Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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Tag - Bénédicte Plassard

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jeudi 8 janvier 2015

Quand le vin est tiré... Nouvelle policière - Chapitre 8

 
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Tribulations policières et amoureuses 

L'aéroport de Jinan avec les superstructures apparentes de ses halls a un peu le look d'un hangar de foire-exposition. Rien à voir avec le luxe parfois tapageur de certains autres de par le monde. Situé à 33 km de la capitale, au nord de la ville de Yaoquiang, il voit arriver deux Français, un peu déphasés après une vingtaine d'heures de vol et deux escales. 

Julien et Bénédicte récupèrent leurs bagages sans encombre et, leur fiche d'immigration soigneusement remplie, se dirigent avec un légère appréhension vers la file des étrangers au contrôle de la police des frontières.

Passeport et fiche en main, stationnés derrière la ligne jaune peinte au sol, le hasard des postes qui se libèrent plus ou moins vite et une injonction policière sans équivoque les séparent soudain. Julien, à gauche, tend son passeport à une jeune femme aux yeux très bridés, tandis qu'à droite, Bénédicte présente le sien à un fonctionnaire au visage impassible. On leur enjoint de retirer coiffure et lunettes. Une caméra les filme et un logiciel compare le cliché avec la photographie de leur document d'identité. De longues secondes s'écoulent. La crainte d'un nom mal orthographié, d'une date oubliée, les étreint, mais ils se forcent à sourire. Puis Bénédicte entend divers coups de tampon donnés sur le passeport de Julien qu'on lui rend bientôt. Le voilà qui franchit la barrière.

Son policier à elle, semble plus suspicieux. Sur sa fiche, comme sur sa demande de visa, elle a indiqué comme profession : agent spécialisé. Et voilà la question qui fâche :

— What is your administration, miss ?

Le temps s'accélère. Pas d'échappatoire. Il faut répondre. 

— Police laboratories, sir.

Bénédicte a opté pour une demi-vérité.

— You should have mentioned it !
— I'm sorry. I'm not on duty, just on engagement holiday.

La dernière partie de la phrase s'est formulée toute seule, indépendamment de sa volonté consciente. La main qui tient le tampon fatidique est suspendue en l'air depuis une vingtaine de secondes qui semblent s'éterniser. Finalement celui-ci s'abat sur son passeport, suivi de plusieurs autres et on lui enjoint d'avancer en lui rendant son sauf-conduit. Ouf ! 

De l'autre côté de la barrière, Julien ouvre de grands yeux en signe d'interrogation. Bénédicte le rejoint en courant et lui tombe dans les bras. Il ne demande pas mieux. Et les voilà en train d'échanger leur premier baiser depuis dix ans.

Mais Bénédicte ne veut pas encore totalement lâcher prise.

— Oh, la vache ! J'ai bien cru que je n'allais pas passer, ajoute-t-elle bientôt, détachant ses lèvres de celles de Julien. Bon, on y va ?

Scrutant la foule des visages et les multiples pancartes qui lui font face, elle remarque bientôt un écriteau avec son prénom, brandi un peu en arrière des autres par une jeune femme brune en jean et T-shirt siglé Breizh. Pas de doute, c'est leur hôte !

— Bonjour Mathilde !
— Bienvenue à Jinan, Bénédicte. Tu as fait bon voyage ?

Aux deux bretonnes, le tutoiement est venu naturellement et elles s'embrassent comme du bon pain, les trois bises rituelles. Julien, en retrait, attend. Bénédicte se tourne vers lui, puis vers Mathilde :

— Mathilde, je te présente Julien, mon fiancé.

Cela fait partie de leur couverture, mais Julien est quand même bien content d'entendre ces mots dans la bouche de Bénédicte.

— Enchanté, Julien.

Ils se donnent une poignée de main, puis finissent par s'embrasser, eux aussi.

Trois quarts d'heure plus tard, dans le centre de Jinan, près du Lycée des langues étrangères, la Toyota Prius de Mathilde se gare sous un immeuble de brique et béton tout neuf. C'est la résidence dévolue aux professeurs étrangers.

L'appartement, au deuxième étage, est petit, à l'image de l'habitat chinois en général, mais bien agencé et confortable. Dans le salon, un canapé blanc fait face à un écran plat fixé au mur, devant une table basse aux lignes épurées.

Le mari de Mathilde, Lin Gao, parle un français châtié, appris en partie ici et en partie en France durant ses études supérieures, mais toujours avec ce phrasé saccadé si reconnaissable.

Ce sont les vacances scolaires et Mathilde s'offre à servir de guide à nos deux "touristes". Ça tombe bien, car ici le permis international n'est pas reconnu et on ne peut pas louer de voiture sans chauffeur. De plus, la conduite chinoise est "particulière", assez peu respectueuse de la signalisation.

Pour leur première soirée en Chine, leurs hôtes ont prévu un dîner typique de la cuisine de leur région, l'une des huit principales de Chine : des raviolis en bouillon, une carpe à l'aigre-douce, du maïs avec des crevettes séchées, du concombre de mer frit aux oignons et en dessert des poires en boule au miel. Le tout accompagné de riz blanc et de thé vert et d'une bouteille de Chardonnay pour faire honneur à leurs invités.

Sur la table ronde de la salle à manger, un carrousel central accueille les différents plats et chacun de le faire tourner pour se servir dans les différents bols garnis de nourriture le plus souvent pré-découpée.Tous ces mets mêlent habilement l'aigre, l'épicé, l'amer, le sucré et le salé ainsi que les textures : moelleux, croquant, juteux, grillé.

