On a beaucoup parlé de l'art des portraits que possédait Saint-Simon. Il faut bien dire que c'est toujours dans cet exercice qu'il nous paraît le plus moderne, non peut-être par le vocabulaire utilisé qui reste très XVIIème, mais par la façon dont il s'en sert. Voyez ici le portrait de la marquise de Castries, devenue dame d'atour de la duchesse de Chartres par l'entremise du duc du Maine:

"... ... Mme de Castries était un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite, mais bien prise, et aurait passé dans un médiocre anneau : ni derrière, ni gorge, ni menton ; fort laide, l'air toujours en peine et étonné ; avec cela une physionomie qui éclatait d'esprit et qui tenait encore plus parole.

Elle savait tout : histoire, philosophie, mathématiques, langues savantes, et jamais il ne paraissait qu'elle sût mieux que parler français ; mais son parler avait une justesse, une énergie, une éloquence, une grâce jusque dans les choses les plus communes, avec ce tour unique qui n'est propre qu'aux Mortemarts. ( * ) Aimable, amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec la dernière finesse, sans la vouloir être, et assénant aussi les ridicules à ne les jamais oublier ; glorieuse de mille choses avec un ton plaintif qui emportait la pièce ; cruellement méchante quand il lui plaisait, et fort bonne amie, polie, gracieuse, obligeante en général ; sans aucune galanterie, mais délicate sur l'esprit et amoureuse de l'esprit où elle le trouvait à son gré ; avec cela, un talent de raconter qui charmait, et, quand elle voulait faire un roman sur le champ, une source de production, de variété et d'agrément qui étonnait.

Avec sa gloire, elle se croyait bien mariée par l'amitié qu'elle eut pour son mari ; elle l'étendit sur tout ce qui lui appartenait, et elle était aussi glorieuse pour lui que pour elle. Elle en recevait les réciproques et toutes sortes d'égards et de respect. ... ..."

( * ) : Mme de Castries était née Marie-Elisabeth de Rochechouart-Vivonne. Elle était fille de l'un des frères de Mme de Montespan et, par conséquent, cousigne germaine de Melle de Blois, qui deviendra duchesse de Chartres, puis d'Orléans/b. Elle était donc apparentée aux Mortemart. Or, les Mortemart étaient célèbres pour leur esprit fin, mordant et souvent cruel.

PS : je n'ai malheureusement découvert aucun portrait en pied de Mme de Castries. Si parmi vous, lecteurs, certains connaissent l'adresse d'un site susceptible de réparer cette carence, merci de me l'indiquer. ;o)