Avec ce troisième tome des "Reines de France au temps des Bourbon", Simone Bertière poursuit son analyse du système qui, en écartant insensiblement les épouses royales françaises du rôle qui leur était traditionnellement imparti aux côtés de leur mari depuis le Moyen-Age, allait amener Marie-Antoinette à assumer peu à peu les grandeurs comme les excès de deux personnages contradictoires : celui de la Reine légitime et celui de la Favorite honnie par le peuple.

Sous Louis XV, nous n'en sommes pas encore là. Mais son accession au trône à un âge trop tendre (cinq ans et demi) et dans des circonstances partiiculièrement sombres (il était orphelin et n'avait plus ni frère, ni soeur) allait très vite pousser ce monarque pourtant très attaché à son illustre bisaïeul à fuir tout ce qui, pour ce dernier, avait représenté la grandeur et la servitude du "métier" de roi. Partant et sans en avoir probablement conscience, il va sonner le glas du régime dont il est le représentant.

Enfant solitaire qui n'eut pas le temps de grandir dans de bonnes conditions, tiraillé entre les factions rivales (celle du Régent puis, après la mort de Philippe d'Orléans, celle du duc de Bourbon et de sa maîtresse, Mme de Prie), Louis XV déteste l'apparat et les obligations qu'il impose. Retenons bien ce trait de caractère : il est primordial pour comprendre non seulement la personnalité du nouveau souverain mais plus encore l'inflexion décisive, du royal vers le privé, que va prendre sous son règne le principe monarchique.

Fiancé à onze ans à la petite infante d'Espagne, Marie-Anne-Victoire de Bourbon, qui n'en a pas encore quatre tout sonnés, le garçonnet est déçu et lui fait vite grise mine. Quatre ans plus tard, la mort du Régent - qui avait mis à profit les fiançailles espagnoles de son jeune cousin pour faire de sa fille, Melle de Montpensier, la future reine d'Espagne - retourne la situation : fait unique dans les annales franco-espagnoles, la petite infante est renvoyée chez elle (elle finira par épouser le prince-héritier de Portugal) et une autre candidate est poussée sur les rangs par l'ambitieuse Mme de Prie. Cette candidate, c'est Marie Leszczynka, la fille unique de l'ex-roi de Pologne Stanilas Leszczynki et de Catherine Opalinska.

De sept ans plus âgée que son mari, Marie, qui n'est pas aussi simple qu'on a bien voulu le dire, aurait pu exercer sur lui un certain ascendant, d'autant que ce tempérament passionné lui resta tout de même fidèle huit ans - bien plus que ce que Louis XIV avait pu accorder à Marie-Thérèse qu'il trompait effrontément au bout de six mois. A cela s'opposent deux facteurs : tout d'abord, elle est éperdument amoureuse de Louis XV (dont les portraits conservés prouvent encore que sa réputation de "plus bel homme de son temps" ne fut pas usurpée) et ne se risquera jamais à encourir sa colère, ensuite cet homme secret et renfermé estime, comme son arrière-grand-père, que lui seul doit mener les affaires du Royaume.

Ce dernier point vaut peut-être mieux pour la France car, vite convertie au parti dévot, la pauvre Marie aurait risqué de ne pas faire les choix politiques les mieux appropriés.

Il est cependant un domaine où les deux époux s'entendent parfaitement, un domaine par où s'introduiront habilement à la cour de Versailles bourgeoisie, banalité et désacralisation d'une fonction séculaire : Marie, comme Louis, préfèrent les assemblées en petits comités, loin des regards des courtisans. Leurs obligations de parade respectées, tous deux s'enferment dans leurs petits cabinets, avec un petit cercle d'intimes, et tout est dit. La monarchie louisquatorzienne est bel et bien morte et, ce qui est pire, le lien sacré qui unissait le Roi de France à son peuple va se désagréger.

Louis XIV, on l'a vu, n'avait jamais renoncé à faire ses Pâques et, partant, à procéder au rituel toucher des écrouelles. Jusqu'aux jours noirs de sa fin de règne, il aimait à se montrer "à ses peuples" avec un maximum de majesté. Comme il le disait lui-même : "Nous nous devons au public."

Avec Louis XV, tout change. Paradoxalement, son sentiment religieux est si fort que, ne pouvant se retenir de commettre le double adultère (Mme de Pompadour, qui restera sa maîtresse-amie pendant vingt ans, et lui-même sont mariés), il décide, pour ne pas encourir plus avant les foudres divines, non de se confesser une fois l'an afin de se laver de ses péchés et de mieux y resombrer mais bel et bien de ne plus communier du tout. Seules les maladies occasionnelles et l'attentat de Damiens le feront renoncer à cette résolution qui fait de lui, l'"Oint du Seigneur", un mécréant.

En ce siècle des Lumières, bourgeois et pauvres gens sont certes touchés par l'air de liberté de conscience que font souffler les Philosophes. Mais le Roi reste le Roi et c'est son caractère religieux qui assure la légitimité de son pouvoir. Supprimons ce caractère, que reste-t-il ? ...

Tout est prêt pour 1789.

De lecture légèrement plus ardue que les volumes précédents, "La Reine et la Favorite" n'en constitue pas moins un ouvrage essentiel pour une meilleure compréhension du naufrage final de l'Ancien régime. Historiomaniaques, n'hésitez pas à le lire et, surtout, à vous procurer la série intégrale dont nous aborderons bientôt le dernier volet : "Marie-Antoinette l'Insoumise." ;o)