Mon premier coup de vieux authentique est survenu à ta mort. Quand notre mère m'a téléphoné pour me prévenir que, en se réveillant, elle t'avait découvert, tout froid, tout raide, sur ton lit, j'ai vieilli.

D'un seul coup et de façon aussi subtile qu'irrémédiable.

Dans une fiction, mes cheveux auraient peut-être blanchi en une seule journée. Dans une fiction, j'aurais peut-être été incapable de réagir. Dans une fiction, j'aurais peut-être dit que je n'y pouvais rien et que, d'ailleurs, je ne voulais ni ne pouvais bouger d'un pas.

Les fictions sont si romantiques, n'est-ce pas ?

Malheureusement, ce n'était pas une fiction, c'était la vie de tous les jours, un matin dont je ne me rappelle aucune autre caractéristique si ce n'est cette voix noyée de notre mère, ces larmes qui étaient plus celles d'une enfant affolée que d'une adulte responsable et cette question qui revenait sans cesse : "Que vais-je devenir maintenant que ton frère est mort ? ..."