Ce roman débute comme un simple polar, avec l'angoisse shizophrénique d'Andreas Shaltzmann, jeune homme rejeté, humilié, pratiquement crucifié par sa mère décédée depuis peu et plus ou moins abandonné par un père qui veut surtout "ne pas faire de vagues." Très jeune, le petit Andreas - en qui l'on reconnaît des traits empruntés à Richard Chase, tueur en série américain - ne trouve la paix qu'en allumant des incendies. Malgré des séjours en hopitaux psychiatriques, il est en fait abandonné à lui-même et aucun effort réel n'est fait pour l'aider. Ce qui fait qu'un jour, tout naturellement, dans les affres d'une angoisse épouvantable, il commence à tuer "parce que son estomac pourrissait." Shaltzmann est en outre persuadé qu'un complot aliéno-nazi le traque, lui, le seul Terrien authentique et pur, qui a besoin de sang pour survivre et rester pur. Quelque part, dans les limbes, erre le spectre hideux de sa mère qui, de temps à autre, lui téléphone pour continuer à l'empoisonner ...

Voilà notre premier tueur. Et curieusement, on finit par avoir pitié de cet homme qui abat n'importe qui parce qu'il est sincèrement persuadé de se trouver en face d'un "espion", d'un ennemi, d'un envoyé de la Mère, dans le pire des cas. Il commence une cavale meurtrière à travers notre pays, cavale qui le mène notamment à la frontière montagneuse de l'Est de la France.

Et c'est là que, brusquement, Andreas, qui écoute la radio entre deux crises et qui est loin d'être idiot bien que complètement "fou", se rend compte qu'un autre tueur agit en parallèle. Or, s'il est tout-à-fait d'accord pour finir par payer tôt ou tard les crimes qu'il a commis, il est indigné à l'idée qu'on lui mette sur le dos des meurtres qui ne sont pas les siens et qui portent d'ailleurs la marque d'un sadisme beaucoup plus prononcé, beaucoup plus pensé. Andreas tue pour se défendre mais le (ou les) Tueur(s) parallèle(s) tue(nt) par plaisir, pour la jouissance du Pouvoir.

Nous sommes à l'aube du troisième millénaire lorsque commence l'action. Arrêté après une tentative de suicide solitaire dans sa voiture, Andreas est soigné et soumis aux questions d'un trio de chercheurs. Très vite, ceux-ci se rendent compte que quelque chose ne "colle" pas. Commence alors pour eux une longue quête sur la piste des véritables monstres ...

Vous en dire plus serait vous dévoiler l'intrigue. Sachez en tout cas qu'on ne sort pas indemne de cette lecture qui prouve que l'on peut utiliser avec génie - le mot n'est pas trop fort, croyez-moi - les bases d'une intrigue policière (fortement mâtinée de futurisme étant donné l'ordinateur tout-à-fait étonnant qu'utilise l'un des chercheurs après l'avoir créé) pour faire passer un message quasi métaphysique. Dantec s'est, il faut bien le dire, solidement documenté tant sur le cas du "Vampire de Sacramento" - nom donné par la presse américaine à Richard Chase - que sur les grands courants philosophiques et religieux issus essentiellement du Manichéisme avant de gagner en finesse et en complexité.

Sa force, son coup de maître, c'est de réussir à entraîner son lecteur avec lui, au coeur le plus sombre de l'Etre Humain, là où tout peut basculer dans des abysses dignes de Jérôme Bosch ou, au contraire, s'élever à jamais vers la Lumière. Une grande question qu'un autre très célèbre tueur en série au quotient intellectuel particulièrement élevé, Ted Bundy, ne cessa jamais de se poser en désespérant d'y répondre.

Bonne lecture mais n'oubliez pas : "Les Racines du Mal" n'est pas un policier comme les autres et ça peut même faire penser à Ellroy ... ;o)