Le tout est excellent. Bénédicte et Julien se régalent sous l'œil amusé de leurs hôtes qui sourient gentiment de leur maladresse dans le maniement des baguettes.

— C'est toi qui as préparé tout ça, Mathilde ? demande Bénédicte admirative.
— Moi et Lin Gao, oui, avec l'aide de ma belle-mère qui est venue ce matin. Mes beaux-parents n'habitent pas très loin.

La conversation roule sans encombre sur la vie des uns et des autres, l'évolution si rapide de la Chine, la situation inquiétante de la France...

Le repas terminé, alors que les lumières de la ville s'emparent du paysage, leurs hôtes décident bientôt de se retirer, une fois la table desservie.

Lin Gao montre à Julien le mécanisme du canapé-lit, la table basse est poussée sur le côté, on leur indique la salle de bains et les toilettes.

— Vous devez être fatigués. Nous allons vous laisser vous reposer. À demain. Dormez bien.

Julien s'essaie bien à quelques manœuvres sous la couette, mais Bénédicte, par un reste de pruderie, le repousse - "Pas ici, t'es fou, et puis je suis crevée. Allez, bonne nuit." - avant de se pelotonner en chien de fusil contre lui.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, janvier 2015.

samedi 27 décembre 2014

Quand le vin est tiré - Nouvelle policière - Chapitre 7


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VII

Chine, nous voilà !

Le patron vient de m’annoncer la mauvaise nouvelle.

Officiellement, je suis toujours en congés et absolument pas chargée de suivre Saintilan. Mais ni moi ni lui n’aimons qu’on fasse notre boulot à notre place. Personnellement, je garde un mauvais souvenir d’une enquête où j’ai été doublée par une mamie pas ordinaire, du temps où j’étais affectée au Commissariat de Lannion (cf. Quand Mam Goz s’en mêle). Enfin, là, c’est un peu différent puisque la pièce rapportée, je la connais, très bien même. N’empêche, maintenant que notre client est en passe de s’envoler pour la Chine, on fait quoi, Julien et moi ? Est-ce que son budget pour ce boulot lui permet d’aller enquêter à l’étranger ? Je lui pose la question :

— T’as de quoi suivre Saintilan jusque là-bas ?

Il sourit jaune.

— C’était pas vraiment prévu dans le devis, mais, bon, si tu m’accompagnais… ça nous ferait des vacances pendant lesquelles nous pourrions joindre l’utile à l’agréable, dit-il avec un petit clin d’œil en coin.

Julien vient de se souvenir qu’au Lycée Louis Guilloux, à Saint-Brieuc, j’ai fait partie des pionniers qui, dans les années 90, ont étudié le chinois 3e langue. J’ai même réalisé un voyage de quinze jours là-bas, en Terminale. C’est loin, mais je devrais pouvoir me débrouiller sur place. Je cherchais une destination de villégiature : en voilà une, toute trouvée ! Oui, mais c’est grand, la Chine. Ils venaient d’où, les Chinois arrêtés à Roissy ? La province de Shandong. C’est quoi, la capitale, là-bas ?

— Jinan, je crois.
— Première nouvelle. Il faut combien de temps pour obtenir un visa ?
— Un à deux jours, en urgence, si le dossier est complet, au lieu de cinq normalement.
— Quand ils vont voir nos professions, journaliste et flic, ça va pas être simple d’obtenir un visa de tourisme.
— T’es en vacances, non ? Et je peux être ton… fiancé, par exemple.
— Mais bien sûr. On peut aussi prendre deux vols différents, tu sais. Voyons d’abord ce que ça coûte.

Je pianote comme une malade sur mon smartphone. Paris-Jinan : 15 heures de vol, au minimum avec une ou deux escales. Meilleur prix autour de 800 €, moyenne autour de 1000 €. C’est pas donné quand même !

— Qu’est-ce qu’on fait ?, je demande à Julien.

Il me regarde et sourit :

— On lance les demandes de visa en express et on réserve deux places sur un vol en partance dans trois jours. On essaiera de changer si ça va plus vite.

Je réfléchis un instant. Toutes mes économies vont y passer. Bah, tant pis :

— OK, c’est parti.

Nous remplissons les demandes de visa en ligne. Quatre pages assez détaillées. Prudemment, j’indique comme profession : fonctionnaire. Eh oui, mais ils demandent la fonction : agent spécialisé ? Résidence en Chine : je mentionne le nom d’un hôtel de moyenne gamme trouvé sur la Toile. Motif du déplacement : voyage de fiançailles ? Traitement express de la demande. C’est vingt euros de plus. Julien demande un visa de tourisme également, mais sans cacher son activité. Ah ! J’ai failli oublier le formulaire médical. Deux pleines pages à faire remplir et signer par un médecin. Pourvu qu’on puisse transmettre le tout par e-mail ! Va falloir faire vite.

Ensuite, après exploration des comparateurs de prix sur le web, nous jetons notre dévolu sur un vol aller assez rapide (17h 55), malgré deux escales à Istanbul et Urumqi, assuré conjointement par Air France et China Southern. Seconde escale à Urumqi, c’est où ça ? Ah ! En Chine aussi ? Capitale du Xinjiang ? Première nouvelle !

Par contre, le vol retour, une semaine plus tard, bonjour ! Il passe par la Russie avec dix heures d’escale. Autrement dit, une nuit à Moscou, quoi !

