]Babbitt Traduction : Maurice Rémon

George F. Babbitt est un courtier en immobilier plus près de ses cinquante que de ses quarante ans. Dans sa jeunesse, à l'Université de l'Etat qu'il continue à appeler affectueusement "l'U", il rêvait de devenir un grand avocat dont les plaidoieries empoigneraient les prêtoires et toujours prêt, bien entendu, à défendre la veuve et l'orphelin.

Et puis, un soir, pour consoler Myra, une cousine de la petite amie de son meilleur ami, Paul Riesling, il a pris la tête de celle-ci sur son épaule. Et alors, comme cela semblait se pratiquer dans cette époque reculée de l'avant-première-guerre mondiale, elle lui avait dit : "Maintenant que nous sommes fiancés, George, quand l'annoncerons-nous ?"

Il n'avait pas voulu décevoir la pauvre petite Myra, si douce, si aimable, si sûre et il l'avait épousée, devenant ainsi l'associé de son beau-père, Harry Thompson. Et tout avait été dit et joué pour Babbitt. Il avait engraissé, il avait vieilli, il s'était donné bien du mal pour élever ses trois enfants, Verona, Theodore (Roosevelt) et Catherine (dite Tinka), il avait couru sans cesse après l'argent, il l'avait engrangé et ... et sa vie était bien remplie en somme.

Sinclair Lewis le saisit dans tout ce que son existence comporte d'atrocement ennuyeux, pesant et routinier, et l'amène à se poser quelques questions.

Sans plus. Ca ne durera pas. Babbitt acceptera finalement de se lier à la "Ligue des Bons Citoyens" et reprendra ses oeillères. Après une liaison aussi éphémère que peu gratifiante avec Tanis Judique, une cliente de l'Agence Babbitt & Thompson, après que son ami Paul aura été arrêté pour tentative de meurtre sur son épouse Zilla, après que Babbitt aura eu très peur de perdre la sienne en raison d'une appendisectomie "à chaud", tout rentrera dans le même ordre étouffant, implacable, sur lequel s'ouvre et se poursuit ce roman dont certains décrocheront certainement très facilement avant d'en avoir lu le dernier mot. (J'avoue m'être moi-même un peu forcée parfois ... ;o))

Au contraire de "Main Street", "Babbitt" fait peu appel à l'action. C'est une description amère et quasi clinique des nantis bourgeois et citadins d'avant le grand Krach de 1929. Le "rêve américain" triomphe : Babbitt ne saurait par exemple concevoir une maison sans les derniers atouts de la technologie contemporaine. Enfin, disons qu'il triomphe pour certains à condition que les autres "restent à leur place."

Plus amer, plus cynique aussi que "Main Street" - peut-être parce qu'il a un cadre vraiment urbain, celui de Zenith, et non plus cet arrière-fond de naïveté campagnarde qui adoucissait la sauce dans le précédent ouvrage - "Babbitt" est un constat accablant formulé à l'encontre d'une nation en train de vendre son âme. Et l'on discerne bien l'inquiétude croissante de son auteur : quel prix sera réclamé aux libres et démocrates Etats-Unis d'Amérique en échange de cette vente fructueuse ?

Nous, aujourd'hui, nous le savons. A peu près. Sinclair Lewis, lui, en ignorait tout et on ne peut que saluer son étonnante clairvoyance, inspirée, en dépit des apparences, par un amour fervent du pays qui l'avait vu naître. ;o)