''Portrait of a Killer : Jack the Ripper, Closed Case'' ''Traduction : Jean Esch''

Il m'a fallu relire ce livre pour savoir exactement ce que j'en pensais.

Tout d'abord, il est passionnant. Si, si, de bout en bout, bien que la fin soit, selon moi, un tantinet abrupte - et bien dans la manière de Cornwell.

Cornwell s'y veut brillante et convainquante et elle y réussit presque toujours.

Presque, seulement. Pourquoi ?

Parce que, contrevenant ainsi à toutes les règles policières, réelles ou romanesques, dès le départ, elle part du principe que Walter Sickert est le seul coupable. Elle affirme, elle tranche, elle vitupère avec une telle hargne qu'elle en est parfois gênante et que, quoique ébranlé, on ne sort pas objectivement convaincu de sa lecture.

Comme on le sait, de nombreuses hypothèses ont été émises sur l'identité de celui qui se surnomma "Jack the Ripper" : du duc de Clarence, petit-fils de la reine Victoria et frère du future George V jusqu'à une hypothétique représentante du sexe féminin qui, on ne sait trop pourquoi, en voulait tellement aux femmes qu'elle se serait déguisée en homme pour pouvoir les égorger en paix, la nuit, dans Whitechapel, tout, ou presque, a été évoqué sur le sujet. Ce qui n'empêche que, en 2006, on ne sait toujours pas qui était le premier serial killer dont l'histoire contemporaine a conservé la mémoire enfiévrée.

Et ceci ajouterai-je, en dépit de Patricia Cornwell, pour qui l'assassin s'appelle Walter Sickert, peintre en renom sous l'ère victorienne, élève du grand Whistler, beau-frère d'une suffragette célèbre et gentleman tout droit sorti du "Cas etrange du Dr Jekyll".

                     
                     Walter Sickert dans sa jeunesse

Vous énumérer la liste des preuves égrenées par l'auteur en faveur de son hypothèse serait bien trop long et gâcherait d'ailleurs votre plaisir de futur lecteur. Parmi elles cependant, deux sont à retenir : les filigranes du papier utilisé dans nombre de lettres adressées par l'Eventreur à Scotland Yard et les curieux montages effectués parmi elles à l'aide de matières utilisées couramment en peinture. Signalons au passage que l'on n'est pas loin de demeurer aussi ahuri et scandalisé que le fut Cornwell lorsqu'elle découvrit la désinvolture avec laquelle toutes ces lettres furent traitées par les services concernés. Certes, on était bien loin à l'époque de posséder tous les moyens d'investigations qui sont actuellement à notre disposition mais tout de même ... ! Un point sur lequel on se met très vite d'accord avec elle, c'est que, si l'affaire avait été traitée de façon plus sérieuse, on y aurait vu sans doute un peu plus clair.

Disons-le tout net, si Cornwell a pu avoir l'impression que la police de Sa Majesté, complètement dépassée par ce meurtrier tout-à-fait hors normes, avait eu recours à la politique de l'autruche, sur ce plan au moins elle n'a guère de peine pour en convaincre son lecteur. Et sa démonstration serait parfaite n'était, je le répète, son acharnement à prouver la culpabilité de Sickert, un peu comme si elle avait une dent personnelle contre lui.

Je n'ai malheureusement pas pu retrouve copie de certaines des toiles qui, si l'on en croit Cornwell, la persuadèrent de la culpabilité de l'artiste. Tout au long de son livre, elle insiste en effet sur la morbidité de ces oeuvres (même si elle ne se rend pas compte que, en ce qui la concerne, sa tendance à dépeindre des autopsies et des morts violentes dans le plus menu détail relève probablement de la même nature ... ;o)) J'en ai cependant trouvé certaines qui laissent en effet assez perplexe :

           

            La Maigre Adeline - 1906
           

et surtout celle-ci, intrigante à souhait :

           

Evidemment, ces toiles, où l'influence de Degas se fait sentir, créent un malaise. Mais il ne suffit pas de s'intéresser à un meurtre ou une série de meurtres pour se révéler leur auteur. Il ne faut tout de même pas oublier que Jack l'Eventreur a vraiment frappé l'imaginaire anglais dans son ensemble et que, à ce titre, un artiste comme Sickert ne pouvait qu'y être sensible. Qu'il en ait ressenti une obsession peut s'expliquer aussi par un détraquement vraisemblable de sa personnalité. Qu'il ait écrit des lettres anonymes à Scotland Yard en prétendant être l'Eventreur, là encore c'est possible mais il ne fut sans doute pas le seul et cela ne prouve rien.

Mais l'était-il réellement ? Ce qu'il manque au brillant essai de Cornwell - un essai au bulldozer américain, si j'ose dire ;o) - c'est la preuve devant laquelle tout le monde s'inclinerait : la preuve ADN. Malheureusement, Sickert s'étant fait incinérer et étant mort sans descendance, on ne peut comparer les traces ADN retrouvées sur deux des lettres de l'Eventreur avec les siennes.

Et c'est vrai que c'est dommage ...