Qu'on apprécie ou pas l'homme qu'il fut, Gide, même de nos jours, demeure un écrivain incontournable. Tout d'abord à mon sens parce que, à sa manière, il tenta d'innover. Ne peut-on pas voir en effet dans "Les Faux-Monnayeurs" un roman précurseur de l'esthétique - ou de l'absence d'esthétique ;o) - du "Nouveau Roman" ?

Résumer l'intrigue de ce livre qui n'est pourtant pas un pavé est voué à l'échec. Disons que, en gros, le rejet de la famille si cher à son créateur et l'homosexualité constituent la trame du récit.

Bernard Profitendieu - on reconnaît bien là l'acidité gidienne - vient de découvrir qu'il n'est pas le fils de son père. Il faut dire que, déjà, ses relations avec celui-ci ne sont pas des meilleures puisqu'elles se placent sous le signe du mépris. Exalté comme on l'est souvent à l'âge de 17 ans, il décide sur le champ de quitter l'appartement familial après avoir laissé une fort belle lettre à son père avoué. Et il demande un asile provisoire à un ami de lycée, Olivier Molinier, qui, lui, est amoureux de son oncle Edouard.

Comme Bernard a besoin de gagner sa vie, Edouard l'engage en tant que secrétaire particulier et tous deux s'en vont en voyage, laissant derrière eux un Olivier délaissé et jaloux qui, comme en représailles, se laisse séduire par le comte de Passavant, un dandy pédéraste qui tient assez de Dorian Gray mais un Dorian bien plus stupide (et bien moins beau garçon) que l'original.

Sous cette influence détestable, Olivier s'aigrit, devient violent, brutal, méchant même. Gide en profite pour nous le représenter à une soirée littéraire où il croise Alfred Jarry et quelques autres - et ce moment-clin d'oeil est un véritable petit régal. Fort heureusement, Edouard, qui fait partie des invités, parvient à récupérer son neveu et ...

... et tout se termine bien - quoique de façon assez a-morale - sauf pour le personnage de Boris, un jeune garçon qui sert en quelque chose à Gide, éternel torturé, de victime expiatoire.

Mais plus que l'intrigue en elle-même - ou plutôt des intrigues car plusieurs autres viennent se greffer sur le tronc central - ce sont l'habileté avec laquelle Gide entremêle le tout et la décision avec laquelle il applique le procédé de la mise en abîme qui retiennent l'attention du lecteur. L'oncle Edouard en effet se propose d'écrire un roman qui s'intitulera ... "Les Faux-Monnayeurs" et, çà et là, des extraits de son journal personnel s'intercalent dans un récit qui n'est linéaire qu'en apparence. Et à cette première "mise en abyme", s'ajoute celle de l'Auteur qui intervient au chapitre VII de la deuxième partie et qui semble bien être Gide lui-même.

On affirme souvent que "Les Caves du Vatican" constitue le chef-d'oeuvre de Gide - je suis assez de cet avis-là. Mais ce serait une erreur de passer auprès d'oeuvres comme "Les Faux-Monnayeurs" qui montre bien la volonté de l'auteur de rompre - en tous cas d'essayer de rompre - avec le récit classique tel que l'avaient laissé les grands auteurs du XIXème siècle. Sachant cela, il est sans doute plus facile de comprendre pourquoi "La Recherche ..." - avec ou sans vertèbres ;o) - n'a pas "accroché" Gide à la première lecture.