Avant de nous aventurer plus loin, il convient de se mettre d’accord sur ce que signifie le mot "quiétisme." Au sens large, nous avons affaire à un élément commun à la philosophie hindoue, au néo-platonisme d’Alexandrie et au mysticisme chrétien. On voit donc qu’il vient de loin. Son but est d’amener l’homme à la contemplation pure de Dieu, seule capable d’engendrer en lui un amour tout aussi pur. Pour ce faire, le quiétisme exige la mort de la volonté personnelle.

Mais pour les ennemis de Fénelon, le terme « quiétisme » désigne exclusivement une méthode pour prier. Ladite méthode enseigne qu’il faut prier sans penser aux attributs de Dieu (la Sainte-Trinité, par exemple, principe si difficile à comprendre pour le commun des mortels), sans se préoccuper du bien d’autrui ou même du sien, encore moins du salut de son âme. Peu importe également d’accomplir ou pas tous les actes extérieurs si chers aux pratiquants : pénitences, mortifications, combat face à la tentation, tout cela est désormais secondaire, voire inutile.

Bref, on prie pour le seul plaisir de prier, pour jeter l’âme dans une exaltation spirituelle qui n’est pas sans évoquer – mais cela ne se faisait évidemment pas à l’époque – les transes des shamans, le tournis des derviches, les excès de certains starets russes, etc … Avec cette différence que l’oraison quiétiste se veut passive. Et elle sous-entend que l’état de félicité dans lequel se retrouve le croyant est une forme de perfection éternelle : la contemplation éternelle et merveilleuse de Dieu dans son unité.

Contrairement à ce que l’on croit souvent, Miguel de Molinos n’a pas inventé cette doctrine qui apparaît par taches à cette époque, çà et là, dans de très nombreux écrits et prédications, dans toute l’Europe. Il s’est contenté d’en faire la synthèse et c’est ainsi que sa « Guide spirituelle pour dégager l’âme des objets sensibles … » a remporté le succès que l’on sait avant d’être formellement condamnée par Innocent XI.

Au XVIIème siècle, ne plus se soucier de la Trinité, de la Résurrection et aller jusqu’à estimer que l’âme pouvait accéder à la béatitude pourvu qu’elle supposât sa damnation voulue par Dieu lui-même, cela sentait le souffre et, pour tout dire, le souffre huguenot. En effet, toute cette passivité s’opposait aux « œuvres. » La confession devenait inutile, l’aumône tout autant. Molinos alla jusqu’à prétendre que les souillures du corps – le fameux « péché » - étaient sans gravité du moment que l’âme, elle, demeurait absorbée dans sa contemplation de Dieu. Dans de telles conditions, il est normal que l’Eglise catholique se soit sentie menacée.

Du côté des philosophes et des scientifiques de l’époque, c’était un peu le même son de cloche. Le quiétisme de Molinos niait le libre-arbitre et donc la raison et, par là-même, il niait la connaissance. Malebranche et Leibniz allaient donc se ranger aux côtés de Bossuet dans la querelle. Seul un disciple de Spinoza se risqua, en Hollande, à fonder une secte théologique dont les idées sont très proches du quiétisme.

              

Miguel de Molinos, les poignets liés par des chaînes qui demeurent visibles - Il mourut dans les geôles de l'Inquisition, à Rome, le 28 décembre 1696.