Pour celles et ceux qui se plaignent de l'aridité de l'actuel paysage littéraire français, en tous cas tel que nous le révèlent les grandes maisons d'édition, ce "Précis de littérature du XXIème siècle", qui parodie avec verve le mythique "Lagarde & Michard" (en plusieurs volumes) de notre studieuse jeunesse, est incontournable.

Avec un sadisme et une allégresse que Voltaire ne renierait pas, Pierre Jourde et Eric Naulleau tirent à boulets rouges sur leurs têtes de turc favorites (essentiellement Christine Angot, BHL et Philippe Sollers) en leur adjoignant de nouvelles cibles, comme Philipe Labro, Patrick Besson, Anna Gavalda et Marc Lévy (entre autres).

"Répétitif", ont dit certains. "Réac'", en ont aboyé d'autres en montrant les dents (du moment qu'on s'attaque à la bien-pensance, en France et de nos jours, on est fatalement réactionnaire, c'est comme ça, tenez-vous-le pour dit. :crazy:) "Ah ! c'est facile, de se moquer !" a conclu le choeur des âmes généreuses (comme s'il y en avait au sein de ce qui s'autoproclame la "République" des Lettres.)

Mais dans ces conditions, pourquoi rit-on tellement en assistant à ces mises à mort où la gaieté le dispute à une cruauté bien réelle ?

Tout d'abord parce que Jourde et Naulleau ont du talent. De la première jusqu'à la dernière page, leur "Précis ..." en est bourré, serti dans une ironie dévastatrice de la plus belle eau et mis encore plus en valeur par une culture qui ne pourra que réveiller de doux souvenirs chez tout littéraire authentique.

Ensuite parce que l'écrasante majorité des auteurs cités arborent en public, et notamment sous la loupe grossissante des caméras de télévision, un "Moi" hypertrophié, la morgue insoutenable de la créature qui se croit d'élite sans l'être le moins du monde et l'incroyable condescendance du Monsieur ou de la Madame Je-Sais-Tout-J'Ai-Tout-Vu-Et-Vous-Etes-Des-Cloches. Ajoutez à cela que certains membres de ce noble aréopage se permettent d'enseigner ou d'avoir enseigné ... la littérature (consternant, n'est-ce pas ? ).

Enfin et surtout parce que, dans la culture de notre pays, la littérature, les livres et plus encore les romans relèvent du Sacré, de la Magie, de l'Intangible. Or, les auteurs (ou prétendus tels) abondamment cités par Jourde et Naulleau n'arrêtent pas de blasphémer. A la place de ce roman tant aimé, ils ont dressé cette idole infernale qu'ils nomment (pompeusement) "autofiction" et à laquelle ils ne sacrifient, sachez-le bien, que parce qu'il est beaucoup plus facile, quand on dispose d'un ego hyper-narcissique et de très peu d'imagination, d'écrire sur les frémissements de son nombril et les variations de son transit intestinal que d'imaginer une intrigue cohérente et passionnante, avec des personnages qui vous empoignent le coeur et ne le lâchent plus.

Alors, forcément, quand on voit tout ce beau monde, qui s'avance d'ordinaire sous la lumière des projecteurs à un train digne d'un chef d'Etat en visite protocolaire - quand on voit tout ce beau monde, disais-je, s'étaler dans la poussière du ridicule, quand on voit leurs énormes fautes de grammaire, leurs phrases "à la Duras", la tonne de clichés qu'ils offrent comme dialogue (ou monologue) à leurs personnages, l'allure de limande-sole des personnages en question (trois idées dans la tête mais pas plus : elle éclaterait), le tout saupoudré d'une auto-complaisance qui, en l'espèce, constitue le seul trait remarquable de leur oeuvre ...

... on rit. Parfois même aux éclats. Très souvent, l'envie irrésistible de faire partager sa joie est telle qu'on court chercher un ou plusieurs auditeurs et qu'on lui lit l'extrait du "Précis ..." qui a déclenché notre hilarité. On en arrive d'ailleurs à penser que Jourde et Naulleau devraient songer à une édition audio tout en regrettant que Pierre Desproges ou Claude Piéplu ne soient plus là pour nous la faire savourer dans sa plénitude.

Pour vous consoler, sachez que vous trouverez bientôt quelques extraits choisis de cet indispensable ouvrage dans notre rubrique adéquate. D'ici là, tâchez de vous le procurer : dans un siècle (et peut-être avant), "Le Précis de Littérature du XXIème Siècle", par Pierre Jourde & Eric Naulleau, vaudra beaucoup plus que l'édition la plus rare de Philippe Sollers, Madeleine Chapsal ou BHL. ;o)