Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Littérature européenne non-anglophone.

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samedi, septembre 29 2007

Smilla & l'Amour de la Neige - Peter Høeg.

Froken Smillas Fornemmelse For Sne Traduction : Alain Gnaedig & Martine Selvadjian

Moi qui suis née sur le littoral atlantique, et comme tous mes compatriotes, je déteste la neige qui n'est à mes yeux qu'une bouillasse infâme, toujours prête à vous faire déraper sournoisement au détour d'un trottoir sur quelque plaque de verglas habilement dissimulée. Pourtant, la Scandinavie m'a toujours fait rêver et avec "Smilla ...", Peter Høeg a accompli un miracle que je croyais impossible : me faire aimer la neige.

Pourtant, au départ, c'est l'intrigue qui m'avait attirée : quelques jours avant Noël, Esajas, un petit garçon de six ans, se tue accidentellement en tombant du toit de l'immeuble où il habite avec sa mère, une alcoolique. Une voisine, Smilla, qui avait lié des liens d'amitié avec lui, décide de faire rouvrir une enquête vite close : elle sait en effet que l'enfant, qui souffrait d'un vertige pathologique, ne serait jamais monté sur le toit de son plein gré. De plus, Smilla, dont la mère était une Inuit, connaît suffisamment la neige et l'art de la chasse sur la banquise pour ne pas lire aisément l'anormalité dans les traces laissées par Esajas sur le toit ...

A partir de là, se développe une envoûtante et complexe histoire qui mêle avec une rare efficacité les critiques sur la façon dont le Danemark mena la colonisation du Groenland, l'analyse des difficultés qui existent à se tenir entre deux cultures (la danoise et l'inuit), l'éternel problème des relations entre les sexes et bien d'autres choses encore. Ce livre est aussi un hymne authentique à la Neige, non pas celle, immuable, froide, désespérante, qui entoure la "Reine des Neiges" d'Andersen, mais la vraie neige, celle qui vit, qui bouge, qui parle même.

Plus de 500 pages de bonheur, ça ne se refuse pas. C'est paru dans la collection "Points" - en collection de poche, donc. Si vous connaissez la Scandinavie ou si elle vous attire, si vous aimez également les livres qui vont un peu plus loin que leur quatrième de couverture, vous aimerez "Smilla ..." Et si, pour vous, la Scandinavie est une région froide et sans âme, essayez tout de même de lire ce livre qui pourrait bien vous faire changer d'avis. ;o)

mercredi, septembre 19 2007

Kaputt - Curzio Malaparte.

Kaputt Traduction : Juliette Bertrand

Mort à 59 ans, en 1957, Malaparte n'a connu ni Fellini, ni Francis Ford Coppola. Pourtant, quand on lit cet incroyable voyage au coeur de la Seconde guerre mondiale effectué par un Italien d'origine allemande, c'est bien à ces deux cinéastes que l'on songe - et à tout ce qu'ils auraient pu en tirer.

Il y a là-dedans le baroque flamboyant d'un Fellini, son onirisme aussi et la cruauté aveugle et incroyablement sereine dont Coppola a tissé son "Apocalypse Now." "Apocalyptique" est d'ailleurs un adjectif qui convient à merveille à "Kaputt", surtout si on lui adjoint celui de "souterrain."

Roman ou chronique ? On suspecte bien Malaparte d'avoir peaufiné certains échanges, d'avoir ciselé nombre de détails. Mais le fond n'en sonne pas moins authentique, de cette authenticité qui est le propre du témoin oculaire.

Scindé en six parties, chacune placée sous le patronage d'une espèce animale : "Les chevaux - Les rats - Les chiens - Les oiseaux - Les rennes - Les mouches", "Kaputt" regorge d'images-choc peintes d'un pinceau magistral et auprès desquelles les photos les plus réalistes d'une certaine presse actuelle n'ont plus qu'à retourner dans le néant d'où elles n'auraient jamais dû sortir.

Des chevaux russes que le gel brutal d'un lac a emprisonnés dans la Mort alors qu'ils le traversaient ; l'extraordinaire portrait de Hans Franck, gouverneur général de Pologne, et de son épouse, recevant Malaparte à souper ; le cruel destin des chiens russes porteurs de mines et lancés à l'assaut des panzers allemands ; cette petite merveille de construction qu'est le chapitre nommé "Le Panier d'Huîtres" et qui révèle, sous l'humanité apparente de leur chef, l'impitoyable violence des oustachis croates ; le choc produit par la "chute" de la pêche au saumon du général von Heunert et le sens allégorique recelé par toute l'histoire ; la Cour des Miracles napolitaine qui se met en marche sous les bombardements dans l'avant-dernier chapitre ...

... et, à côté de cela, le récit du "Fusil fou", tout en tendresse et en ironie, qui parvient à faire sourire le lecteur, ou encore - mais là, on ne sourit pas, on ne peut que laisser monter le désespoir - le destin des jeunes Juives de Soroca et, bien sûr, pour les amateurs, le portrait au vitriol de la "cour" du comte Ciano, à Rome, le tout éclairé ou plutôt aveuglé par la glaciale lumière des latitudes polaires avant de sombrer dans celle, grouillante et sauvage, de Naples détruit, rasé, abruti sous les bombes ...

