Ainsi parle Saint-Simon :

"... ... Rigaud était alors le premier peintre de l'Europe pour la ressemblance des hommes et pour une peinture forte et durable ; mais il fallait persuader à un homme aussi surchargé d'ouvrages de quitter Paris pour quelques jours, et voir encore avec lui si sa tête serait assez forte pour rendre une ressemblance de mémoire.

Cette dernière proposition, qui l'effraya d'abord, fut peut-être le véhicule de lui faire accepter l'autre. Un homme qui excelle sur tous ceux de son art est touché d'y exceller d'une manière unique ; il en voulut bien faire l'essai, et donner pour cela le temps nécessaire. L'argent, peut-être, lui plut aussi.

Je me cachais fort à mon âge de mes voyages de La Trappe (1) ; je voulais donc entièrement cacher aussi le voyage de Rigaud, et je mis pour condition de ma part qu'il ne travaillerait que pour moi, qu'il me garderait un secret entier et que, s'il en faisait une copie pour lui, comme il le voulait absolument, il la garderait dans une obscurité entière, jusqu'à ce que, avec les années, je lui permisse de la laisser voir. Du mien, il voulut mille écus comptant à son retour, être défrayé de tout, aller en poste en chaise, en un jour, et revenir de même. Je ne disputai (2) rien et le pris au mot de tout. ... ..."

(1) : Saint-Simon craignait les railleries de la Cour - et surtout de ses contemporains - sur cet aspect dévot de sa personnalité.

(2) : ici pris au sens de "discuter."

L'"Autoportrait au Ruban" (1698) de Hyacinthe Rigaud qui allait devenir le complice de Saint-Simon dans l'affaire du portrait de M. de La Trappe.