Départ dans trois jours, Roissy, 18 h 55. Cool ! De Rennes, il y a un TGV direct qui arrive à 17 h 11. Il ne reste plus qu’à attendre nos visas électroniques. Je croise les doigts.

Nous rentrons aux “Mouettes” prendre congé de Dame Jeannine avant de regagner nos domiciles respectifs. Ou pas ? Je n’ai pas encore tranché. J’ai tout le trajet pour y réfléchir.

… Finalement, ce soir-là, je suis revenue seule chez moi, pour achever les préparatifs de ce voyage imprévu. Trop de trucs dans la tête.

Hier lundi, en me renseignant sur le climat à Jinan, j’ai découvert que la ville est jumelée avec Rennes depuis 2002 ! Un contact téléphonique avec le Comité de Jumelage m’a renvoyé vers le Président de l’Association, qui m’a accueillie à bras ouverts en tant que sinisante. Quelques échanges de mails plus tard, je me retrouve pourvue d’adresses de divers points de chute dans la capitale du Shandong.

Mon choix se porte sur une famille sino-française dont le mari a fait ses études à l’Université de Rennes, dans les mêmes années que moi. Son épouse est une Bretonne de Quimperlé. Ils ont deux petites filles. Elle, enseigne le français au Lycée des langues étrangères de Jinan et lui est ingénieur en informatique. Je raconte une salade pour justifier ce voyage improvisé. Cela semble passer. Ils ont une chambre double à mettre à notre disposition pour l’équivalent de 25 € la nuit. Payable en dollars américains. C’est inespéré. Ce doit être le signe que j’attendais. J’ai quitté Julien il y a quarante-huit heures maintenant et il me manque terriblement.

Nos deux premières étapes dans les zones viticoles du Shandong seront pour Yantai et Quingdao, respectivement à 445 et 350 kilomètres de notre point d’arrivée. C’est un peu loin, à notre échelle française et tout proche à l’aune chinoise. L’échelle des valeurs n’est pas la même dans ce pays grand comme dix-huit fois la France. Notre logeuse mettra son véhicule à notre disposition. En bons fiancés français gastronomes, n’est-il pas logique que nous fassions du tourisme et visitions les plus grandes caves de la région ? Il y a quelques années encore, seuls les groupes dûment encadrés pouvaient pratiquer ce type de tourisme, mais l’émergence d’une « middle class » chinoise a créé un immense marché que le régime s’est donc résolu à ouvrir aux particuliers.

Julien m’a appris que les deux principaux domaines vinicoles de la province, Chang Yu Winery et Hua Dong Winery, en dépit de leur importance, ou justement à cause de leur croissance à deux chiffres, ne produisent pas eux-mêmes tous les raisins qu’ils vinifient et ont recours à des achats de moûts de producteurs indépendants, chinois et étrangers. C’est dans ces filières qu’une partie de la contrefaçon se cacherait aisément. En parcourant les sites internet de ces deux maisons de négoce, il a également eu la surprise de retrouver sur des clichés d'invités de marque... Jacques Saintilan ! D'où notre décision d'aller faire nos curieux de ce côté-là.

Hourra, mon visa électronique vient de tomber dans ma boîte mail ! Je n’ai plus qu’à l’imprimer et l’insérer dans mon passeport.

Il faut que j’appelle Julien pour savoir s’il a reçu le sien aussi. C’est moins sûr. En dépit de sa spectaculaire ouverture commerciale, la Chine est encore politiquement verrouillée et se méfie toujours un peu des journalistes, freelance ou pas. Qu’est-ce que je fais, s’il ne l’a pas ? Je pars seule ? Ce serait la tuile ! C’est tout moi, ça, envisager le pire avant l’heure. Appelle donc, idiote !

… Pas eu le temps. La réponse est tombée dans ma boîte mail. Positive. Mais je suis déçue. Je voulais entendre sa voix. J’envoie un texto. Professionnel : « Super ! J’ai le mien aussi. On se retrouve à l’aéroport demain 16 h ? ». J’aimerais qu’il me dise : « Non. Viens maintenant, 35 rue Vasselot, 2e gauche. Le code c’est… ». J’ai fait ma curieuse pour trouver son adresse. Mais moi non plus je ne me décide pas à faire le premier pas. J’ai peur. Sa réponse ne tarde pas : « Ça marche ! A demain. Je t’embrasse xxx. Julien ». Une bouffée d’espoir me remonte le moral. Allez, un petit bourbon et au lit. Ma valise est quasiment prête.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2014.

jeudi 16 octobre 2014

Quand le vin est tiré... Nouvelle policière - Chapitre 6



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VI

Filatures

La berline noire file sur la départementale en direction de Pleurtuit. À l'approche de l'aérodrome de Dinard, elle oblique vers la zone où sont implantées les entreprises de maintenance aéronautique, puis repique vers les pistes. Simon, toujours à distance, s'arrête et sort son appareil photo et un téléobjectif d'une des sacoches arrière de sa moto. Il comprend lorsqu'il repère sur le tarmac un grand H blanc : l'héliport ! Bientôt, Saintilan ressort des bâtiments en compagnie d'un pilote. Tous deux se dirigent vers un Eurocopter EC 145, garé à proximité. Le dernier né de la coopération franco-allemande, habillé par Mercedes-Benz, à ce qu'on dit. Du haut de gamme. Ce client, ou son commanditaire, ont les moyens ! Pas de doute : un départ s'annonce. Sans commission rogatoire, impossible d'obtenir le plan de vol ! Il mitraille l'appareil et tout le personnel au sol.