... font de "Kaputt" un livre unique, exceptionnel, d'une puissance d'évocation rarement égalée, qui empoigne le lecteur et ne le lâche pas d'une seule page, privilège littéraire réservé aux grands écrivains. Après l'avoir lu, on ne se demande pas ce que Malaparte a pu arranger à sa sauce, on reste le souffle coupé, dans la certitude absolue d'avoir plongé dans le Temps à ses côtés et d'avoir réellement vécu en sa compagnie l'immense, cruelle et cependant allègre tragédie de "Kaputt."

jeudi, août 16 2007

La Montagne Magique - Thomas Mann (Allemagne).

Der Zauberberg Traduction : Maurice Betz

Si l'on fait abstraction des longueurs de ce livre, longueurs essentiellement consacrées aux discussions philosophiques entre Settembrini, le laïc anti-clérical, disciple des Lumières, et Naphta, juif si bien converti au catholicisme qu'il en est devenu jésuite,

Si l'on fait aussi abstraction d'un certain style plus proche du XIXème siècle que du nôtre,

On ne peut nier que "La Montagne magique" est un grand livre.

Tout commence par une visite que Hans Castorp, jeune Hambourgeois fortuné qui se destine au métier d'ingénieur, rend à Davos, en Suisse, à son cousin, Joachim Ziemssen, retenu au sanatorium par sa tuberculose et les conseils du Dr Behrens, lequel gère l'établissement avec le Dr Krokovski.

Parti pour n'y rester que trois semaines, le temps d'égayer un peu Joachim qui n'accepte sa cure que dans l'espoir de pouvoir rejoindre au plus tôt son régiment, Hans Castorp va prendre si bien goût à la vie minutée, paisible, protégée que l'on mène là-haut qu'il finira par y demeurer 7 ans en s'appuyant sur une "tâche humide" révélée par la radio de ses poumons.

En dépit des apparences, "La Montagne magique" est un véritable roman initiatique. Si Castorp arrive insoucient à Davos, il n'en repartira que pour aller au combat dans les tranchées de la Grande guerre. Entretemps, il aura singulièrement élargi sa vision d'esprit, surtout grâce à M. Settembrini, l'un des personnages les plus puissants de l'ouvrage, qui lui servira plus ou moins sur place de "père de substitution" - Castorp est orphelin et a été élevé par son grand-père, puis par son oncle.

Il sera aussi tombé amoureux de Mme Chauchat, étrange et féline représentante du sexe faible qui met à profit la maladie dont elle se sait atteinte pour mener la vie qu'elle entend loin de son mari. C'est elle qui ramènera au sanatorium le riche Hollandais Peeperkorn dont le suicide constitue l'un des sommets du roman.

Enfin et surtout, il aura appréhendé la Mort. Dès le départ, on lui apprend que l'ancien occupant de la chambre qui lui a été réservée vient de décéder. Puis, il comprend que, quatre fois par jour, au cours des somptueux repas pris par les pensionnaires, la Mort vient partager leur pain, invisible et patiente. Parfois, un pensionnaire semble s'effacer peu à peu jusqu'au jour où il ne vient plus s'asseoir à la table : la tuberculose l'a emportée.

__De temps à autre, c'est vrai, un pensionnaire s'en va, réputé guéri. Hélas ! quelques mois plus tard, on le voit réapparaître, pour une nouvelle cure. Tel sera le cas de Joachim qui, parti tout joyeux pour participer aux grandes manoeuvres et ceci en dépit de l'avis du Dr Behrens, reviendra mourir au sanatorium "en soldat et en brave" ainsi que le dit Mann. La lente désagrégation du malheureux et sa fin comptent à mon sens parmi les moments les plus difficilement oubliables de l'ouvrage.__

Evidemment, le roman est un "pavé" : 818 pages au Livre de Poche et beaucoup s'ennuieront aux digressions philosophiques de Hans Castorp et de Settembrini, puis de Settembrini, Naphta et Hans Castorp. Il n'en reste pas moins vrai que la richesse de "La Montage magique" est telle qu'on ne peut l'abandonner dans un état d'esprit similaire à celui dans lequel on l'avait commencé. Quelque part, dès lors qu'il décide de le lire jusqu'au bout. le lecteur s'embarque lui aussi dans sa propre quête.

N'est-ce pas là, je vous le demande, la marque d'un grand roman - et d'un grand romancier ? ;o)

mercredi, août 15 2007

Les Métamorphoses - Ovide.

Metamorphosis Traduction : Georges Lafaye

"Les Métamorphoses" est évidemment écrit en vers latins et les quinze livres qu'il recèle constituent en fait un long poème dont certains d'entre nous ont évidemment étudié des passages au collège et au lycée.

