Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - littérature britannnique XXème siècle

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vendredi, novembre 30 2012

Naufrages - Yoshimura Akira

Hasen Traduction : Rose-Marie Makino-Fayolle

ISBN : 9782742746514

Extraits Personnages

Considérablement plus court que "La Guerre des Jours Lointains", "Naufrage" confirme à nos yeux le grand talent de Yoshimura Akira. Style simple et poétique, sans les lourdeurs chirurgicales du roman sur la Défaite japonaise, personnages simples eux aussi mais confrontés à des problèmes hélas ! qu'ils ne sauraient maîtriser, intrigue en apparence très simple mais qui soulève avec habileté l'éternelle question du destin des hommes, de la fatalité et même du libre-arbitre. Simplicité, comme on le voit, est ici le mot-clef.

Dans un minuscule village côtier, les habitants, tous pêcheurs, se battent au quotidien pour assurer la survie de leur famille. Quand les temps deviennent trop durs, certains, hommes et femmes, adolescents et jeunes filles, vont au village voisin se "vendre" pour un certain nombre d'années à un employeur, lequel leur accorde en contrepartie une somme d'argent qui, dans bien des cas, sauve leur famille de la famine. C'est ainsi que s'en va, pour trois ans, loin des siens, le père de notre jeune héros, Isaku.

Yoshimura nous conte ce qui se déroule durant ces trois années : la solitude qui accable la Mère, toujours amoureuse de son mari ; les mille et une tâches au-dessus de son âge que doit prendre à sa charge Isaku, neuf ans, l'aîné de la fratrie ; la hantise de la Faim qui plane sur tous ; les naufrages provoqués par les villageois ainsi que le faisaient déjà leurs ancêtres ; le pillage des épaves, organisé avec la plus stricte rigueur ; la distribution égale des vivres ainsi obtenues ; la ronde des saisons, scandée par les marées ; et la dérive, un jour, d'un bateau abandonné, n'ayant à son bord que des cadavres vêtus de somptueux kimonos de soie rouge ... Le texte est à la troisième personne mais le point de vue adopté est toujours celui d'Isaku.

Avec un minimum de moyens et sans jamais chercher à se poser en juge ou en moraliste, l'auteur fait revivre l'existence abrupte, difficile et parfois quasi animale qui était celle des humbles - ce sont ici de simples pêcheurs mais cela aurait pu être des agriculteurs - dans un Japon féodal que le lecteur perçoit plus proche du XVème ou du XVIème siècle que de l'Ere Meiji. Ses personnages sont durs ou plutôt se forcent à l'être parce qu'ils ont compris, et leurs pères avant eux, qu'il vaut mieux être parmi ceux qui mangent qu'au nombre de ceux qui sont mangés. S'il existe sans doute parmi eux un ou deux psychopathes en puissance, fort satisfaits de massacrer des marins survivants au lieu de leur venir en aide, Yoshimura ne le souligne pas. Les grands feux que les pêcheurs allument l'hiver sur le sable de la plage, afin, dans le langage officiel, de "récolter le sel", ces grands feux susceptibles de faire croire aux marins naufragés qu'ils trouveront là de l'aide alors que c'est la Mort seule qui les attend, ne sont pas l'oeuvre de démons sans âme mais celle de pauvres malheureux à qui le Destin ne laisse pas d'autre choix : c'est tuer ou être tué.

Jusqu'au bout d'ailleurs, le Destin s'acharne sur les pêcheurs, comme s'il voulait les punir de ce qu'il les contraint à accomplir. Soulagés pour une fois de n'avoir eu à achever aucun marin en détresse, voilà nos villageois tout heureux à l'idée que, faute de mieux, on va leur distribuer les fameux kimonos en soie écarlate. Retaillés, ils constitueront de splendides vêtements de fête, pour leurs femmes comme pour leurs enfants qui n'auraient jamais songé en posséder un jour d'aussi beaux.

Mais la soie si belle est infectée par la petite vérole et l'épidémie se déclare très vite, éradiquant les plus faibles, défigurant ceux qu'elle accepte de laisser vivre après les avoir ravagés et aussi, avec une étrange magnanimité, en épargnant tout simplement certains, dont Isaku. Les morts enterrés selon les rites, les survivants désormais porteurs de la maladie sont bannis dans les forêts voisines, où il ne survivront que très peu de temps. Quant à ceux que la maladie n'a pas touchés, ils se retrouvent seuls, tel Isaku qui, après avoir perdu sa petite soeur, a vu sa mère et son frère s'éloigner dans le cortège des bannis. Les trois ans fatidiques se sont écoulés, son père est de retour mais leur monde ne s'est-il pas écroulé ? ...

Un roman d'une grande puissance dramatique, qu'on peut qualifier, dans sa simplicité et son impartialité absolue, de sublime, ce sublime dont certains grands auteurs japonais ont le secret et qui n'est pas sans évoquer la pureté des tragédies grecques : sobre et vibrant, universel et serein. Un livre à ne pas manquer.

jeudi, février 23 2012

Le Papier Tue-Mouches - Elizabeth Taylor

Devastating Boys Traduction : Nicole Tisserand

Extraits Personnages

Ce recueil de onze nouvelles réserve sans doute moins de "chutes" que "Cher Edmund." Pour autant, il ne lui est en rien inférieur.

