Les Manuscrits Ne Brûlent Pas.

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Tag - inceste

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mardi, janvier 31 2012

L'Histoire de Bone - Dorothy Allison

Bastard Out Of Carolina Traduction : Michèle Valencia

J'avais ce livre sous le coude depuis près de quatre ans et je ne me décidais pas à le lire. Bien que j'achète régulièrement des ouvrages traitant de l'inceste, il me faut parfois bien du temps pour "passer à l'acte" et les lire.

"L'Histoire de Bone" a en effet pour pivot les violences incestueuses que lui fait subir son beau-père, Glenn Waddell, un bon à rien que sa mère a épousé non sans méfiance, après qu'il lui eût fait la cour pendant près de deux ans mais dont elle a fini, hélas ! par tomber éperdument amoureuse, corps et âme.

La petite Ruth, surnommée "Bone" en raison de la finesse de sa morphologie, est née alors que sa mère avait tout juste seize ans. De son père, on ne sait pratiquement rien, si ce n'est qu'il était marié. Dans cette Caroline du Sud qui émerge à peine de la Seconde guerre mondiale, le statut de bâtarde n'est guère enviable mais, heureusement pour Bone, elle est entourée par la chaleur et l'affection de ses innombrables tantes et oncles maternels.

Bone a une soeur, Reese, née de l'union légitime de sa mère avec Lyle, un ouvrier agricole qui est mort dans un accident stupide.

Quand paraît pour la première fois l'ombre de Glenn Waddell, Bone et sa soeur n'ont pas vraiment d'a priori. Il leur semble aimer passionnément leur mère - et c'est sans doute vrai - et fait du mieux qu'il peut pour leur manifester, à elles aussi, un minimum d'affection.

Mais le jour même où sa mère accouchera du fils mort-né de Glenn, Bone comprendra tout son malheur ...

Il n'y a, dans ce roman qui dépeint à la fois une perversion sexuelle plus fréquente qu'on ne le croit et la pauvreté d'un certain milieu paysan, aucune volonté de mélodrame. Tout y est brut et carré, magnifié par cette haine douloureuse qui, tant d'années après, déchire encore l'auteur. Car, même après le viol de sa fille, la mère accepte de suivre Glenn qui, peu soucieux des foudres de la justice, quitte l'Etat .

Dans des conditions pareilles, peut-on pardonner ? Au violeur, non, car - et la photographie de l'auteur vous le prouvera aisément - la chair demeure à jamais marquée. A la mère, alors ? ... Dans cette histoire, la mère se contente au début de laisser Glenn "corriger" son aînée et elle ne semble pas comprendre qu'il prend un plaisir purement sexuel à ce qu'il se passe entre l'enfant et lui derrière la porte fermée de la salle-de-bains. Certes, elle soigne ensuite l'enfant et l'on peut croire qu'elle aime sa fille ...

Mais ...

Dans ces histoires-là, il y a toujours un "mais."

Quand on aime vraiment son enfant, on ne laisse pas une brute se venger sur lui des déceptions que lui cause, entre autres exemples, sa recherche d'un emploi. Puis, quand ces "corrections" deviennent quasi quotidiennes, on a l'honnêteté de se poser des questions. Enfin, quels que soient les sentiments que l'on éprouve envers la brute en question, on se doit de mettre ses enfants à l'abri. C'est ce que finira par faire d'ailleurs la mère de Bone mais seulement quand le viol sera devenu effectif - en d'autres fermes, quand elle ne pourra plus se voiler la face ou la détourner ... Sa fille a alors treize ans : sa destinée est scellée ; pour elle, qui doit déjà vivre avec la "tache" de la bâtardise, il est trop tard.

Je doute fort que Dorothy Allison ait pardonné à sa mère. Mais le pire, c'est que je doute tout autant qu'elle soit parvenu à éteindre en elle tout amour filial et que je sais que cette toute petite braise doit cohabiter avec un maelstöm de haine pratiquement ingérable.

Sauf par l'écriture qui, en pareilles circonstances, mérite plus que jamais son titre de "don des dieux." ;o)

lundi, août 2 2010

Chronique de la Maison Assassinée - Lúcio Cardoso (Brésil)

Crónica de casa assasinada Traduction : Mário Carelli

Extraits Personnages

Beau et cruel comme un crocodile émergeant des marais brumeux, "Chronique de la Maison Assassinée" a tout de ces plantes singulières et vénéneuses qui poussent dans la jungle amazonienne. Une plante énorme, monstrueuse, s'élançant vers le ciel dans le seul but de faire la peau aux anges, aux bienheureux et à Dieu par dessus le marché, un tronc souple et massif, gorgé de sèves mystérieuses et de sang torturé, prêt à digérer quiconque s'oppose à ses volontés dévastatrices.

Le style de Cardoso est à l'image de sa création : ample, avec des replis curieux et compliqués, une somptuosité rare dans la description du Domaine des Meneses et une virtuosité sans pareille lorsque vient le moment d'analyser les secrets de l'âme humaine, pesée à l'aune d'un catholicisme omniprésent, source de trop d'inhibitions, de trop de tabous et de trop de convenances.

Alambiqué, pourrait-on dire aussi : c'est que, même à un lecteur passionné, il faut beaucoup de temps pour s'immerger intégralement dans cet océan de phrases qui brasse tant d'émotions : amour, haine, passion, désespoir, inceste, mensonge, sexe et absence de sexe, désir, dégoût, homosexualité, rejet, décadence, fascination pour la Mort et ses plus charnelles manifestations.

Il vient même une minute où le lecteur hésite : "Je continue ? J'arrête ? ..." Et puis, soudain, le déclic se fait et l'intrigue prend sa volée. Le livre-plante étend ses lianes et ses feuilles dans toutes les directions, résolu à porter son lecteur jusqu'au bout (et peut-être même au-delà) d'une expérience que, jusqu'ici, il n'a pas encore vécue. Car le roman de Cardoso est absolument hors-normes : ses personnages flirtent longtemps avec le mélodrame avant de se révéler dans une tragédie que les Anciens Grecs auraient appréciée, leurs pensées, leurs émotions s'étalent et serpentent sans retenue dans des paragraphes aussi touffus qu'une jungle baroque et l'ensemble mêle la poésie la plus pure à la sensualité la plus large et la plus outrancière.

Outrancier, oui, serait un mot parfait pour qualifier ce roman atypique et fascinant, qui hypnotise lentement son lecteur sans que celui-ci en prenne conscience à temps. Mais j'écris "serait" parce que, en dépit des doutes que peut concevoir le lecteur au premier tiers de l'ouvrage, l'intrigue imaginée par Cardoso est menée de main de maître. Bien que le traducteur parle dans sa postface de certaines "incohérences", tout - y compris la chute finale - se tient dans "Chronique de la Maison Assassinée."

Un livre étonnant, aussi énigmatique que ses deux héroïnes - Nina et Ana - un livre qui, si vous lui faites confiance jusqu'au bout, ne vous décevra pas. ;o)