La traduction le transforme en prose mais attention, pas n'importe quelle prose ! Bien sûr, il y a toujours matière à discuter sur les traductions - surtout latines, ajouterai-je. Mais celle de Georges Lafaye pour Folio Classique me convient quant à moi tout à fait.

L'argument du livre-poème tient dans son titre : les métamorphoses que, pour les punir ou les sauver, les déesses et dieux de l'Olympe font subir à certains mortels. Derrière, se profilent la création du monde et les siècles qu'il a traversés jusqu'à Octave-Auguste, fils adoptif de César dont il vengea d'ailleurs la mort. C'est aussi une ode aux grands mythes grecs et, par la filiation avec Enée, à la fondation de Rome.

"Oh ! Que ce doit être barbant à lire !" diront certains, pas encore dégagés sans doute de leur passé scolaire plus ou moins douloureux.

Eh ! bien ! non, "Les Métamorphoses", c'est un ouvrage si passionnant que, du coup, le lecteur se voit tenté de se replonger dans la geste homérique et de renouer avec ce pan si vaste de la culture occidentale que trop de personnes veulent, de nos jours, oublier et ramener dans l'ombre.

En outre, il y a des passages proprement superbes comme - un parmi d'autres - le discours qu'Orphée adresse aux dieux des Enfers afin de les convaincre de lui rendre Eurydice :

" ... ... O divinités de ce monde souterrain où retombent toutes les créatures mortelles de notre espèce, s'il est possible, si vous permettez que, laissant là les détours d'un langage artificieux, je dise la vérité, je ne suis pas descendu en ces lieux pour voir le ténébreux Tartare, ni pour enchaîner, par ses trois gorges hérissées de serpents, le monstre qu'enfanta Méduse ; je suis venu chercher ici mon épouse ; une vipère, qu'elle avait foulée du pied, lui a injecté son venin et l'a fait périr à la fleur de l'âge. J'ai voulu pouvoir supporter mon malheur et je l'ai tenté, je ne le nierai pas ; l'Amour a triomphé. C'est un dieu bien connu dans les régions supérieures ; l'est-il de même ici ? Je ne sais ; pourtant je suppose qu'ici aussi, il a sa place et, si l'antique enlèvement dont on parle n'est pas une fable, vous aussi (Hadès et Perséphone), vous avez été unis par l'Amour. Par ces lieux pleins d'épouvante, par cet immense Chaos, par ce vaste et silencieux royaume, je vous en conjure, défaites la trame, trop tôt terminée du Destin d'Eurydice. Il n'est rien qui ne vous soit dû ; après une courte halte, un peu plus tôt, un peu plus tard, nous nous hâtons vers le même séjour. C'est ici que nous tendons tous ; ici est notre dernière demeure ; c'est vous qui régnez le plus longtemps sur le genre humain. Elle aussi quand, mûre pour la tombe, elle aura accompli une existence d'une juste mesure, elle sera soumise à vos lois ; je ne demande pas un don, mais un usufruit. Si les destins me refusent cette faveur pour mon épouse, je suis résolu à ne point revenir sur mes pas ; réjouissez-vous de nous voir succomber tous les deux. ... ..."

Voici deux sites sur Ovide et son oeuvre: l'un à Créteil, l'autre à Strasbourg.

Comme le mentionne sa biographie, le poète fut exilé par celui-là même qu'il avait célébré : Auguste, qui n'était pourtant pas irréprochable question moeurs, s'offusqua de "L'Art d'Aimer." Mais en dépit de tout, Ovide et ses vers ont survécu dans le coeur des hommes. Le poète romain l'avait-il pressenti quand il écrivait, pour le final de ses "Métamorphoses":

"Et maintenant, j'ai achevé un ouvrage que ne pourront détruire ni la colère de Jupiter, ni la flamme, ni le fer, ni le temps vorace. Que le jour fatal qui n'a de droits que sur mon corps mette, quand il voudra, un terme au cours incertain de ma vie : la plus noble partie de moi-même s'élancera, immortelle, au dessus de la haute région des astres et mon nom sera impérissable. Aussi loin que la puissance romaine s'étend sur la terre domptée, les peuples me liront et, désormais fameux, pendant toute la durée des siècles, s'il y a quelque vérité dans les pressentiments des poètes, je vivrai."

jeudi, juillet 12 2007

Les Buddenbrook- Thomas Mann (Allemagne).

Buddenbrooks Traduction : Geneviève Bianquis

Premier roman de Thomas Mann, "Les Buddenbrook" conte la splendeur et la décadence d'une famille de la bonne bourgeoisie hanséatique à compter de l'an de grâce 1839 - ou 1834, j'avoue que j'ai une doute :? - date à laquelle toute la famille vient de s'installer dans cette somptueuse maison qui se verra achetée à la fin de l'ouvrage par le fils de parvenus.

