Heren van de Thee Traduction : Anne-Marie de Both-Diez

Un roman dense qui m'a surprise sur bien des plans.

Tout d'abord le style. Je sais qu'on compare Haasse à Yourcenar et peut-être est-ce sensible lorsqu'on peut la lire dans sa langue maternelle - ce qui est loin d'être mon cas. Mais Yourcenar atteint à une perfection, à une flamme glacée que, malgré mes efforts, je n'ai pas trouvé ici.

Haasse peint à touches précises et presque naturalistes. On la soupçonne de se référer à un dossier de préparation comparable aux petits carnets dont Zola étayait chaque volume de ses "Rougon." Tout est donc détaillé mais tout aussi est égalisé, nivelé même, pourrait-on dire. C'est à une analyse d'entomologiste sur la famille Kerkhoven que nous invite la romancière néerlandaise, passant très logiquement d'une vue d'ensemble de la fourmilière des grands colons néerlandais jusqu'au zoom de plus en plus rapproché sur certains éléments (le couple Rudolf/Jenny) avant de replacer finalement leur histoire au sein de la fourmilière qui, entretemps, a vieilli et évolué.

Au début, ça déstabilise un peu et on a l'impression (fausse) de se trouver en présence d'un roman construit de façon très banale, avec des personnages et une intrigue qui ne sortent guère de l'ordinaire.

Et puis, le livre refermé, on se rend compte que, sans hausser le ton, sans forcer le trait, presque sans y toucher, Hella S. Haasse a abordé et travaillé des thèmes on ne peut plus complexes : la société coloniale néerlandaise bien sûr et son rapport avec les autochtones et leurs propres structures culturelles et plus encore le statut de la femme au XIXème siècle. Pas tant celui de la femme indonésienne - qui est pourtant discrètement évoqué - que celui de la femme occidentale, ici personnifiée essentiellement par le triste destin de Jenny Roosegarde Kerkhoven (et de sa mère).

Haasse va plus loin encore en opposant un égocentrisme masculin animé des meilleures intentions (celui de Rudolf, si obsédé par l'idée de prouver à ses parents qu'il est le meilleur, le plus droit, le PLUS, qu'il lui est impossible de se rendre compte de tout ce qui ne va pas dans son couple) à l'amertume de la résignation féminine.

"Les Seigneurs du Thé" est donc un livre à découvrir en sachant qu'on met le pied dans l'univers d'un écrivain atypique, un univers feutré et retenu en apparence, où il n'y a pas un mot qui crie sur le papier plus fort que l'autre, et qui, pourtant, se révèle porteur d'une incroyable vie intérieure, fiévreuse et implacable. ;o)