13 août 2006.

Avec tout cela, j'ai oublié de te raconter un incident survenu l'autre jour.

Comme tu le sais, attendu que notre mère fait une vie d'Enfer à David si je ne lui dispense pas mon coup de fil quotidien, j'ai repris cette sinistre routine. A ceci près que, malgré moi, j'expédie désormais la chose très rapidement. Plus rapide que Marie quand c'est elle qui s'y colle, par affection pour moi.

Questions simples, voire simplettes : - Tu vas bien ? - Il a plu ? - Tu as soupé ? - Qu'as-tu mangé ce soir ? ... etc ...

Or donc, la semaine dernière, elle me répondit, sur un ton méprisant qui me surprit :

- "David a fait de la ratatouille.

- Oh ! Cela a dû te plaire," dis-je, en toute innocence. "Tu as toujours aimé ça."

Silence banquisal au téléphone auquel succède cette affirmation péremptoire :

- "Moi, aimer la ratatouille ? Jamais !"

Ce fut, évidemment, plus fort que moi. Disons que le "Moi" passa alors en pilotage automatique et que le "Ca", qui n'en revenait pas de pareille aubaine, répliqua, vipérin :

- "Ah ? Dans ces conditions, pourrais-tu m'expliquer pourquoi tu en mangeais avec notre père et tu laissais celui-ci nous forcer à en manger ?"

Silence de plus en plus polaire au bout du fil. Puis :

- "Moi ? Je n'ai jamais fait ça !"

Oh ! Nom de Dieu ! Là, elle dépassait les bornes ! J'ai explosé.

- "Comment peux-tu mentir avec un tel aplomb ? Je te revois dans la cuisine de la rue Baratier, en train de peler tes oignons, ton ail, et de mêler tout ça avec les aubergines, les courgettes et la purée de tomates fraîches sans oublier ces infâmes poivrons découpés que notre père adorait et qui empuantissaient tout le plat !!!! "Avec beaucoup d'huile d'olive, hein, Arthur ?" ajoutais-tu, "c'est si bon, mon trésor !" Parce que c'est comme ça que tu l'appelais, ce monstre ! ... Comment oses-tu ? ... Comment peux-tu t'imaginer un seul instant que j'ai oublié ? que j'oublierai jamais ? ..."

Je l'avoue non sans un certain plaisir, cela ne me gênait absolument pas de lui mettre les points sur les "i". Il ne restait donc à ma mère qu'à se livrer à son habituelle pirouette :

- "Je ne me rappelle rien de ce que tu me dis là. Puisque je vois que tu es de mauvaise humeur, je vais te laisser et te passer David ..."

Comme c'est commode, n'est-ce pas ? ...

Comme c'est lâche, aussi ...

La ratatouille, niçoise ou pas, cette horreur rougeâtre, je la vomis encore. Rien que l'odeur me donne la nausée et il m'arrive de trembler de dégoût quand j'en vois un plat chez des amis - je n'en fais jamais chez moi. __Et elle, notre mère, qui était là, à confectionner ce plat qu'aimait tant son époux, tout en sachant pertinemment que cela annonçait une nouvelle scène de torture pour moi à l'heure du repas puisque je devais manger tout, jusqu'à la dernière bouchée ...

Elle, qui ose me dire aujourd'hui : "Je ne me rappelle rien ..."__

... parce qu'elle n'a tout de même pas le cran de me répondre que j'invente tant elle est sûre que, arthrose ou pas, je grimperais dans le premier train pour éclaircir définitivement cette histoire de ratatouille si jamais elle avait l'audace de se foutre ainsi de moi.

N'empêche, parfois tu sais, elle doit trouver rudement pratique que tu sois mort et que, par conséquent, tu ne puisses plus témoigner ...