L'intérêt des "Mémoires d'Outre-Tombe" réside entre autres dans la vision privilégiée qu'eut leur rédacteur de la société pré et post-révolutionnaire. Ainsi, lorsque Chateaubriand se rend pour la première fois à Paris, il est reçu chez sa soeur, Mme de Rosanbo, qui avait épousé le fils du Président Le Pelletier de Rosanbo :

... ... A cette époque, tout était dérangé dans les esprits et dans les moeurs, symptôme d'une révolution prochaine. Les magistrats rougissaient de porter la robe et tournaient en moquerie la gravité de leurs pères. Les Lamoignon, les Molé, les Séguier, les d'Aguesseau voulaient combattre et ne voulaient plus juger. Les présidentes, cessant d'être de vénérables mères de famille, sortaient de leurs hôtels pour devenir femmes à brillantes aventures. Le prêtre, en chaire, évitait le nom de Jésus-Christ, et ne parlait plus que du législateur des chrétiens ; les ministres tombaient les uns sur les autres ; le pouvoir glissait de toutes les mains. Le suprême bon ton était d'être Américain à la ville, Anglais à la cour, Prussien à l'armée ; d'être tout, excepté Français. Ce que l'on faisait, ce que l'on disait n'était qu'une suite d'inconséquences. On prétendait garder des abbés commendataires* et l'on ne voulait point de religion ; nul ne pouvait être officier s'il n'était gentilhomme, et l'on déblatérait contre la noblesse ; on introduisait l'égalité dans les salons et les coups de bâton dans les camps.... ...

  • : les abbés commendataires n'avaient nul besoin de résider dans un paroisse ou une abbaye, pas même d'avoir reçu les ordres pour recevoir les bénéfices, en général très importants, de la charge ecclesiastique qu'ils avaient achetée ou qu'on leur avait donnée.

Mémoires d'Outre-Tombe- T. 1 - François-René de Chateaubriand - Le Livre de Poche.