"Irrésistibles Vandales", première histoire du lot, qui donne son titre à l'édition anglaise, est le récit, tout en suggestions et en délicatesse, du séjour de deux petits Noirs, Sep et Benny, issus des quartiers difficiles de Londres, chez un couple de notables ruraux dont le mari a des opinions nettement "labour." C'est surtout l'épouse, Laura, qui va s'occuper d'eux tout au long de la quinzaine qu'ils passent dans la paisible campagne anglaise. D'abord maladroits, tantôt se voulant supérieurs parce que "urbains", tantôt feignant l'indifférence aux joies qu'ils découvrent, Sep (pour Septimus) et Benny finiront, à la fin de l'histoire, par se révéler de simples enfants en mal d'affection et d'attention. Et Laura, tout d'abord parniquée par leur arrivée, les verra la quitter avec nostalgie.

La troisième nouvelle, "La Grande Perche", met aussi en scène un personnage de couleur, Jasper, qui a trouvé un modeste emploi à Londres et envoie régulièrement une grande partie de son salaire à sa mère, restée au pays avec ses deux petites soeurs. Simple et sans malice, Jasper est aussi de ces gens qui, sous n'importe quelle latitude et dans n'importe quelle circonstance, sont heureux de vivre. Les pages qui lui sont consacrées reflètent admirablement cet art de la vie qu'il cultive avec naturel, sans même s'en rendre compte.

Nostalgie encore avec "Eloges", où la première vendeuse du rayon de vêtements pour dames d'un grand magasin londonien, Miss Smythe, arrive au jour de sa retraite. Une retraite qu'elle attend évidemment avec impatience. Mais sur le chemin du retour, le soir, chez elle, dans le train de banlieue, elle réalise que c'est aujourd'hui pour la dernière fois qu'elle croisera tel voyageur ou tel autre que, peu à peu, au fil de toutes ces années, elle avait appris à connaître. Qu'importe ! Après un bref moment d'abattement, Miss Smythe redressera la tête et partira vers sa retraite ...

"Oeuvre de Chair" est un petit bijou de tendresse et de sensualité dont les héros, Phyl, épouse en vacances d'un propriétaire de pub londonien, et Stanley, un homme seul, se rencontrent et sympathisent lors d'un voyage organisé. Ce sont des gens tout ce qu'il y a de plus ordinaires, tous deux gros buveurs et gros mangeurs, tous deux sur le retour, tous deux bruts de décoffrage si l'on peut dire (quoique Phyl soit plus raffinée) et c'est sans doute pour cela qu'ils nous touchent. Leur romance n'aura peut-être pas la fin souhaitée par Stanley mais il se dégage de ce récit une telle douceur et une telle authenticité que le lecteur ne s'en plaindra pas. Pas plus que Phyl d'ailleurs.

"Miss A. et Miss M." prouve, avec élégance et cruauté, que dans un couple, fût-ce celui de deux êtres du même sexe, l'un aime toujours plus que l'autre et risque son coeur et parfois sa vie au jeu de la passion. Le tout est raconté par une adolescente qui, sans trop l'analyser, a, selon l'expression consacrée, "le béguin" pour un professeur qu'elle admire bien à tort, Miss A.

"Crêpes Flambées" se déroule dans un pays maghrébin où deux touristes anglais, de retour pour les vacances, recherchent en vain un groupe d'Arabes avec lesquels ils avaient sympathisé l'année précédente. Finalement, ils tombent sur le chef du groupe, Habib, qui leur affirme être devenu chef-cuisinier dans un hôtel-restaurant de luxe. Mais quand nos deux héros s'y pointent pour lui faire une surprise, pas d'Habib à l'horizon ... Empreinte de tristesse malgré les couchers de soleil radieux qu'elle dépeint en parallèle, cette nouvelle révèle que son auteur avait pris le temps d'étudier la société patriarcale maghrébine.

Viennent ensuite les nouvelles "à chute" :

1) "L'Excursion à la Source", où deux Anglaises en vacances en France finissent par trouver ce qu'elles cherchaient l'une et l'autre, la première, Gwenda, autoritaire et intéressée, la seconde, la lumineuse Polly, avide d'absolu.

2) "D'une Maison A L'Autre", de loin la plus drôle, la plus ironique du lot, où une petite concierge en herbe, la jeune Kitty, actuellement en vacances, va d'une maison à une autre dans le petit village qu'elle habite, colportant les rumeurs les plus exactes comme les plus exagérées et jouant ainsi le rôle d'une gazette locale vivante.

3) "Soeurs" révèle la regrettable histoire familiale de Mrs Mason, femme discrète et plutôt collet monté, qui a eu la malchance d'avoir pour soeur une extravertie de quelque talent, devenue romancière célèbre. Dans son oeuvre, la romancière n'a cessé de modifier le profil général de la famille qui était la sienne, mentant et déformant sans vergogne et prêtant notamment au personnage de Mrs Mason des comportements et des paroles d'une incorrection effarante - comportements et paroles qu'elle n'a évidemment jamais eus ni tenues.

4) "Hôtel du Commerce" voit deux jeunes Anglais en voyage de noces prendre pension pour un soir dans un hôtel où leurs voisins de chambre vont leur servir durant la nuit une sérénade d'insultes et de reproches conjugaux avant, au matin, de ... mais chut !

5) et enfin l'inquiétant et accablant "Papier Tue-Mouches" dont on comprend vite pourquoi l'éditeur français a choisi de lui donner l'honneur du titre principal. Pour le résumer, disons simplement que, si les victimes de Michel Fourniret et de son horrible compagne avaient lu cette nouvelle glaçante et glacée, elles seraient peut-être toujours en vie.

Elizabeth Taylor était un grand écrivain, croyez-moi.