Comme tous les parents un tant soit peu responsables, Louis XIV devait connaître pas mal de déboires avec ses rejetons, notamment avec ses bâtards à l'exception notoire du comte de Toulouse.

Ses trois bâtardes les plus célèbres, la princesse de Conti (fille de Melle de La Vallière), la duchesse de Bourbon-Condé (fille aînée de Mme de Montespan) et la duchesse de Chartres (fille cadette de "la grande Sultane"), étaient de vraies pestes. Mais elles ne se contentaient pas de se moquer des courtisans, elles se lançaient aussi pas mal de piques. Saint-Simon raconte :

"... ... Les Princesses n'étaient que très-légèrement racommodées, comme on l'a vu plus haut, et Mme la princesse de Conti intérieurement de fort mauvaise humeur du goût de Monseigneur (le Grand Dauphin, son demi-frère, qui l'écoutait fort) pour la Choin (favorite de Monseigneur), qu'elle ne pouvait ignorer, et dont elle n'osait donner aucun signe.

A un dîner pendant lequel Monseigneur était à la chasse, et où sa table était tenue par Mme la princesse de Conti, le Roi s'amusa à badiner avec Mme la Duchesse (de Condé, fille aînée de Mme de Montespan) et sortit de cette gravité qu'il ne quittait jamais, pour, à la surprise de la compagnie, jouer avec elle aux olives. Cela fit boire quelques coups à Mme la Duchesse ; le Roi fit semblant d'en boire un ou deux, et cet amusement dura jusqu'aux fruits et à la sortie de table. Le Roi, passant devant Mme la princesse de Conti pour aller chez Mme de Maintenon, choqué peut-être du sérieux qu'il lui remarqua, lui dit assez sèchement que sa gravité ne s'accommodait pas de leur ivrognerie. La princesse, piquée, laissa passer le Roi ; puis, se tournant à Mme de Châtillon, dans ce moment de chaos où chacun se lavait la bouche, lui dit qu'elle aimait mieux être grave que sac à vin, entendant quelques repas un peu allongés que ses soeurs (les deux filles de Mme de Montespan) avaient fait depuis peu ensemble.

Ce mot fut entendu de Mme la duchesse de Chartres, qui répondit assez haut, de sa voix lente et tremblante, qu'elle aimait mieux être sac à vin que sac à guenilles ; par où elle entendait Clermont (1) et des officiers des gardes du corps qui avaient été les uns chassés, les autres éloignés, à cause de (Mme la princesse de Conti.) Ce mot fut si cruel qu'il ne reçut point de repartie, et qu'il courut sur le champ par Marly, et de là à Paris et partout.

Mme la Duchesse qui, avec bien de la grâce et de l'esprit, a l'art des chansons salées, en fit d'étranges sur ce même ton. Mme la princesse de Conti, au désespoir et qui n'avait pas les mêmes armes, ne sut que devenir. Monsieur (Philippe d'Orléans, leur oncle à toutes trois), le roi des tracasseries, entra dans celle-ci qu'il trouva de part et d'autre trop fortes (2). Monseigneur s'en mêla aussi : il leur donna un dîner à Meudon, où Mme la princesse de Conti alla seule, et y arriva la première ; les deux autres y furent menées par Monsieur. Elles se parlèrent peu, tout fut aride, et elles revinrent de tous points comme elles étaient allées. ... ...

(1) : François, chevalier de Clermont, qui avait feint une passion pour Mme la princesse de Conti afin de se concilier les bonnes grâces de Monseigneur. En parallèle, il feignait de s'attacher également à Melle Choin, maîtresse de Monseigneur. Derrière eux, M. de Luxembourg qui espérait ainsi dominer le Grand Dauphin, héritier présomptif, dont nul ne soupçonnait alors qu'il ne deviendrait jamais roi. Il y eut toute une affaire de lettres échangées en secret et où Clermont et la Choin se moquaient de la crédule princesse. Quand le scandale éclata, Louis XIV ne put faire autrement que de renvoyer Clermont et de passer un fameux savon à Mme de Conti. Toute l'affaire, trop dense pour qu'on en cite un extrait révélateur, tient au chapitre XIII des "Mémoires" de Saint-Simon.

(2) : c'est-à-dire que, d'un côté comme de l'autre, les adversaires sont allées trop loin dans la méchanceté.