7 juillet 2006.

Aujourd'hui, nous avons dû nous rendre à l'Inspection académique pour faire viser une demande d'AES relative à Flavien. Déjà, la première chose que l'on constate à B° , ville où elle se tient, c'est que, si les panneaux abondent dans le Complexe administratif pour y désigner le Centre fiscal (son plus proche voisin), il n'y a en revanche rien du tout pour la signaler, elle. Bref, tout profane perd facilement dix minutes à s'y retrouver au sein de ce dédale de béton des plus antipathiques.

Arrivé au service concerné, un vigile fonctionnaire noir nous fait remarquer que nous sommes en retard. Nous nous énervons un peu, forcément. Du coup, on nous fait passer dans une petite salle d'attente où la psychologue fontionnaire qui devait nous rencontrer vient nous chercher un peu plus tard.

- "Mais c'était à 15 heures !" susurre-t-elle.

Cependant, elle nous invite à nous asseoir dans son bureau et commence les gribouillis d'usage : nom de l'enfant, âge, etc ... Il est clair qu'elle ne connaît rien au dossier posé à côté d'elle - à moins qu'elle ne pose ces questions pour chercher à nous déstabiliser.

Dans ce genre de circonstances, je ne sais trop pourquoi parce que je vous promets que je suis la femme la plus aimable et la plus conciliante qui soit (sauf devant les imbéciles et les arrogants, je l'admets mais après tout, c'est leur faute dans ce cas-là, non ? :o)), c'est toujours à moi qu'on finit par poser ce que j'appelle les questions orientées.

Ainsi, après avoir pris quelques renseignements sur la façon de se nourrir de notre fils, cette dame (ou plutôt demoiselle, car elle était très jeune) demande, les yeux braqués sur moi :

- "Il grignote tout le temps, c'est donc qu'il a faim ?"

Rassurez-vous, amis lecteurs, je ne lui ai pas répondu, à cette filiforme : "Ah ! bon ! Parce que vous croyez que les gens qui grignotent tout le temps, c'est parce qu'ils ont vraiment faim ? Et les anorexiques, je suppose que vous vous imaginez qu'ils refusent la nourriture et se font vomir parce qu'ils ont faim ? ..." Je lui ai fait remarquer, assez sobrement, que le pain n'est pas un aliment très nourrissant lorsqu'on estime (comme c'est le cas pour Flavien) que c'est là le seul aliment abordable et sensé.

- "Vous ne lui faites pas de bons petits plats, alors ?"

Là, j'ai vraiment eu envie de lui faire remarquer que, puisqu'elle était soi-disant psychologue, elle devait quand même avoir quelques notions de l'autisme et que les troubles alimentaires qui accompagnent ce genre de maladie ne se soignent pas - ce serait trop beau - à coup de bons petits plats présentés sous le nez du patient. Les délices de Lucullus laisseraient de marbre un autiste. On n'y peut rien même si l'on n'y comprend rien.

Mais, avec un héroïsme dont je ne suis pas encore revenue, je réponds simplement que Flavien adore les plats en sauce que je cuisine ... pourvu qu'il ne puisse y manger que la sauce, justement.

Ensuite - ou avant, je ne sais plus - la demoiselle me dit encore : "Quels problèmes de santé avez-vous donc eus pour qu'ils rejaillissent ainsi sur votre fils ?" Et elle me fixait avec méfiance, convaincue que je n'avais pas la tête d'une femme capable de tomber malade. Ce qui m'a fait penser que, la prochaine fois que je rechute sur le plan pulmonaire, je vais réclamer un certificat médical. Pour l'arthrose et la lombo-sciatique, je suis encore dans les temps : je vais y songer.

Enfin - cerise sur le gâteau - cette réplique digne de l'un de nos politiciens : "Vous avez cessé de travailler pour vous occuper de votre fils. Mais depuis qu'il va en primaire, vous n'avez pas pu retrouver du travail ?" La chose la dépassait. Elle, elle avait passé un concours et elle s'était fait son petit trou, sans histoire, sans imagination, sur les conseils de sa Môman et de son Pôpa, probablement fonctionnaires eux aussi. Elle avait sa petite vie, son petit salaire, ses petites peurs, ses petites joies en attendant le petit mari qui la trompera avec la petite maîtresse, le petit divorce, le petit remariage et les petits enfants qui n'auront que de tout petits problèmes - que leur mère niera jusqu'au bout même quand ils ressembleront à ces géants qu'on croise dans les cauchemars.

De plus en plus polie mais de plus en plus froide, je lui ai rappelé 1) que la quarantaine n'est peut-être pas le meilleur âge pour trouver ou retrouver un emploi et 2) que Flavien avait besoin de moi après l'école. A ce moment-là, une vague lueur de compréhension a étincelé dans son regard : oui, les horaires, tous ces horaires épouvantables qui sont imposés à ceux qui n'ont pas la chance d'être fonctionnaires, de cela, elle avait tout de même entendu parler (Pôpa et Môman, sans doute).

Enfin, elle a mis fin à l'entretien en prenant photocopies des rapports de l'hôpital St Vincent de Paul qui avait, le premier, posé le diagnostic d'un trouble autistique. Elle tenait les courriers du Pr P* du bout des doigts, avec embarras et un vague mépris. Un médecin qui n'est pas un médecin du travail ou un médecin scolaire, forcément, ce n'est pas un fonctionnaire. Partant, ses paroles devraient être mises en doute si seulement ... si seulement il n'était pas une autorité en matière de pédo-psychiatrie, bien sûr.

__Et nous l'avons laissée, avec son jean taille basse, son maillot très ajusté, son petit sourire pincé, ses a priori de médiocre congénitale (aucun traitement médical prévu pour ce genre de maladie), ses petits soucis, ses petites préoccupations, ses petits commérages entre commères ... et ses grandes vacances de fonctionnaire.

Pauvre fille, finalement. ;o)__