A cette époque, le chef de famille se nomme Johann Buddenbrook et tous les espoirs lui semblent permis. Il a quatre enfants : Thomas, dit Tom, Christian, Antonie dite Toni et Clara. Le titre de consul écherra d'ailleurs à Tom, qui reprendra aussi l'affaire familiale. Clara, la plus jeune, épousera un pasteur luthérien qui lui survivra et auquel elle lèguera sa part de la fortune familiale. Christian quant à lui ne fera pas grand chose de son existence et Toni ...

La souriante et fière Toni, pour qui le nom de Buddenbrook vaut titulature de prince, se mariera deux fois - et ses deux unions seront malheureuses. Son premier époux, Grünlich, ne prétend à sa main que dans l'espoir que la fortune qu'elle lui apporte fera patienter ses créanciers. Ce qui sera d'ailleurs le cas pendant huit ans. Puis les choses suivront leur cours et Johann Buddenbrook viendra lui-même chercher sa fille et sa petite-fille pour les ramener chez lui. Il laissera son gendre à sa faillite et, vu la personnalité détestable de celui-ci, le lecteur ne peut lui donner tort.

Le remariage de Toni avec le Munichois Permaneder, homme brave mais on ne peut plus rustre, ne lui apportera pas plus de joies. Comprenant un soir qu'il la trompe avec leur domestique, elle fait ses malles et repart dare-dare pour Lübeck, ville natale des Buddenbrook.

Telles sont quelques uns des événements majeurs de ce roman qui se lira facilement si l'on aime à la fois les grandes histoires familiales et les romans-pavés. Mann n'y atteint pas - première oeuvre oblige - à la perfection qui sera la sienne dans "La Montagne Magique" ou dans "La Mort à Venise" mais ses personnages, surtout Johann Buddenbrook et ses deux enfants, Tom et Toni, ont déjà une carrure qui annonce celle d'un Hans Kastorp.

Ajoutons que le roman restitue les péripéties sociales - la révolution de 1848 et l'émergence de la Prusse, entre autres - qui marquèrent le XIXème siècle de l'autre côté du Rhin. ;o)

mercredi, juillet 11 2007

La Douce Empoisonneuse - Arto Paasilinna. (Finlande)

Suloinen myrkynkeittäjä Traduction : Anne Colin du Terrail.

Tout écrivain a sa façon bien à lui de raconter une histoire horrible. Prenez James Ellroy par exemple. Avec lui, c'est du costaud, de l'ignoble, voire du carrément intolérable. Rien n'est épargné au lecteur mais le génie de l'homme est si grand que jamais il ne tombe dans la facilité, encore moins dans la complaisance.

Avec "La Douce Empoisonneuse", Arto Paasilinna, l'un des auteurs finlandais les plus connus, nous raconte aussi tout plein de choses horribles telles les violences exercées par un trio de jeunes délinquants à l'encontre de plus faibles qu'eux (en l'occurrence la tante de l'un des membres dudit trio, le chat de cette dame et deux ou trois autres personnes ...). Mais il le fait d'un ton si raisonnable, si calme, en prenant si soigneusement du recul que le lecteur, indigné puis aussi avide de vengeance que la malheureuse héroïne, la colonelle Linnea Ravaska, n'ambitionne plus qu'une chose : achever ce parcours du combattant pour voir le Mal enfin humilié et mis à mort.

Arto Paasilinna a d'ailleurs des raffinements de sadique pour exécuter un à un les membres du trio infernal. Car c'est bien lui, l'auteur, qui s'en charge puisque le poison préparé à l'origine par la colonelle pour mettre fin à ses jours n'est dispensé aux trois monstres que par le plus pur hasard. Dans les trois meurtres, la veuve du colonel Ravaska ne fait figure que de catalyseur. Un catalyseur d'une innocence et d'une vulnérabilité rares puisqu'elle la première étonnée du tour pris par les événements.

Bref - à peine un peu plus de 250 pages chez Folio - et jubilatoire, volontiers pince-sans-rire mais jamais loufoque, ce petit roman se lit vite et avec plaisir. L'humour qui le sous-tend a un parfum doux-amer et j'y ai noté quelques trouvailles tout à fait sidérantes. Ainsi, le neveu-délinquant de la colonelle, qui lui pique régulièrement le montant de sa modeste pension, vote à droite et se veut partisan de la peine de mort. Pour les peines de prison, son raisonnement est très particulier :

(...) Il aurait été plus équitable, selon Kake, d'indexer la durée des peines pour crimes de sang sur le nombre d'années de vie qu'il restait au défunt. Autrement dit, si l'on mettait fin aux jours d'un bébé qui aurait pu vivre encore soixante-dix ans, une condamnation à dix ans de taule, si ce n'est plus, paraissait raisonnable. Si on zigouillait un vieux birbe par contre, une amende aurait dû suffire car le dommage n'était pas bien grand.

