Der Zauberberg Traduction : Maurice Betz

Si l'on fait abstraction des longueurs de ce livre, longueurs essentiellement consacrées aux discussions philosophiques entre Settembrini, le laïc anti-clérical, disciple des Lumières, et Naphta, juif si bien converti au catholicisme qu'il en est devenu jésuite,

Si l'on fait aussi abstraction d'un certain style plus proche du XIXème siècle que du nôtre,

On ne peut nier que "La Montagne magique" est un grand livre.

Tout commence par une visite que Hans Castorp, jeune Hambourgeois fortuné qui se destine au métier d'ingénieur, rend à Davos, en Suisse, à son cousin, Joachim Ziemssen, retenu au sanatorium par sa tuberculose et les conseils du Dr Behrens, lequel gère l'établissement avec le Dr Krokovski.

Parti pour n'y rester que trois semaines, le temps d'égayer un peu Joachim qui n'accepte sa cure que dans l'espoir de pouvoir rejoindre au plus tôt son régiment, Hans Castorp va prendre si bien goût à la vie minutée, paisible, protégée que l'on mène là-haut qu'il finira par y demeurer 7 ans en s'appuyant sur une "tâche humide" révélée par la radio de ses poumons.

En dépit des apparences, "La Montagne magique" est un véritable roman initiatique. Si Castorp arrive insoucient à Davos, il n'en repartira que pour aller au combat dans les tranchées de la Grande guerre. Entretemps, il aura singulièrement élargi sa vision d'esprit, surtout grâce à M. Settembrini, l'un des personnages les plus puissants de l'ouvrage, qui lui servira plus ou moins sur place de "père de substitution" - Castorp est orphelin et a été élevé par son grand-père, puis par son oncle.

Il sera aussi tombé amoureux de Mme Chauchat, étrange et féline représentante du sexe faible qui met à profit la maladie dont elle se sait atteinte pour mener la vie qu'elle entend loin de son mari. C'est elle qui ramènera au sanatorium le riche Hollandais Peeperkorn dont le suicide constitue l'un des sommets du roman.

Enfin et surtout, il aura appréhendé la Mort. Dès le départ, on lui apprend que l'ancien occupant de la chambre qui lui a été réservée vient de décéder. Puis, il comprend que, quatre fois par jour, au cours des somptueux repas pris par les pensionnaires, la Mort vient partager leur pain, invisible et patiente. Parfois, un pensionnaire semble s'effacer peu à peu jusqu'au jour où il ne vient plus s'asseoir à la table : la tuberculose l'a emportée.

__De temps à autre, c'est vrai, un pensionnaire s'en va, réputé guéri. Hélas ! quelques mois plus tard, on le voit réapparaître, pour une nouvelle cure. Tel sera le cas de Joachim qui, parti tout joyeux pour participer aux grandes manoeuvres et ceci en dépit de l'avis du Dr Behrens, reviendra mourir au sanatorium "en soldat et en brave" ainsi que le dit Mann. La lente désagrégation du malheureux et sa fin comptent à mon sens parmi les moments les plus difficilement oubliables de l'ouvrage.__

Evidemment, le roman est un "pavé" : 818 pages au Livre de Poche et beaucoup s'ennuieront aux digressions philosophiques de Hans Castorp et de Settembrini, puis de Settembrini, Naphta et Hans Castorp. Il n'en reste pas moins vrai que la richesse de "La Montage magique" est telle qu'on ne peut l'abandonner dans un état d'esprit similaire à celui dans lequel on l'avait commencé. Quelque part, dès lors qu'il décide de le lire jusqu'au bout. le lecteur s'embarque lui aussi dans sa propre quête.

N'est-ce pas là, je vous le demande, la marque d'un grand roman - et d'un grand romancier ? ;o)