Suspicious River Traduction : Anne Wicke

A vingt-quatre ans, Leila traîne une vie sans avenir et sans surprises dans une petite ville américaine nommée Suspicious River. Elle a épousé, nous dirons par convenances même si l'expression étonne pas mal à notre époque, le garçon dont elle est jadis tombée enceinte. Pourtant, elle avait décidé d'avorter mais, malgré tout, les parents de Rick ont tout fait pour que les jeunes gens régularisent leur situation.

C'est que Leila a connu une enfance houleuse, entre un père (presque) toujours absent et une mère qui, pour des raisons financières et/ou par goût personnel, se faisait entretenir par une ribambelle d'amants - dont son beau-frère, "l'oncle Andy". Un jour, les choses ont mal tourné et elle a été assassinée. Le pire, c'est que c'est sa fille, alors toute jeune mais en âge de réaliser l'horreur de la situation, qui l'a découverte.

Tout le monde a plaint Leila, tout le monde a plaint son père. Et la pitié engendre des réactions - et des situations - qui, bien qu'inspirées par les meilleures intentions du monde, peuvent emprisonner ...

A sa façon, Leila tente de se libérer. En tous cas, elle se l'imagine en se prostituant aux clients du motel dont elle est la standardiste. Mais, plus qu'une course à la liberté, n'est-ce pas plutôt une course à l'auto-destruction qu'elle entreprend là ?

Kasischke possède un style elliptique. Non sur le plan grammatical mais par la manière dont il exprime les idées de l'auteur et ordonne la structure du roman. Les personnages sont présentés de manière très brute, et sous la seule optique de l'héroïne. Au niveau de celle-ci, il y a une certaine analyse des sentiments et des motivations mais, de façon générale, c'est au lecteur de deviner, de faire les liens, d'aller au-delà de ce que veut bien lui dire l'auteur.

D'habitude, je n'apprécie pas cette façon de faire. Aussi ai-je été assez étonnée de constater que, cette fois-ci, ça marchait et je voulais aller jusqu'au bout de l'histoire - même si la fin est sans surprise. Julie parlait plus haut de poésie et c'est vrai que cette dimension est ici très présente (ceci même si certaines images m'ont paru plutôt tirées par les cheveux ...) Mais j'ai ressenti autre chose : l'impression très nette que Kasischke ne jouait pas à se trouver un style, que sa manière était innée - même si elle a certainement appris à le travailler - et qu'elle ne pouvait faire autrement. Plus étonnant encore : que, avec un tel amour de l'ellipse et du non-dit, la romancière trouve le moyen d'être aussi présente aux côtés de son lecteur.

En un mot, "A Suspicious River" donne envie de lire d'autres livres de son auteur. Pour un premier roman, c'est très bien. ;o)