Kauko Nyyssönen développa son idée. L'assassinat d'un malade incurable au seuil de la mort devait être considéré comme un délit mineur, alors que trucider une personne en parfaite santé devait bien sûr valoir la prison. Hélas ! pour l'instant, le Code pénal ne considérait pas l'âge ou le délabrement de l'état de santé de la victime, si avancés soient-ils, comme une circonstance atténuante. Il y avait là en soi, et surtout dans le cas de Linnea Ravaska (sa tante), une regrettable anomalie, une injustice criante. De ce point de vue aussi, il se sentait laissé pour compte ... (...)

Evidemment - on l'apprend un peu plus tard - la mère de Kake, qui n'était autre que la soeur du colonel Ravaska, souffrait de troubles de la personnalité. N'empêche que, lorsque son fils finit par rencontrer sa Némésis, le lecteur (comme la colonelle, sa tante, qui l'avait pourtant élevé) se sent comme qui dirait l'âme plus légère. ;o)

Maintenant, "La Douce Empoisonneuse" n'est sans doute pas le chef-d'oeuvre de son auteur. Mais il donne en tous cas le désir d'en connaître un peu plus sur la bibliographie d'Arto Paasilinna.

mardi, juillet 10 2007

La Cloche d'Islande - Halldór Kiljan Laxness (Islande).

Íslandsklukkan Traduction : Régis Boyer

En 1955, l'auteur de ce livre, Halldór Kiljan Laxness, recevait le Prix Nobel de Littérature pour "avoir ressuscité l'ancienne tradition narrative islandaise."

Né en 1902 dans le milieu paysan, à Laxness qui, plus tard, lui servira de pseudonyme, Halldór Gudjonsson arrête ses études avant d'avoir obtenu son baccalauréat. Mais cela fait déjà un certain temps qu'il écrit. Rebelle-né, il s'insurge contre la religion d'Etat - le prostestantisme luthérien - et ira jusqu'à se convertir au catholicisme en 1923. Il abjurera d'ailleurs un peu plus tard mais il faut dire à sa décharge qu'il est aussi, en Islande, le traducteur de Voltaire. ;o)

C'est un grand voyageur : Paris d'abord où il approche le mouvement Dada et les Surréalistes ; les USA et surtout la Californie ensuite (à Hollywood, ses scénarii ne sont d'ailleurs pas passés à la postérité) ; le Canada ; l'URSS qui le verra adhérer à l'idéologie communiste jusqu'en 1956 où, une fois de plus, il rompt avec éclat. A la fin de sa vie - il vécut très vieux, centenaire à deux ans près - revenu dans son pays natal, il se tourna vers les systèmes philosophiques orientaux, notamment le Taoisme.

Et puis, bien sûr, il écrit. "La Cloche d'Islande" passe pour son chef-d'oeuvre. Je ne saurais le dire puisque c'est le premier ouvrage de Laxness que je lis mais une chose est sûre : cet étrange roman est une espèce de météorite, la trace et la résurrection d'un passé qui a permis au peuple islandais de survivre à l'occupation danoise et de finir par en triompher.

Certes, on peut le résumer mais en aucun cas, on ne saurait donner au lecteur une idée exacte de son style, épique, foisonnant, une espèce de chaînon manquant entre la littérature moyen-âgeuse et la littérature moderne : c'est un peu comme si, en s'appuyant sur le passé littéraire de son peuple, issu de l'oralité la plus pure et retranscit dans les sagas, Laxness avait façonné une chanson de geste moderne où tiendrait toute l'Histoire de son pays.

La construction répartit l'action en trois parties :

1) la première, "La Cloche d'Islande", a pour personnage principal un paysan pauvre mais matois, nommé Jon Hreggvidsson. Ses aventures sont un mélange de Rabelais et de Swift. Jon est ce que l'on peut appeler un mauvais sujet mais, s'il passe beaucoup de temps à voler, c'est qu'il est pauvre, que les Danois ont interdit aux Islandais de commercer avec tout autre pays que le Danemark et que la vie est, comme d'habitude, particulièrement pénible aux humbles. Jon dérobe un bout de corde - cette corde soutenant la fameuse cloche qui, selon la légende, existait bien avant que l'Homme abordât en Islande - afin de s'en faire une ligne. Comme, quoique pauvre, il se veut libre, il se permet aussi quelques plaisanteries malvenues envers le roi du Danemark. A partir de là, il se retrouve flagellé, en prison et bientôt condamné à la pendaison. Mais la fille du gouverneur s'interpose et le fait évader, le chargeant au passage d'une mission pour son amant, Arnas Arnaeus, Islandais émigré au Danemark ...

2) dans la deuxième partie, "La Vierge Claire", c'est Snaefrid qui accède au rôle principal. Seize années se sont écoulées depuis qu'elle a confié son message à Jon. Elle a épousé sans amour un junker fort porté sur l'eau de vie, Magnus de Braedratunga. Le couple est sans enfants mais, en raison des habitudes de dilapidation et de boisson du mari, est pratiquement ruiné. Bientôt, ils seront expulsés de leur domaine. Mais il y a plus grave : le père de Snaefrid, le gouverneur, est menacé de déchéance pour certains jugements - dont celui de Jon Hreggvidsson - qui ont été prononcés sous son administration. Arnas Arnaeus revient en effet au pays pour en juger, mandaté par le roi du Danemark ...

