Je crois que mon corps ne m'a jamais appartenu, qu'on ne nous a jamais présentés l'un à l'autre. Et que tout le mal vient de là.

D'abord, il y a eu l'éducation catholique de ma grand-mère et de ma mère. Bien que j'aie pour la première un amour qui ne cessera pas même avec la Mort, je reconnais que cette femme de devoir en était marquée : lorsqu'elle faisait sa toilette le soir, n'allait-elle pas jusqu'à se "désinfecter" (sic) le sexe avec de l'alcool à brûler ?

Ma mère, quant à elle, c'est le contraire. Elle n'a jamais eu une hygiène réelle. Du temps de mon père, sans doute - et encore. (Je pense même que mon père en a souffert car il était pour sa part d'une propreté quasi clinique.) Mais depuis 1972 ... Passons pour l'instant : j'en parlerai peut-être un jour.

Ma mère cependant continue à considérer le sexe comme "sale."

Ce qui ne l'empêcha nullement de tolérer la perversion de mon père à mon égard.

Bref.

De l'union de cette éducation rigide et faussée avec ladite perversion, devait naître la honte que j'ai toujours éprouvée envers mon corps.

Il y en a qui s'auto-mutilent (la boulimie et l'anorexie sont des formes subtiles d'auto-mutilation, d'ailleurs), d'autres qui se suicident carrément.

Chez moi, le corps seul est suicidant. L'esprit, lui, est combatif même si la vie et l'âge rattrapent le corps, bien évidemment. Mais chez moi, hélas ! l'esprit - et il est puissant - nie le corps.

__Ce qui fait que, bien que destiné à vivre dans mon corps, mon esprit a conservé un pied-à-terre (ou un pied-au-ciel ?) en-dehors de ce même corps. Et comme il s'y plaît mieux qu'ailleurs, il y habite la plupart du temps.

Il lit, il tape avec frénésie sur le clavier de l'ordinateur, il se plonge dans des DVD ou dans des CD et des jeux-vidéos, c'est ainsi qu'il rejoint sa petite garçonnière où il se love bien au chaud, dans cet amour et cette présence qu'il n'a jamais savourés pleinement dans son corps originel - sauf au temps de ma grand-mère.__

Alors, forcément, quand il est obligé de regagner son domicile principal pour assumer les obligations de la vie quotidienne, il a froid, il est maussade, malheureux et guère motivé.

Il faut le comprendre, tout de même ...