Cher et grand Ami,

Qu'il m'est doux de vous lire à nouveau ! Sachez que seule une mauvaise fluxion m'a empêchée de répondre plus vite au billet que vous me mandâtes le mois dernier.

La gent médicale a beaucoup changé en cette époque où nous nous réveillons, vous comme moi. En bien, certes, pour l'essentiel, Monsieur Molière ne nous contredirait pas. Las ! Pourtant, la maladie sait encore abattre nos pauvres carcasses.

Mais foin de plaintes et d'apitoiements. Vous me revenez, enfin, nous pourrons à nouveau échanger et sachez bien que les temps que nous vivons sont fort propices aux commentaires grinçants.

Je n'ai pas encore très bien saisi l'intérêt de cette soit-disant république qui s'est installée en notre beau pays et les derniers événements politiques (dont nous reparlerons, n'ayez crainte) ne font qu'accroître chez moi perplexités et railleries.

Mais ce qui me réconforte ces jours-ci, c'est de constater que notre Sainte Religion paraît enfin vouloir reprendre le dessus sur cette société de luxure et de stupre. Le chemin sera bien roboteux et je prévois beaucoup de tourments (nous en reparlerons aussi car ce soir, je suis un peu pressée et ne puis vous en dire bien long). Mais tout plutôt que ce vide, ce néant d'athéisme et de blasphème qui régnaient en ce triste monde jusqu'à ce que certains mahométans, hommes de grande piété bien qu'ils soient infidèles, eussent décidé d'en prendre le contrepied.

Bien sûr, la situation n'est pas idéale mais nous saurons les utiliser, n'est-ce pas ? pour la plus grande gloire du Christ et de Son Eglise bien-aimée. Ah ! mon Ami unique, sachez à ce propos que les prêches du vicomte de Villiers sont une vraie musique pour les âmes pieuses telles que le sont les nôtres et n'omettez surtout point d'aller les entendre.

Oh ! J'aurai énormément à vous dire sur ce sujet et je vous promets de vous en entretenir à nouveau dans la semaine. En attendant, pour vos craintes relatives au sieur Woland, qui nous rappelle d'entre les Ombres parce qu'il est curieux, dit-il, de nos commentaires sur cette époque merveilleuse, je vous engage à vous défier furieusement de lui. C'est un mécréant, un véritable agent du Malin - au demeurant, il ne s'en dissimule point - et, si le désir de renaître à l'existence n'eût ardé en moi plus puissamment que la raison, jamais je n'eusse accepté son offre de nous donner ce qu'il appelle un théâtre "virtuel."

Je sais que nous avons pour coutume d'affirmer que la chair est faible mais, dans mon cas, Ami très cher, et sans doute dans le vôtre, c'est l'esprit qui nous rend pécheurs.

... Il est vrai que parler, écrire, sont des péchés si délicieux ...

Je sèche ma lettre et vous l'envoie par messager privé en vous promettant de ne vous point oublier cette fois-ci plus de deux jours. Toujours vôtre :

Arsinoé