Qui dit "vampire" en littérature pense immédiatement "Dracula." Pourtant, le roman-pavé de Bram Stoker, qui parut en 1899, appartient déjà au XXème siècle, qui ne cessera d'ailleurs de le célébrer et de le recélébrer au plus profond des salles obscures.

Très officiellement, le premier vampire connu de la littérature apparut en Allemagne, en 1748, sous la plume de Von Ossenfelder. Puis, une cinquantaine d'années plus tard, Goethe écrivit sa fameuse "Fiancée de Corinthe", qui conte l'histoire d'une jeune fille non morte s'abreuvant de sang pour survivre dans son tombeau.

Mais le premier "vrai" vampire à accéder à la notoriété fut lord Ruthwen, personnage que, dit-on, le secrétaire particulier et médecin de lord Byron, John-William Polidori, décalqua sur son employeur. Certains prétendirent même que l'ébauche du manuscrit était de la main de Byron en personne et que l'idée lui en était venue le soir où, en compagnie de Shelley et de sa femme, Mary, il prit le pari d'écrire un texte fantastique. De cette réunion qui eut bel et bien lieu, ne demeurent que le "Frankenstein" de Mary Shelley et "Le Vampire" de Polidori, qui assistait à l'entretien et qui se piqua au jeu. (Par la suite, Byron et Polidori se disputèrent âprement la paternité de l'ouvrage avant que le second ne se suicidât en 1821, en avalant de l'acide prussique.)

Le début de la nouvelle - qui parut en 1819 et fut immédiatement traduite en français - est fulgurant :

"Dans ce temps-là parut au milieu des dissipations d'un hiver à Londres, et parmi les nombreuses assemblées que la mode y réunit à cette époque, un lord plus remarquable encore par ses singularités que par son rang. Son oeil se promenait sur la gaieté générale répandue autour de lui, avec cette indifférence qui dénotait que la partager n'était pas en son pouvoir. On eût dit que le sourire gracieux de la beauté savait seul attirer son attention, et encore n'était-ce que pour le détruire sur ces lèvres charmantes, par un regard, et glacer d'un effroi secret un coeur où, jusqu'alors, l'idée du plaisir avait régné uniquement. Celles qui éprouvaient cette pénible sensation de respect ne pouvaient se rendre compte d'où elle provenait. Quelques unes cependant l'attribuaient à son oeil, d'un gris mort qui, lorsqu'il se fixait sur les traits d'une personne, semblait ne pas pénétrer au fond des replis du coeur, mais plutôt paraissait tomber sur la joue comme un rayon de plomb qui pesait sur la peau sans pouvoir la traverser. (...)

Sa figure était régulièrement belle, nonobstant le teint sépulcral qui régnait sur ses traits, et que jamais ne venait animer cette aimable rougeur, fruit de la modestie, ou de fortes émotions qu'engendrent les passions. (...) Mais quoiqu'il ne daignât pas même accorder un regard aux femmes perdues qu'il rencontrait journellement, la beauté ne lui était cependant pas indifférente ; et pourtant encore, quoiqu'il ne s'adressât jamais qu'à la femme vertueuse ou la fille innocente, il le faisait avec tant de mystère que peu de personnes même savaient qu'il parlât quelquefois au beau sexe. Sa langue avait un charme irrésistible : soit donc qu'il réussit à comprimer la crainte qu'inspirait son premier abord, soit à cause de son mépris apparent pour le vice, il était aussi recherché par ces femmes dont les vertus domestiques sont l'ornement de leur sexe, que par celles qui en font le déshonneur. (...)

Sous les ombres et les ors du Gothique qui hésite sur le seuil du Romantisme, se profilent déjà, comme on le voit, tous les attributs du Vampire à majuscule, celui qu'on retrouvera chez Stoker à la fin du siècle et que Christopher Lee a magnifiquement incarné à l'écran.

Avec Polidari, la sexualité du vampire s'affirme déjà aussi tournée vers les hommes (le jeune Aubrey) que vers les femmes (Ianthe mais aussi la soeur d'Aubrey). On peut y voir un rapport avec celle, très tourmentée, de lord Byron - lequel avait en outre sa soeur pour maîtresse - mais, si l'on se réfère à l'historique du vampire au travers les âges, on constate que pour lui (ou elle), le plus souvent, tout sang est bon à boire. Il y a bien entendu des exceptions, comme la fameuse Erzébeth Bathory chez qui finit par dominer le lesbianisme.

Sur le Dr Polidori, voir ici.

Le Vampire - John-William Polidori - Nouvelles Histoires de Vampires - Ornella Volta & Valerio Riva - Livre de Poche.