3) la troisième et dernière partie - la plus brève : 18 chapitres pour 20 dans chacun des volets précédents - "L'Incendie de Copenhague", on voit Snaefrid, qui a renoué commerce amoureux avec Arnas, mener une lutte longue, difficile et dangereuse pour que lui soit restitué le domaine que possédait son mari, dont elle est désormais veuve.

Avec ces trois points, on n'aura dessiné que le squelette de cette épopée, mais au moins pourront-ils servir de points de repère au lecteur, un peu dépaysé sans doute par les noms islandais mais aussi par le matériau lui-même et la façon dont Laxness l'a forgé, de cette épopée irracontable et prodigieuse où se nichent toute l'âme d'un pays et le souvenir inoublié des guerriers nordiques et celtes - eh ! oui ! celtes, la chose est prouvée et ce n'est pas un hasard si, lorsqu'il se convertit au catholicisme, Laxness choisit "Kiljan" comme second prénom - qui, les premiers, peuplèrent l'Islande.

A lire à haute voix, pour ne pas trop s'y perdre et goûter toute l'art du conteur (traduit par Régis Boyer, un inconditionnel) ainsi que son amour, immense et je suis tentée d'écrire indicible, pour son pays, l'Islande.

samedi, juillet 7 2007

Le Maître du Jugement Dernier - Leo Perütz (Autriche).

Der Master des Jungstens Tages Traduction : Hugo Richter.

Disons-le tout de suite : je n'ai pas du tout aimé. Je veux parler ici du style qui est feuilletonnesque. Or, le feuilleton me donne en général de petits boutons.

Pourtant, le récit est superbement construit : dès lors qu'on est parvenu à la fin du récit, on se rend compte de l'habileté de l'écrivain.

Je ne donnerai ici que la base de l'intrigue : accompagné de son ami, le docteur Gorski, le narrateur, le baron von Yosh, se rend chez les Bischoff pour y participer à un petit concert entre amis. Eugène Bischoff est un comédien célèbre et sa femme, Dina - on l'apprend un peu plus tard - a été, avant son mariage, la maîtresse de von Yosh.

Après l'arrivée de Valdemar Solglub, un ami des Bischoff, qui perturbe un peu le concert privé, la conversation dévie sur un suicide accompli dans d'étranges circonstances et qu'Eugène conte avec un tel talent que l'atmosphère en devient vite étouffante. Le comédien s'interroge sur les motifs qui ont poussé la victime à se donner la mort. Et puis, brusquement, il demande à ses amis de l'excuser un instant et gagne son bureau.

Il n'en ressortira pas. Quelques minutes plus tard : deux coups de feu, Eugène Bischoff s'est suicidé lui aussi.

Tout le roman est vu par les yeux de von Yosh et, à la fin, on se demande s'il a réellement bien vu. Il y a plusieurs interprétations possibles - procédé que reprendra Perütz dans d'autres romans. Le problème - enfin, pour moi - c'est que l'impression de confusion est si bien rendue que je ne savais plus où j'en étais. Voilà pourquoi j'ai trouvé ce roman ardu, très ardu à lire, et que je ne sais toujours pas qui a fait quoi dans "Le Maître du Jugement Dernier" et encore moins si celui-ci est un roman policier, un roman fantastique ou un composé des deux. Je me dis aussi que, n'ayant pas l'esprit très matheux, il y a des chances pour que je sois imperméable au raisonnement de Perütz.

Je vais donc ranger ce roman et le relire dans quelque temps. D'ici là, si vous-même en prenez connaissance, n'hésitez pas à poster sur la question. ;o)

vendredi, juillet 6 2007

Le Valet de Sade - Nikolaj Frobenius. (Norvège)

''Latours Katalog'' Traduction : Vincent Fournier.

Voici un auteur norvégien que je connaissais sans le savoir puisque c'est lui qui a rédigé le scénario de l'excellent thriller "Insomnia" (la version d'Erik Skjolgjaerd) et de son remake américain, filmé par Christopher Nolan avec Robin Williams à contre-emploi et Al Pacino pour lui donner la réplique.

"Le Valet de Sade" quant à lui a pour cadre la France de la fin du XVIIIème siècle. Frobenius s'attache à la destinée du jeune Latour-Martin Quiros, fils unique et naturel de Bou-Bou Quiros, une usurière honfleuroise. On notera que l'auteur mêle d'ailleurs dans le personnage les deux valets favoris de Sade : Latour (qui sera condamné à mort avec son maître par contumace) et Carteron.

Très attaché à sa mère, Latour se met en tête à sa mort - d'une fièvre pourprée, c'est-à-dire d'une maladie infectueuse probablement inoculée par la piqûre d'une mouche - qu'elle a été assassinée par un certain nombre de personnes dont il a trouvé la liste dans la robe qu'elle portait lors de son dernier voyage à Paris, juste avant qu'elle tombât malade. (D'où le titre original du roman, qui se traduit par "La Liste de Latour.") Et, très vite, en compagnie d'une prostituée de Honfleur, Valérie, le jeune homme monte à la capitale dans le but secret de se venger de ceux qui l'ont rendu orphelin.

