, on sait que ce ne sera pas le cas. Mais le lecteur novice, lui, peut le penser et, du coup, zapper non seulement cette nouvelle mais aussi toutes les autres ;

2) le tragique. Avec PAG, c'est possible mais, là encore, il faut avoir déjà goûté de sa prose pour y songer. Simplement, l'option tragique risque là encore de faire fuir le lecteur ;

3) et enfin, la tendresse, saupoudrée d'humour. C'est l'option retenue d'ailleurs par le romancier et, pour peu qu'on ait déjà repéré cette tendance dans les autres recueil de PAG, pour peu aussi qu'on ait lu la préface de celui-ci, on le sait avant même d'avoir commencé sa lecture.

Toutefois, même en adoptant le registre de la tendresse et de l'humour, l'exercice restait délicat. Pierre-Alain Gasse s'en tire bien, plaçant d'emblée son narrateur dans la peau du "méchant" de l'histoire, celui qui, dans les vestiaires du gymnase, donne à Julien son surnom de "P'tit Zizi."

C'est à partir de là que se dévide le parcours de Julien, ponctué d'étapes qui ont nom inquiétude, angoisse et résignation. On le voit fouiller les encyclopédies - dont la Grande encyclopédie Marabout, une référence dans les années soixante - et détailler schémas et définitions avant de souffrir le martyr lorsque son pénis, peut-être désireux de prouver la normalité que lui dénie son possesseur, se met à manifester sa présence au moindre jupon qui passe et à tirer parti des slows qui piétinent dans les booms de l'époque. ...

On imagine sans peine le nombre de chausse-trappes qui guettent l'auteur d'une nouvelle pareille. Avec un naturel surprenant, Gasse évite déjà celle du vocabulaire et adopte un style net que seuls les hypocrites jugeront cru. Son propos n'étant pas de choquer à tous prix, il use aussi de sa nouvelle pour nous restituer une époque révolue, celle des années soixante avant et après mai 68, les silences et les moeurs guindées qui caractérisaient les parents issus des années d'après-guerre et l'exubérance brutale et joyeuse du début des seventies, le tout regardé par le petit bout de la lorgnette, dans une petite ville provinciale qui restera sans nom mais où nous avons tous vécu nous aussi à une certaine époque de notre jeunesse.

Mais le point fort de "P'tit Zizi", c'est le traitement que fait Gasse d'une angoisse masculine qui accable même les mâles les mieux pourvus. Angoisse obsessionnelle - n'ayons pas peur des mots, n'est-ce pas, Mesdames et Mademoiselle ? ;o) - qui, malheureusement, chez certains, débouche sur une sexualité bridée ou refusée. Avec finesse, l'auteur a imposé à son personnage une sorte de passage à vide où Julien refuse de consommer l'acte, par peur, toujours, du regard de la partenaire. Mais comme la nouvelle fonctionne sur le mode humour normal et non noir, on sait que ce ne sera que passager. Ce qui ne nous empêche évidemment pas de nous dire que tous les hommes n'ont pas la chance de s'en tirer à si bon compte que Julien.

En fait, si l'on approfondit l'analyse de "P'tit Zizi", on y lit une critique, mesurée mais sérieuse, de ce sexisme à rebours qui impose à l'homme de se conformer à certaines règles dès lors qu'il entre dans la puberté. S'il s'y refuse, il n'est pas un homme. Point-barre, il n'y a plus rien à dire. Peut-être Gasse n'a-t-il pas suffisamment appuyé sur la souffrance que cela induit mais cela ne correspondait pas, il est vrai, à l'option choisie pour traiter le sujet et nous ne sommes pas dans "J'étais Dora Suarez."

La chute de la nouvelle, gentiment moqueuse, vient peut-être aussi un peu trop abruptement mais ma remarque est subjective. Et c'est le dernier reproche que je me permettrai envers ce texte qui n'est pas le meilleur de son auteur, qui n'est pas non plus le meilleur d'"Amours de Papier" mais qui demeure représentative de la "griffe" PAG. ;o)