L'amour revêt bien des formes dans la vie. Il en est de même en littérature même si c'est surtout la passion amoureuse qui y fait recette.

Pour moi, l'un des plus beaux personnages liés à l'Amour dans sa complexité, demeure Pauline Quenu. Elle aime en effet jusqu'à se sacrifier pour des êtres dont elle sait pertinemment qu'ils lui sont inférieurs et demeurent incapables de reconnaître la richesse de ses sentiments.

Mais attention : rien de religieux là-dedans. Pauline est une héroïne de Zola et, par conséquent, n'est obsédée ni par l'Eglise, ni par les églises. C'est une enfant, puis une jeune fille et une femme saine qui appelle un chat un chat (fait assez rare à l'époque) et ne se fait guère d'illusions sur ceux qu'elle protège. Simplement, elle aime tellement la vie qu'il lui est impossible d'agir autrement.

Le titre du roman dont elle est l'héroïne est d'ailleurs très révélateur puisqu'il s'agit de "La Joie de Vivre", douzième volume des Rougon-Macquart.

Ses parents étant morts à six mois d'intervalle l'un de l'autre, Pauline, fille des charcutiers des Halles qui mènent l'action du "Ventre de Paris", est recueillie par des parents de son père, M. et Mme Chanteau, lesquels ont un fils unique, nommé Lazare. Elle a dix ans lorsque Mme Chanteau la ramène chez eux, sur la côte normande et elle peut alors être considérée comme une riche héritière.

Très vite, la petite se fera accepter et aimer par tous, y compris par Véronique, l'ombrageuse servante. Les ans passant, elle tombera amoureuse de son cousin, Lazare. Un mariage sera même envisagé, ce qui permettra à Mme Chanteau, en un habile chantage affectif, d'extorquer plus ou moins à la jeune fille des sommes de plus en plus importantes, toutes destinées à payer les coûteuses velléités de Lazare : études musicales, études de médecine, brevet d'inventeur, etc ...

A ce jeu-là, Pauline cesse vite d'être un beau parti tandis que sa tante cesse de la vouloir à tous prix pour belle-fille. Tous les efforts de la mère se retournent vers une amie de la famille, Louise, qui, effectivement, finira par épouser Lazare - souffrance aiguë, presque intolérable pour Pauline qui parviendra cependant à la dominer.

Tout est à l'avenant dans ce roman : c'est du Zola. ;o) Mais autant le romancier se montre impitoyable envers ces parasites que sont les Chanteau, Lazare, Louise, etc ..., autant il dresse de Pauline un portrait qui n'est pas loin de la sainteté. Même lorsqu'elle renonce à croire au désintéressement ou à la volonté de réussir des uns comme des autres, Pauline par contre ne renonce pas à les aimer.

Elle les aime comme elle aimerait des enfants grincheux, maladifs et ingrats mais trop faibles et trop puérils pour affronter seuls la vie qui les entoure. C'est un amour absolu, sincère et incompréhensible pour le commun des mortels. L'amour éternellement serein, malgré les révoltes, du Fort qui est descendu parmi les Faibles.

Peut-être - j'écris bien "peut-être" - y a-t-il parfois une ombre de mépris dans cet amour. Mais en relevant ainsi le caractère de Pauline Quenu d'une touche d'imperfection, en lui enlevant au passage cette facette christique qu'il lui façonne çà et là (consciemment ou pas : Zola a écrit ce roman alors qu'il était encore sous le coup du décès de sa mère), le romancier la rend encore plus précieuse au lecteur qui sort de son histoire regonflé à bloc et tout heureux finalement, lui aussi, de vivre. ;o)

La Joie de Vivre - Emile Zola - Le Livre de Poche