Incapable d'éprouver la douleur physique, Latour se passionne depuis longtemps pour les mystères que recèlent le corps humain et son cerveau. En Normandie déjà, il a travaillé pour un taxidermiste et a pris auprès de M. Léopold ses premières leçons d'anatomie. A Paris, s'il travaille d'abord comme homme à tout faire dans un bordel, il s'échappe un temps pour se faire l'assistant de Rouchefoucauld, l'un des plus célèbres anatomistes du temps. Mais comme il a, pour ce faire, assassiné un étudiant en médecine dont il a pris l'identité, il doit, lorsqu'il est découvert, se sauver et rejoindre le bordel de Mme Besson où il finira par rencontrer son double : le comte de Sade.

A partir de là, le destin des deux hommes sera indissolublement lié et Fobrenius pose comme hypothèse que les scènes les plus cruelles de l'oeuvre sadienne furent inspirées au célèbre et terrible écrivain par la vision des meurtres - avec dissections à la clef - commis par Latour et qu'il épiait sans que celui-ci en eût connaissance. Mais quand il réalisera que Sade, sous l'un des nombreux noms d'emprunt qu'il employait dans ses débauches, fait partie, lui aussi, de la liste (il est le "président de Curval"), Latour ne pourra passer à l'acte. Certes, il s'y essaiera mais toujours en vain. L'homosexualité latente qui exista de façon certaine entre Latour et Sade est ici traitée avec délicatesse, sur le seul plan du sentiment et non de la pratique. Et Frobenius insiste sur la ressemblance physique qui existe entre ses deux héros.

La question principale posée par ce roman, outre celle du double, est évidemment celle de la souffrance et de sa nécessité et elle n'arrête pas un seul instant de tarauder Latour. L'impossibilité dans laquelle l'a mis la nature de ressentir la douleur l'incite à disséquer ce qui régit celle-ci et permet en parallèle à Frobenius d'expliquer en partie la fascination exercée par Sade sur son valet. "Le Valet de Sade" n'est d'ailleurs pas un roman complaisant ou gore. Et il ne saurait laisser indifférents tous ceux qui s'intéressent à la vie et à l'oeuvre de Sade.

Le seul reproche que je lui fasse, c'est un défaut de construction : trop de temps passé par exemple sur l'enfance de Latour auprès de sa mère. Mais ce n'est bien entendu que mon opinion. ;o)

mercredi, juillet 4 2007

Le Conformiste - Alberto Moravia. ( Italie )

Il Conformista Traduction : Claude Poncet

Marcello est un enfant solitaire et intelligent, issu de l'union mal assortie d'un riche quinquagénaire et d'une jolie femme beaucoup trop superficielle et bien peu maternelle. Il n'a pas encore dix ans lorsque se pose pour lui, dans cette Italie pré-fasciste et sur laquelle pèse depuis des siècles la chape plombée de la Sainte Eglise Romaine & Apostolique, l'antique et éternelle question du Bien et du Mal.

Comme nous tous, à un moment ou à un autre de notre âge tendre, quand nous cherchions nos repères, Marcello a envie de faire le mal pour le mal et même de tuer. Son problème, qui décidera de son existence tout entière aussi sûrement que les angoisses sexuelles de l'enfance et de l'adolescence peuvent décider d'une perversion fatidique de l'instinct de vie, c'est que, devant ses doutes et ses interrogations, il n'y a personne pour éclaircir les premiers et répondre aux secondes.

Marcello en conclut donc qu'il est foncièrement anormal - et mauvais - et qu'il est de son devoir, s'il veut survivre, de faire coïncider du mieux qu'il peut cet instinct de mort avec une vie de routine où faire le mal et tuer seront sanctifiés par les autorités en place.

Ce piège dans lequel il va s'enfermer sans en avoir conscience va se trouver renforcé par deux événements extérieurs :

1) la folie violente dans laquelle son père va sombrer

2) et le meurtre d'un chauffeur pédophile et prêtre défroqué, Lino, que Marcello se voit plus ou moins contraint d'accomplir.

Avec de telles références, Marcello est prêt à devenir un agent de renseignements impeccable, auquel, un jour, le gouvernement mussolinien confie une mission de confiance.

Ce qu'il y a de proprement admirable dans ce roman au style dense et hautement littéraire, c'est la réflexion à laquelle Moravia, pourtant très orienté à gauche, se livre sur tous les petits, tous les humbles, qui succombèrent aux attraits du fascisme.

Si Moravia ne les excuse évidemment pas, lui qui fut pourtant traqué par les agents du Duce ne les condamne pas pour autant. Avec la froideur voulue et l'habileté d'un très grand chirurgien, il dissèque au scalpel non pas un régime, pas même des individus bien précis comme Mussolini et son premier cercle de favoris, mais un peuple tout entier et, au-delà ce peuple - celui de Moravia - l'Humanité telle qu'en elle-même.

