Revenons maintenant à l'une des grandes crises religieuses qui marqua la fin du règne de Louis XIV : l'affaire du quiétisme.

Voici tout d'abord le portrait de Fénelon, précepteur des enfants de France, qui devait s'y brûler les ailes en tentant d'y compromettre Mme de Maintenon :

... ... M. de Bryas, archevêque de Cambrai, était mort, et le Roi avait donné ce grand morceau à l'abbé de Fénelon, précepteur des enfants de France. ...

Fénelon était un homme de qualité, qui n'avait rien et qui, se sentant beaucoup d'esprit, et de cette sorte d'esprit insinuant et enchanteur, avec beaucoup de talents, de grâces et du savoir, avait aussi beaucoup d'ambition. Il avait frappé longtemps à toutes les portes, sans se les pouvoir faire ouvrir. Piqué contre les jésuites, où il s'était adressé d'abord, comme aux maîtres des grâces de son état, et rebuté de ne pouvoir prendre avec eux, il se tourna aux jansénistes, pour se dépiquer, par l'esprit et la réputation qu'il se flattait de tirer d'eux, des dons de la Fortune, qui l'avait méprisé. Il fut un temps considérable à s'initier, et parvint après à être des repas particuliers que quelques importants d'entre eux faisaient alors, une ou deux fois la semaine, chez la duchesse de Brancas. Je ne sais s'il leur parut trop fin, ou s'il espéra mieux ailleurs qu'avec gens avec qui il n'y avait à partager que des plaies ; mais peu à peu, sa liaison avec eux se refroidit, et, à force de tourner autour de Saint-Sulpice, il parvient à y en former une dont il espéra mieux.

Cette société de prêtres commençait à percer, et, d'un séminaire d'une paroisse de Paris, à s'étendre. L'ignorance, la petitesse des pratiques, le défaut de toute protection et le manque de sujets de quelque distinction en aucun genre, leur inspira une obéissance aveugle pour Rome et pour toutes ses maximes, un grand éloignement de tout ce qui passait pour jansénisme, et une dépendance des évêques qui les fit successivement désirer dans beaucoup de diocèses. Ils parurent un milieu très-utile aux prélats, qui craignaient également la cour sur les soupçons de doctrine, et la dépendance des jésuites, qui les mettaient sous leur joug dès qu'ils s'étaient insinués chez eux, ou les perdaient sans ressource : de manière que ces sulpiciens s'étendirent fort promptement.

Personne parmi eux qui pût entrer en comparaison sur rien avec l'abbé de Fénelon : de sorte qu'il trouva là de quoi primer à l'aise et se faire des protecteurs qui eussent intérêt à l'avancer pour en être protégés à leur tour. Sa piété, qui se faisait toute à tous, et sa doctrine, qu'il forma sur la leur en abjurant tout bas ce qu'il avait pu contracter d'impur parmi ceux qu'il abandonnait, les charmes, les grâces, la douceur, l'insinuation de son esprit le rendirent un ami cher à cette congrégation nouvelle, et lui y trouva ce qu'il cherchait depuis longtemps, des gens à qui se rallier, et qui pussent et voulussent le porter. En attendant les occasions, il les cultivait avec grand soin, sans toutefois être tenté de quelque chose d'aussi étroit pour ses vues que de se mettre parmi eux, et cherchait toujours à faire des connaissances et des amis. C'était un esprit coquet qui, depuis les personnes les plus puissantes jusqu'aux ouvriers et aux laquais, cherchait à être goûté et vouloir plaire, et ses talents en ce genre secondait parfaitement ses désirs. ... ..."

A-t-on jamais peint avec plus de finesse et d'élégance le type de l'abbé arriviste ? ;o)