Un quart d'heure plus tard, l'appareil décolle et met le cap à l'Est. Simon parierait qu'il va prendre la direction de la capitale. À destination d'un aéroport parisien ? Il fait son rapport à Bénédicte, laquelle, après avoir tergiversé un peu, se décide à appeler le Commissaire Dutertre, son supérieur.

Celui-ci contemple les plantes verres de son bureau qu'il vient d'arroser comme chaque lundi matin, à son arrivée. C'est un rituel, avant son second café de la journée. Ensuite seulement, l'expédition des affaires courantes peut commencer. C'est alors précisément que le téléphone sonne :

— Commissaire ?
— Plassard ? Qu'est-ce qui vous arrive encore ? Cela fait à peine trois jours que vous êtes partie en congés...
— Désolée, patron, je donne un coup de main à un ami journaliste d'investigation et on est tombés sur un type bizarre.
— Et...
— Si on pouvait vérifier ce qu'on a sur lui au sommier, ça nous aiderait beaucoup.
— Et pourquoi, je ferais ça, Plassard ?
— Parce qu'il semble que les Douanes soient déjà sur le coup.

Bénédicte n'oublie pas la vieille rivalité qui oppose son commissaire divisionnaire au service des Douanes, qui lui a plusieurs fois mis des bâtons dans les roues lors d'enquêtes sur du trafic de drogue.

L'argument semble peser son poids.

— Bon, expliquez-moi tout ça, Plassard, que j'y voie plus clair.

Bénédicte relate succinctement les informations en sa possession. Le commissaire est d'accord pour demander l'ouverture d'une information judiciaire au procureur si un lien s'avère entre les deux chinois retenus à Roissy et Saintilan. Il convient donc de filer ce dernier et pour cela d'avoir connaissance de la destination de son hélicoptère, s'il en est encore temps.

Bénédicte se prend à regretter d'avoir hésité avant d'appeler.

L'engin a une vitesse de croisière de 250 km/h environ. Dans une heure, il sera en région parisienne. Il convient de faire vite.

La machinerie judiciaire se met en branle. Une fois reçu le fax du procureur qu'il transmet aussitôt à la tour de contrôle de Pleurtuit, le Commissaire Dutertre se fait remettre le plan de vol de l'hélicoptère qui venait de décoller une demie-heure plus tôt.

Surprise : sa destination est un petit aérodrome de l'est parisien : Meaux Esbly. En matière d'aviation d'affaires, cela n'a rien d'exceptionnel, mais en l'occurrence, demeure intrigant.
  Un coup de téléphone au Commissariat local permet, en un quart d'heure, de positionner deux inspecteurs à la sortie passagers de l'aéroport, munis de la photocopie du passeport de Saintilan que Dinard a également transmise.

Mais l'homme est sur ses gardes. À peine a-t-il repéré derrière les vitres deux silhouettes scrutant alternativement les visages et une feuille de papier, qu'il rebrousse chemin au pas de course pour emprunter la sortie réservée au personnel navigant, au milieu d'un petit groupe de pilotes et hôtesses.Le temps que les deux fonctionnaires de police réagissent, l'oiseau s'est envolé. Tout juste les deux policiers peuvent-ils relever la plaque d'immatriculation du véhicule qui l'emporte. Pas de chance, un appel au service des cartes grises révèle qu'il doit s'agir d'un VTC clandestin. Impossible d'obtenir la destination de la course auprès de la centrale de réservation.

Par chance, l'informatique aidant, trente minutes plus tard, le propriétaire est identifié. Arrêté en douceur par deux policiers déguisés en clients, il ne tarde pas à révéler la destination de sa course récente : un commerce dans une rue du triangle de Choisy. Le commissaire Dutertre, bientôt informé, demande la collaboration de la BRI parisienne.

Une équipe met aussitôt la rue sous surveillance. Hélas, le milieu asiatique parisien est très bien structuré, les multiples commerçants ayant pignon sur rue font office d'informateurs et toutes les allées et venues inhabituelles sont rapportées à qui de droit.

C'est ainsi que dans l'arrière-salle d'un restaurant chinois de la rue Baudricourt, alors que Saintilan est en pleine conversation avec deux plénipotentiaires des Triades, un guetteur vient prévenir que deux véhicules suspects sont stationnés depuis plus d'une heure aux entrée et sortie de la rue. Aussitôt, des gardes du corps évacuent les trois hommes par les arrières-cours. Une grosse Mercedes les prend en charge rue de Tolbiac.

Miracle, la voiture de police banalisée stationnée à l'entrée de la rue Baudricourt repère ce véhicule dans lequel on tente de faire baisser la tête à un passager arrière. Avec deux feux de retard, une filature s'engage alors. La consultation, par les policiers, du système de contrôle automatisé, couplé avec le fichier des plaques d'immatriculation révèle bientôt qu'il s'agit de l'automobile d'un restaurateur de la rue. Bingo !

Le capitaine de police Martin et sa collègue hésitent : mettre le gyrophare, s'affranchir des règles de circulation et tenter une interpellation manu militari à deux contre trois ou se fondre dans le trafic et laisser leur proie les guider vers sa destination ? La réponse de leur hiérarchie crépite dans l'habitacle :

— Autorité à Delta One. N'intervenez pas. On met en place des véhicules de relève. Suivez vos clients sans vous faire remarquer. Code opération : POISSON PILOTE.
— Delta One à Autorité. Bien reçu.

