Il Conformista Traduction : Claude Poncet

Marcello est un enfant solitaire et intelligent, issu de l'union mal assortie d'un riche quinquagénaire et d'une jolie femme beaucoup trop superficielle et bien peu maternelle. Il n'a pas encore dix ans lorsque se pose pour lui, dans cette Italie pré-fasciste et sur laquelle pèse depuis des siècles la chape plombée de la Sainte Eglise Romaine & Apostolique, l'antique et éternelle question du Bien et du Mal.

Comme nous tous, à un moment ou à un autre de notre âge tendre, quand nous cherchions nos repères, Marcello a envie de faire le mal pour le mal et même de tuer. Son problème, qui décidera de son existence tout entière aussi sûrement que les angoisses sexuelles de l'enfance et de l'adolescence peuvent décider d'une perversion fatidique de l'instinct de vie, c'est que, devant ses doutes et ses interrogations, il n'y a personne pour éclaircir les premiers et répondre aux secondes.

Marcello en conclut donc qu'il est foncièrement anormal - et mauvais - et qu'il est de son devoir, s'il veut survivre, de faire coïncider du mieux qu'il peut cet instinct de mort avec une vie de routine où faire le mal et tuer seront sanctifiés par les autorités en place.

Ce piège dans lequel il va s'enfermer sans en avoir conscience va se trouver renforcé par deux événements extérieurs :

1) la folie violente dans laquelle son père va sombrer

2) et le meurtre d'un chauffeur pédophile et prêtre défroqué, Lino, que Marcello se voit plus ou moins contraint d'accomplir.

Avec de telles références, Marcello est prêt à devenir un agent de renseignements impeccable, auquel, un jour, le gouvernement mussolinien confie une mission de confiance.

Ce qu'il y a de proprement admirable dans ce roman au style dense et hautement littéraire, c'est la réflexion à laquelle Moravia, pourtant très orienté à gauche, se livre sur tous les petits, tous les humbles, qui succombèrent aux attraits du fascisme.

Si Moravia ne les excuse évidemment pas, lui qui fut pourtant traqué par les agents du Duce ne les condamne pas pour autant. Avec la froideur voulue et l'habileté d'un très grand chirurgien, il dissèque au scalpel non pas un régime, pas même des individus bien précis comme Mussolini et son premier cercle de favoris, mais un peuple tout entier et, au-delà ce peuple - celui de Moravia - l'Humanité telle qu'en elle-même.

Un livre fascinant, tout à la fois pudique et cynique, une analyse unique de ce moment où, tous tant que nous sommes, nous sommes prêts à basculer dans le Mal et où, pourtant, certains trouvent la force de ne pas céder au vertige. Y a-t-il un facteur "chance" ? n'y en a-t-il pas ? Pour Marcello, en tous cas, le lecteur finit par penser que, quelque part, non, il n'a pas eu de chance ... ;o)