''The Nowhere City'' Traduction : Elisabeth Gille

Eh ! bien ! ça y est ! Dès le deuxième roman d'Alison Lurie, j'ai retrouvé tout - et j'écris bien tout - ce qui m'avait enchantée lorsque j'avais lu "Femmes et Fantômes." Et avant tout sa prodigieuse alacrité qui confère à son ton - plus qu'à son style au sens premier du terme - quelque chose d'inimitable et que, en anglais, on pourrait appeler la "Lurie touch."

Comme dans "Les Amours d'Emily Turner", tout commence par un couple qui emménage. Plus précisément, Paul Cattleman a débarqué en éclaireur dans la petite ville de Mar Vista (Californie) pour y prendre le poste de biographe que lui offrait la Société Nutting, laquelle travaille avec le gouvernement. Paul est un brillant diplômé en histoire et en littérature de l'université de Harvard mais, n'ayant pu y décrocher une chaire, il se voit contraint d'emprunter une autre voie.

Oh ! à titre bien provisoire, comme il ne cesse de le répéter à sa femme, Katherine, laquelle est beaucoup moins enthousiaste que lui à l'idée de s'installer ne fût-ce que pour un an à Mar Vista. Katherine s'est d'ailleurs fait tirer la patte pour suivre Paul mais, quand s'ouvre le roman, elle vient quand même de le rejoindre dans une petite maison dont elle déteste d'emblée les couleurs certes criardes mais en accord avec le climat californien.

Si le personnage de Katherine nous apparaît tout d'abord comme celui d'une femme qui fait beaucoup d'histoires pour pas grand chose, très vite, Alison Lurie s'amuse à retourner la situation. Paul, qui trouve tout naturel de tromper sa femme, se laisse tomber dans les bras de Cecile O'Connor, qui tient à la fois de la beatnik et de la hippie. Et l'on comprend aussi très vite que, sous des dehors faussement décontractés, notre jeune universitaire est aussi sexiste que l'était Holman Turner dans "Les Amours ..." : de sa maîtresse, il attend certains plaisirs que son épouse légitime ne doit surtout pas connaître. Bref, vous voyez le genre ? ...

Plus ou moins délaissée par son mari sous l'éternel prétexte du travail, Katherine ne songe pas tout d'abord à lui rendre la monnaie de sa pièce - car elle se doute bien qu'il y a anguille sous roche. Puis, les circonstances faisant le larron ...

Le sommet du livre intervient lorsque le lecteur réalise que Paul, ayant perdu tout espoir de se fixer avec Cecile, en conclut qu'il lui est désormais impossible de vivre en Californie. Lui qui, en dépit des réticences de Katherine, en était venu à envisager de s'installer définitivement à Mar Vista, retourne alors sa veste et se met à rêver à nouveau de la Nouvelle-Angleterre.

Seulement, quand il prendra l'avion pour Convers - clin d'oeil au livre précédent - ce sera sans Katherine. Désormais surnommée "Kay" par les nombreuses relations qu'elle s'est faite à Mar Vista, Venice et même Hollywood, Katherine n'a plus du tout envie de jouer les roues de secours pour le char triomphal de son époux.

C'est acerbe et désopilant mais attention : on ne rit jamais aux éclats, c'est beaucoup mieux amené. Avec ça, Alison Lurie façonne des personnages secondaires qui réussissent le tour de force de se révéler incroyables et pourtant très humains comme Iz, le psychiatre et son épouse, Glory, la star hollywoodienne.

A lire, et même avant "Les Amours d'Emily Turner." ;o)