"Maman" est, paraît-il, le mot auquel nous revenons tous lorsque vient notre dernière heure. Il n'est pas pourtant, peu s'en faut, le premier qu'un bébé prononce (en général, c'est "Non"' et puis "Papa", plus simples dans leur consonance). En tous cas, quand on est dans les ennuis jusqu'au cou et si on a eu la chance d'avoir une mère digne de ce nom, c'est en général vers celle-ci que l'on se tourne, dans l'espoir d'être consolé, pardonné, soutenu, aimé. Tous les psys du monde n'y pourront rien : eux-mêmes, au plus profond de leur intimité, sont tributaires de ce sentiment qui nous ramène à cette heure chaude et douce où, flottant dans une piscine privée et idéale, nous n'avions nul autre souci que de prêter notre oreille alors naissante à certains bruits bien mystérieux qui nous parvenaient de l'extérieur, cet Extérieur si lointain où, nous le pressentions déjà, plus jamais nous ne connaîtrions la sécurité.

Ce sont ces sentiments qui ont inspiré ce très beau livre de Jean-Marie Montali et Anne de Marnhac, publié chez La Martinière.

S'y trouvent rassemblées plus d'une centaine de lettres émanant de personnalités de la littérature (Flaubert, Cocteau, Léautaud, Faulkner, Proust, etc ...), de l'Art (Van Gogh, Mozart, Berlioz, etc ...), de la politique (De Gaulle, Bonaparte, Staline, etc ...) et enfin du quotidien (de nombreux anonymes des dernières guerres ...). Toutes adressées à leur mère. Leur mère réelle ou leur mère rêvée (pour Léautaud ou pour Simenon par exemple).

Comment résumer de tels textes ? La chose est impossible. Certains sont vifs et alertes, d'autres tendres et attentionnés. Dans beaucoup d'entre eux, se dessine le profil du petit garçon qui roulait des mécaniques devant sa mère et qui éprouve toujours et encore le besoin de l'éblouir par ses prouesses tout en lui faisant comprendre que, sous la brillante armure, survit - encore et toujours - le petit enfant qui avait peur dans le noir et qui aimait que sa mère le câline pour le consoler. La lettre, assez courte, que Staline signe pour sa mère de son diminutif, "Sosso", en est un exemple typique.

Parmi toutes ces lettres et extraits de lettres, les documents les plus émouvants (pour moi en tous cas) restent les lettres de Paul Léautaud à sa mère où l'écrivain révèle une soif d'amour telle qu'il serait prêt à tout endurer de la part de celle à qui il s'adresse pour en obtenir la plus minuscule des miettes ; celle - sublime de tendresse et de lucidité - de Georges Simenon à sa mère décédée ; celles, bourrées de tendresse, de timidité et du désir presque insoutenable de bien faire à tous prix, de Colette de Jouvenel à la grande Colette ; et bien sûr celles de tous ces hommes, de tous bords, de toutes époques, qui sont partis se faire tuer en suppliant leur mère de ne pas avoir de peine quand elle l'apprendrait.

Seul bémol : il y a très peu de lettres de femmes dans ce livre : Mme de Staël, George Sand, quelques autres ... Mais les femmes n'ont pas, c'est vrai, le même rapport avec la Mère. Les auteurs ont par contre exposé les réponses de Colette à sa fille et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles sont édifiantes ... (!!)

Un livre rare, fort beau de surcroît, dont on peut déguster les innombrables friandises dont il déborde soit de manière chronologique, soit en les picorant de-ci, de-là, au gré de l'humeur du jour. ;o)