La Mégane des deux policiers, insérée dans le trafic, progresse sans encombre derrière la Mercedes poursuivie jusqu'à la porte de Choisy. Là, un second véhicule la prend en chasse sur le périphérique. Elle se dirige vers le Nord.

Porte de la Chapelle. Une troisième voiture intervient. Autoroute A1. Plus de doute. La Mercedes se dirige vers Roissy. Saintilan a décidé de filer. Qu'a-t-il donc de si grave à se reprocher ?

Le Commissaire Dutertre n'a pas assez d'éléments pour lancer un mandat d'arrêt contre lui. Pas d'autre solution que de le laisser partir.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2014.

jeudi 2 octobre 2014

Quand le vin est tiré... Nouvelle policière - Chapitre 5

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V

Le retour de Simon Le Lagadec

Tous les fils de notre enquête sont brisés. Mais une certitude nous habite à présent, Julien et moi : les vignerons du Mont Garrot, tout comme Jacques Saintilan, nous cachent quelque chose. Quoi ? Telle est la question.

— Qu'est-ce qu'on fait ? me demande Julien.
— Je vais faire appel à un ami, dis-je, parodiant un célèbre jeu télévisé, pour qu'il nous rencarde sur Saintilan et les deux autres. Ils ne me semblent pas très nets.

Simon Le Lagadec, dit Sim, par commodité et sans autre ressemblance avec le défunt comique qu'une calvitie précoce, avait rendu sa carte et son arme, pour s'occuper de sa vieille mère, à cinquante et quelques balais, à mon grand dam, car je regrettais beaucoup cet équipier débonnaire et sûr. Depuis son départ, je ne manque aucune occasion de faire appel à lui - à l'insu de ma hiérarchie, cela va sans dire - pour des travaux de renseignement dont je ne peux me charger moi-même.

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Une sonnerie de téléphone antique se fait bientôt entendre :

— Allô, oui ?
— Salut vieille branche ! Alors, ça boume ? Et ta mère, ça va ?

Simon le Lagadec utilise encore des expressions des années soixante que je m'amuse à lui resservir.

— Salut, Béné. Ouais, la routine, quoi. T'as du taf pour moi, on dirait ?
— Tu l'as dit, bouffi. J'aimerais que tu te rencardes sur un trio qui nous interpelle, Julien et moi, surtout un.
— Julien, c'est qui, celui-là ?
— Un ex à moi, du temps de la fac. Je suis en vacances et je l'aide dans une enquête sur le pinard. Tu vois si c'est sérieux !
— Et t'as mis ton nez là où il fallait pas, comme d'habitude.
— Ça se pourrait. Bon, voilà. Il faudrait suivre incognito un certain Jacques Saintilan, qui habite 35, rue du Garot, à la Ville ès Nonais, près de Saint-Suliac. C'est pas loin de chez toi, ça ?
— Vingt bornes à peu près.
— Il semble qu'on l'ait inquiété et il se pourrait qu'il bouge d'ici peu, mais, nous, on est grillés.
— Je peux être sur place dans une demie-heure. Le temps d'appeler la mamie-sitter.
— Super. On reste en planque, S'il sort, je t'appelle. Sa bagnole, c'est une Laguna noire, 255 FX 35. T'as toujours ta Kawa 750 ?
— Plus que jamais, tu penses !

Je hoche la tête : avec son passé de pilote de rallye, c'est pas demain que l'amour des grosses cylindrées va abandonner Simon.

— Alors, parfait ! Mais fais-toi discret. À plus.

Julien a écouté toute la scène d'une oreille admirative. Bénédicte est diablement efficace. Sa réputation n'est pas usurpée. Les souvenirs d'une étudiante brillante mais dissipée lui reviennent en mémoire. Elle était capable de faire trois choses en même temps : jouer au morpion, prendre des notes, lui faire du genou et souvent plus, pendant que lui, à ses côtés, avait bien du mal à se concentrer sur quoi que ce soit !

Il revient sur terre.

— On reste dans les parages, si j'ai bien compris ?
— Je viens de vérifier sur Woogle Maps. Saintilan habite dans un cul-de-sac. S'il sort en voiture, il passera par ce carrefour. Planquons-nous dans ce chemin creux, on le verra forcément passer.

Julien, que cette perspective réjouit visiblement, formule un accord enthousiaste.

Trop. Je m'empresse de réfréner ses ardeurs :

— Ne crois pas que tu vas en profiter, Juju. On n'est pas là pour ça.
— Dommage !
— Chaque chose en son temps !

Sur ces mots d'espoir (ou pas !), Julien gare son Alfa Romeo Giuletta 940 dans le chemin creux, prête à embrayer dans les roues de la Laguna Éxécutive de Saintilan.

