On aura remarqué depuis longtemps l'indescriptible volupté avec laquelle Saint-Simon rapporte toutes les histoires secrètes des plus grandes familles. Avec le soutien accordé par le cardinal de Bouillon à Fénelon, l'occasion lui est fournie d'exposer en long et en large les nombreuses raisons qu'avaient les Bouillon (qu'il orthographie, selon l'usage du temps, avec un "s") d'en vouloir aux Noailles, que la faveur de Mme de Maintenon avaient portés au plus haut et qui, bien entendu, dans l'affaire Fénelon-Guyon, ne pouvaient que prendre fait et cause pour leur bienfaitrice et parente :

... ... Les Bouillons et les Noailles étaient ennemis de tous les temps : les principales terres des Noailles étaient dans la vicomté de Turenne ; ce joug leur était odieux, ils le voulaient secouer. Le procès en était pendant* depuis nombre d'années, et se reprenait par élans, avec une aigreur extrême et jusqu'aux injures, jusque là que les Bouillons avaient reproché aux Noailles, dans les écritures du procès, qu'un Noailles avait été domestique** d'un vicomte de Turenne de leur maison.

C'était avec un dépit extrême qu'ils voyaient briller les Noailles dans la splendeur des dignités, des charges, des emplois et du crédit, et ce fut avec rage que le cardinal de Bouillon vit arriver M. de Châlons à l'archevêché de Paris, où (lui-même) avait tâché d'atteindre autrefois, et devenir incessamment*** son confrère par le cardinalat. ... ..."

* : le procès était en cours.

** : le mot "domestique" signifie "attaché à la maison des Turenne" mais désigne un aristocrate. Il ne peut en aucun cas être pris dans le sens que nous lui donnons de nos jours.

*** : M. de Châlons n'allait pas tarder à devenir cardinal.