Connaissez-vous la merveilleuse nouvelle de Prosper Mérimée qui s'appelle "Lokis" ? Elle est aussi célèbre que "La Vénus d'Ille" et elle le mérite bien.

Le mythe du garou y est assaisonné à la sauce slave puisque le héros de cette nouvelle, le comte Michel Szémioth, est censé se transformer non pas en loup mais en ours. Bien entendu, rien n'est prouvé et si Mérimée nous glisse, par-ci, par-là, des indices vraiment inquiétants (les marmonnements du comte pendant son sommeil, l'extraordinaire souplesse avec laquelle il grimpe aux arbres, sa fixation sur la "chair blanche et tendre" ...), il n'a pas été mordu, comme on pourrait le croire, par un ours enragé.

Tout en fait s'est passé à la génération précédente : le lendemain de ses noces, sa mère a été attaquée et enlevée par un ours. L'animal fut abattu, la comtesse sauvée mais de ce jour, elle a sombré dans la folie. Toutes les fois qu'elle aperçoit son fils, elle se met d'ailleurs à hurler "A l'ours !"

Autre indice : la peur que le comte inspire aux chevaux, lesquels ont les plus grandes difficultés à admettre qu'il les monte.

Tout cela, le narrateur (Mérimée est un adepte de la technique du maximum d'écrans entre le lecteur et le récit) peut le constater lors d'un séjour qu'il effectue chez le comte pour y faire des recherches linguistiques dans la vaste bibliothèque du château.

Revenu en France, le linguiste parisien finit par y recevoir une lettre où le comte l'invite à son prochain mariage. Et c'est après la cérémonie que se déroule le drame : la jeune comtesse est retrouvée égorgée dans son lit mais son mari a disparu.

Mérimée ne nous dit pas si l'on finit par le retrouver. Il se dépêche en fait de terminer sa nouvelle qui laisse son lecteur dans l'incertitude.

Deux interprétations sont possibles :

a) ou bien Szemioth est bel et bien victime d'une espèce de lycanthropie provoquée par l'accident survenu à sa mère alors qu'elle était enceinte de lui ;

b) ou bien l'attitude de sa mère qui, dans sa folie, l'a toujours considéré comme un ours, a troublé ses propres facultés mentales et créé en lui un dédoublement de la personnalité. Le fait que le massacre intervienne à l'occasion de son mariage - ce qui boucle la boucle, pourrait-on dire - tend à favoriser cette dernière hypothèse.

En tous cas, si vous ne connaissez pas encore les nouvelles fantastiques de Prosper Mérimée, n'hésitez plus ! ;o)