Un livre fascinant, tout à la fois pudique et cynique, une analyse unique de ce moment où, tous tant que nous sommes, nous sommes prêts à basculer dans le Mal et où, pourtant, certains trouvent la force de ne pas céder au vertige. Y a-t-il un facteur "chance" ? n'y en a-t-il pas ? Pour Marcello, en tous cas, le lecteur finit par penser que, quelque part, non, il n'a pas eu de chance ... ;o)

jeudi, juin 21 2007

La Pianiste - Elfriede Jelinek.

Die Klavierspielerin Traduction : Y. Hoffmann & M. Litaize

Livre sulfureux, hérissé de tessons de bouteilles et de lames de rasoir que l’héroïne verse, pilés, dans la poche d’une rivale ou utilise pour s’auto-mutiler, « La Pianiste » est un roman d’une noirceur rare que je recommande personnellement d’offrir à tout parent castrateur, qu’il soit de sexe féminin ou masculin. L'idéal serait bien sûr de les contraindre à le lire jusqu'au bout ...

L’argument de base est le suivant : une mère castratrice, que Jelinek ne désigne jamais autrement que sous le terme générique de « la mère," vampirise sa fille depuis sa naissance. Elle lui a volé sa jeunesse, lui a imposé ses ambitions personnelles qui rêvaient d’un rejeton virtuose et, après l'échec d'Erika dans une carrière de pianiste internationale, l’a orientée vers le professorat. Avec cette redoutable mère, pas de promiscuité déplacée avec les autres enfants et, l’âge venu, pas d’amourettes non plus - encore moins de rapports sexuels ! ... D’ailleurs, tous les soirs, c’est dans l’ancien lit conjugal qu’Erika Kohut monte docilement s’endormir auprès de sa maman …

A trente-six ans, Erika est une refoulée, une frustrée, une malheureuse aussi qui, sous des dehors d’une pondération et d’une sécheresse remarquables, dissimule une folie croissante – son père est depuis longtemps dans une maison de retraite pour malades mentaux et une ou deux fois, Jelinek sous-entend que son mariage avec la mère n’a pas arrangé les choses.

Tourmentée par le démon du sexe – car, pour elle, le sexe n’est qu’un démon – elle n’a pour exutoires que les peep-shows viennois ou encore les parcs bien sombres où s’ébattent les prostituées et leurs clients. De temps à autre, pour faire bonne mesure, elle s’enferme chez elle quand la mère dort et se plante des lames de rasoir et des aiguilles dans la peau, voire sur les muqueuses. Et elle attend l’Amour – un amour qui la rouera de coups et l’humiliera, qui l’abandonnera pendant des heures enchaînée et bâillonnée après l’avoir copieusement insultée et humiliée …

Justement, l’un de ses jeunes élèves, Walter Klemmer, s’est mis en tête de la séduire. Un peu fat comme nombre d’hommes , il pense même, selon la formule consacrée, lui "révéler" l’amour. Mais les événements ne prendront pas hélas ! le tour que souhaite Erika. Naïve et sans expérience, elle s’est trompée d’amant et comme c’était sa dernière chance …

La prose est rageuse, heurtée, noircie et renoircie à plaisir. Les dialogues sont inexistants. Par ci, par là, surtout sur la fin, Erika et Walter laissent échapper des phrases mais c’est Jelinek, le lecteur l'entend presque, qui parle ainsi à la première personne et non ses personnages. A chaque ligne, la haine et la rancœur explosent. Contre la mère de l’auteur, contre la société autrichienne, contre les faux-semblants viennois. Seule, la musique s’en sort relativement bien – à l’exception de Mozart que ni Erika, ni Walter n’apprécie.

Sans vouloir être « vieux jeu », je ne pense pas que ce livre soit à mettre entre des mains trop jeunes ou trop inexpérimentées. Il faut en effet avoir atteint un certain degré d’expérience et de libération personnelles pour admettre que les sentiments castrateurs d’un père ou d’une mère trouvent leur source dans la sexualité. Jelinek le proclame sans ambages dans une scène étouffante où Erika, après avoir "trahi" sa mère avec Walter, la rejoint dans le fameux lit et la couvre de baisers dans un corps à corps ambigu. Et Jelinek voit juste même si elle révolte le lecteur moyen, celui qui n’a pas eu de mère ou de père abusifs.

"La Pianiste" est un texte relativement court (250 pages dans la collection "Points") mais singulièrement dense. J'ajouterai qu'il est rare de voir une femme s'exprimer et écrire aussi brutalement. Ceci dit, l'émotion et l'ironie - une ironie féroce et sanglante - sont loin d'être absentes de cette oeuvre qui contribua à faire attribuer le Prix Nobel de Littérature 2004 à Elfriede Jelinek.

Un peu plus sur Jelinek.

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