Mon pressentiment est le bon : quinze minutes plus tard, après quelques mains baladeuses, facilement contrôlées, et un baiser volé à la sauvette par Juju, la Laguna noire croise notre cachette. J'ai demandé à mon ex de suivre le véhicule à bonne distance. Au bout d'un kilomètre, une grosse Kawasaki argent émet des appels de phare dans notre dos. C'est Simon. Je lui fais signe de nous doubler et de poursuivre la filature à notre place. Nous décrochons. Je lui transmets par téléphone tout ce que je n'ai pas eu le temps de lui communiquer lors de mon appel. Il crachote dans le casque-micro relié à son téléphone :

— Ben, dis donc, c'est quoi, ce binz ?
— Je ne sais pas encore très bien : simple espionnage économique ou entreprise mafieuse. Pour l'instant, seuls des délits sont avérés : sortie frauduleuse de marchandises sous embargo, infractions douanières. Mais ce qui intéresse Julien pour son article, c'est de remonter la filière jusqu'aux commanditaires, d'exposer à ses lecteurs le pourquoi et le comment.
— Si les triades chinoises sont là-dedans, faites gaffe où vous mettez les pieds, leurs méthodes sont expéditives, à ce qu'on dit.
— T'inquiète ! Tu me connais.
— Ouais, justement ! Je te conseille, si vous trouvez quoi que ce soit qui s'apparente à un crime, de prévenir procureur et commissaire aussitôt !
— OK, Simon. Tu vois bien que j'ai besoin de toi. Quand est-ce que tu reviens ?
 — Arrête avec ça, tu sais bien que je ne peux pas.
— OK, d'accord. Bon, tu me tiens au courant ?
— Ça marche !

Je raccroche.

Fini le bon temps ! L'ennui, avec des co-équipiers plus jeunes, c'est qu'ils me draguent tous, qu'une fois sur deux, je finis par coucher avec et que ça se termine toujours en eau de boudin, par une demande de mutation de leur part ou de la mienne ! La vie de couple dans la police, c'est pas de la tarte ! Et à ceux qui sont pas de la maison, "flic" ça fait peur, encore plus au féminin ! Alors, Julien ou pas Julien ? J'hésite à replonger. Le réchauffé, c'est pas trop mon truc. Pourtant, lorsque je le regarde, il se passe quelque chose, là, dans mon bas-ventre, que je n'ai pas ressenti depuis longtemps.

Fin de la minute d'auto-commisération.

Fin du chapitre aussi, tiens, pendant qu'on y est.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2014.

mercredi 24 septembre 2014

Quand le vin est tiré.... - Nouvelle policière - Chapitre 4

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IV

Un homme de science intrigant

Julien avait encore deux noms dans son carnet d'adresses : la fille du "Syndicat d'Initiative" comme avait dit le vigneron du mont Garrot et un universitaire du CNRS, spécialisé dans la vigne et le vin, domicilié sur une commune voisine. Rendez-vous est pris avec le second et une visite impromptue rendue à la première.

Celle-ci, une jolie brunette, fille de mareyeurs du cru, devant Julien, sort avec plaisir son relevé de fréquentation de l'année en cours et de l'année précédente : deux douzaines d'Asiatiques, la plupart chinois, ont franchi le seuil de son établissement en quête de renseignements touristiques, mais les vignes du Mont Garrot n'apparaissent pas dans les questions posées. C'est logique. Des espions de l'empire du Milieu un tant soit peu professionnels ne vont pas éventer leur présence aussi bêtement. Bénédicte, victime d'une survivance de jalousie aussi subite qu'inattendue, se hâte de tirer Julien hors de portée de cette rivale potentielle.

Après un déjeuner en terrasse d'huîtres, palourdes et bulots, gentiment arrosés d'une fillette de muscadet pas meilleur que le Clos Garrot, ils prenent le chemin voisin de la Ville ès Nonais.

Là, dans une longère habilement restaurée, sous une treille aux raisins encore à peine formés, les attend Jacques Saintilan, qui les invite à partager le café avec son épouse.

Julien, dans le cadre de la préparation de son enquête, a lu plusieurs articles de vulgarisation scientifique sur les cépages, leur obtention et les enjeux économiques qui s'y rattachent dont Saintilan est l'auteur. Mais il souhaite l'entendre de vive voix, pour confirmer ce qu'il a compris et sonder un peu le personnage. L'homme est avenant et disert. Il suffit à Julien de tirer un bout de fil pour que se dévide, sans le moindre effort de sa part, une pelote entière. Un client comme ça, c'est du pain béni pour le journaliste ! Micro ouvert, il laisse donc son Nagra officier en silence.

"Vous savez, l'histoire des cépages, je ferais mieux de dire la science des cépages, autrement dit l'ampélographie, n'est pas quelque chose de récent. Ce sont les Romains, grands diffuseurs de la culture de la vigne, qui, avec Columelle, nous ont laissé les premières descriptions. Ensuite, si les Croisades ont notablement concouru à la diffusion de cette liane, aucun auteur ne semble s'être penché sur la question. Puis, à la Renaissance, Olivier de Serres n'a fait que traiter de la culture de la plante et ses modalités, mais ne s'est pas intéressé aux cépages proprement dits.

C'est le XIXe qui marquera le début réel de la science ampélographique avec la découverte des cépages américains, leur hybridation avec les nôtres, qui allait provoquer, hélas, l'importation du phylloxera, ce minuscule insecte qui ruina l'économie de la vigne en France, à partir de 1864, pour trente longues années, jusqu'à la découverte de variétés naturellement résistantes à ce nuisible.

Les travaux de classification les plus importants des temps modernes, on les doit au Français Pierre Viala, puis au russe Alexandre Negrul et à un autre Français, Louis Levadoux.

Mais finalement, c'est de la législation viticole, que va naître, après-guerre, la description la plus complète des différents cépages, et surtout de leurs appellations synonymes, grâce à une méthode mise au point par Pierre Galet. Et, aujourd'hui, au domaine de Vassal, dans l'Hérault, plus de 2300 variétés sont répertoriées.

Depuis la fin du XXe siècle, la génétique est venue au secours de l'ampélographie, comme pour la connaissance de tous les organismes vivants, et il il faudrait citer les travaux de Jean-Michel Boursiquot dans ce domaine.

Mais, trêve de considérations historiques, venons-en à une définition ; l'ampélographie consiste à décrire et classer les cépages en fonction d'un ensemble de descripteurs que l'Organisation Internationale de la Vigne et du Vin a fixé au nombre de 88 ! Pas moins ! Appliqués aux bourgeons, aux feuilles jeunes, aux rameaux, feuilles adultes, grappes et baies.

Figurez-vous qu'en appliquant ces critères, on recense aujourd'hui près de 5000 cépages dans le monde , connus sous 40000 noms différents. C'est vous dire l'importance de la culture de la vigne pour nos sociétés."

Bénédicte, que ces doctes considérations commencent à ennuyer quelque peu, titillée par son instinct d'enquêtrice en mal d'efficacité, vient soudain rompre le fil de ce discours avec une question basique, mais bienvenue :

— Dites-moi, cher monsieur, l'arrivée des Chinois, sur le marché mondial du vin, a-t-elle, peu ou prou, à voir avec cette science ampélographique moderne ?

Julien en reste bouché bée, mais ne pipe mot, par crainte d'étouffer dans l'œuf la réponse attendue. Jacques Saintilan, pas le moins du monde perturbé, embraye aussitôt dans le sens indiqué par Bénédicte :

— Bien entendu. Les Chinois disposent, depuis la nuit des temps ou presque, d'un vin de céréales (riz ou millet), proche du saké japonais. L'importation de la vigne, elle, venue d'Ouzbékistan, date, à ce qu'on sait, du premier siècle avant notre ère, au temps de l'empire Parthe. Mais, pendant longtemps, si le raisin de table et les raisins secs étaient très appréciés, le vin lui-même, pourtant connu, est resté une boisson exotique, presque un médicament.Et il faudra attendre les missionnaires occidentaux du XIXe pour que se développe en Chine une vinification de masse, d'assez piètre qualité, par ailleurs !

Mais, depuis l'ouverture vers l'Occident des années 1980, c'est une croissance exponentielle que cette culture a connu. Avec des progrès immenses !

À tel point que l'on trouve à présent des vignobles étendus dans les provinces du Xinjiang, Gansu, Ningxia, Shandong, Hebei, Tianjin, Jilin, des régions du Nord de la Chine à pluviométrie limitée, entre les 35e et 42e parallèles. 

Et deux cépages européens sont présents dans presque toutes ces zones de productions : le merlot et le cabernet sauvignon. Ce sont eux qui ont permis la création des premiers vins de qualité chinois, qui rivalisent aujourd'hui avec ceux de Californie, d'Australie, d'Afrique du Sud, d'Argentine et prétendent le faire demain, pour ne pas dire déjà, avec ceux du Bordelais !

À ces mots, Bénédicte et Julien se tournent l'un vers l'autre pour échanger un regard complice qui n'échappe pas à leur interlocuteur. Il interrompt son propos pour poser cette question :

— Dites-moi, jeunes gens, ce qui vous amène exactement, plutôt que de me laisser pérorer dans le vide, que je voie si je peux vous être utile ou pas.

Après un nouvel échange de regards, nos deux amis décident alors de jouer cartes sur table et Julien prend la parole :

— Voilà : Je travaille pour la revue viticole La Vigne. On m'a chargé de réaliser une enquête sur les agissements des Chinois. Outre la contrefaçon qu'ils pratiquent à grande échelle, ils tenteraient, également, de cloner des cépages français, pour reproduire des crus bordelais classés sans payer les royalties prévues par les accords de l'OMC.
— Excusez-moi, mais on est bien loin du Bordelais et de ses grands crus classés ici. Si vous me disiez tout ?
— Bon, d'accord, il se trouve que les Douanes ont saisi récemment, dans des valises de touristes chinois rentrant au pays, des greffons de chenin blanc et de magdeleine noire, provenant d'ici, le tout sans facture, bien entendu.
— Très improbable. Et comment sauriez-vous cela ?
— Un contact bien placé, rien de plus.
— Et...
— Et nous aimerions savoir quel peut être l'enjeu économique d'une telle manœuvre. Ses tenants et aboutissants.
— Vous me faites trop d'honneur. Je l'ignore complètement.
— Mais vous avez bien une petite idée...?
— Pas la moindre !

La réponse a fusé, courte et sèche. Bénédicte et Julien se regardent en silence. Pas de doute, il y a baleine sous gravier, comme on dit dans les chaumières.

— Dommage ! Dans ce cas, nous allons vous laisser en vous remerciant pour le café et... le petit cours sur l'ampélographie, dit Julien d'un ton insidieux.

Jacques Saintilan s'est levé et leur indique d'une main ferme la sortie de sa propriété.

— À une autre fois, peut-être, ne peut s'empêcher d'ajouter Bénédicte, qui n'aime pas être congédiée avant l'heure.

Une fois remontés dans leur voiture, nos deux enquêteurs confèrent quelques instants :

— Bilan des courses : ce monsieur a quelque à voir avec les échantillons retrouvés à Roissy ou je veux bien entrer à la Trappe, dit Bénédicte.
— Ne parle pas de malheur, dit Julien, mi-figue mi-raisin...

Cette réponse énigmatique marquera la fin de cet épisode, si vous le voulez bien.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE,, septembre 2014.

mardi 30 octobre 2012

Quand le vin est tiré... - Chapitre 2


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Chapitre II

Vingt-quatre heures plus tard, à Saint-Suliac (Ille-et-Vilaine)

Les chambres d'hôtes "Les Mouettes" se situent dans une pimpante bâtisse du bourg même de Saint-Suliac. L'une d'entre elles, au rez-de-chaussée, possède des lits jumeaux. Julien n'en a pas trouvé d'autre sur la commune et il préfère loger au cœur de son champ d'investigation.

Nos deux nouveaux équipiers, habitués l'un comme l'autre à un minimalisme d'inspiration nordique très en vogue chez les gens de leur génération, à leur arrivée dans les lieux, trouvent le décor un peu suranné. Polis, ils n'en disent cependant rien à leur hôtesse, une veuve de marin, dans la soixantaine, plus vraie que nature. Peut-être en rajoute-t-elle un peu pour les touristes (accent du terroir, tablier bleu). La couleur locale, ça plaît bien. La propreté est impeccable, la literie modernisée et de plus, le rez-de-jardin leur convient tout à fait : ils pourront ainsi aller et venir à leur aise en toute discrétion. L'affaire est donc conclue : 58 € la nuit, petit déjeuner compris, durée à leur convenance ; en ce début juin, Dame Jeannine n'a rien de réservé avant le 15 prochain.

Sur la table de bois peint de la chambre, Julien a posé son ordinateur et sorti d'une chemise cartonnée divers articles de presse. Il se tourne vers Bénédicte assise en tailleur sur son lit et plongée dans un examen attentif des fleurettes de la tapisserie.

— Bon, tu m'écoutes Béné ? Voilà. J'ai été mandaté par une grande revue viticole pour enquêter sur les agissements des Chinois. Ils tenteraient, entre autres, de cloner à leur profit des cépages français protégés, pour reproduire des grands crus bordelais sans payer les royalties prévues par les accords de l'OMC. Et la piste m'amène ici.
— À Saint-Suliac ? De la vigne ? Tu rigoles ou quoi ?
— Pas du tout, ma chère. Figure-toi que jusqu'au siècle dernier, on y produisait du vin, rouge et blanc, et ce, depuis l'Antiquité !
— Alors, là, tu m'en bouches un coin ! Ça devait être de la piquette, en tout cas.
— Même pas. Au début, du temps des Romains, oui, mais ensuite la culture de la vigne a fait de tels progrès qu'au XVIe, il paraît même qu'un marquis de Quintin venait s'approvisionner sur la quinzaine d'hectares de vignoble qu'il y avait alors.
— Bon, d'accord, mais aujourd'hui à part quelques treilles, et encore ! y'a pas plus de raisin par ici que de beurre en broche !
— Détrompe-toi ! Il y a même une association pour le renouveau du vin breton, et les bonnes années, les vignerons suliaçais produisent dans les quatre cents litres de vin. Qu'ils ont le droit de boire ou de donner, mais pas de vendre. C'est là le hic. Officiellement, les quatre départements bretons ne sont plus région viticole et l'Administration tolère, mais ne veut pas officialiser cette résurrection.
— Et pendant ce temps-là, les Chinois rachètent à tour de bras les domaines viticoles mis en vente ou dont les propriétaires ne peuvent résister à des offres de rachat mirobolantes. Ils ont commencé par des petits châteaux dans le Bordelais et l'Anjou, mais j'ai lu la semaine dernière que Gevrey-Chambertin venait de tomber dans leur escarcelle ! Mon bourgogne préféré ! Ça commence à bien faire !
— Madame donne dans le patriotisme à tout crin et boit du Gevrey-Chambertin ? Je ne savais pas que la Police payait aussi bien ! Rassure-toi. Nos exportations de vin représentent encore plus de la moitié du marché chinois, mais il est vrai que les choses bougent très vite. L'an dernier, la progression du secteur a dépassé les 2O % ! L'engouement pour le vin est devenu un phénomène de société. Les financiers se sont emparés du créneau et la Chine est en passe de devenir le 5e pays consommateur au monde, mais elle est déjà le sixième producteur !
— Tu me récites Wikipédia par cœur ou quoi ?
— J'ai fait mon boulot. Je me suis documenté. Mais, tu as raison, revenons à notre sujet. Je vais t'emmener voir les deux inventeurs de la vigne de Saint-Suliac. Nous avons rendez-vous demain matin à dix heures sur les pentes du Mont Garrot.
— Les inventeurs de la vigne ? Sur les pentes du Mont Garrot ? C'est quoi, ce délire ?
— En 1996 on a retrouvé un vieux cep de vigne dans un taillis inextricable sur les pentes sud du Mont Garrot, un escarpement qui culmine à 73 m au-dessus du niveau de la mer, tout près d'ici. Mais, on verra ça demain. Si on se faisait une crêperie en attendant ? Je commence à avoir la dalle, moi, pas toi ?
— En voilà une idée qu'elle est bonne, moi, je dis.
— Alors, vendu !

Ils se retrouvent bientôt, à deux pas de leur logis, sur la terrasse du Galichon, l'unique crêperie du bourg, installée dans une vieille maison décorée avec goût.

Deux galettes "complètes", deux "andouille de Guéméné", deux crêpes "caramel au beurre salé" et six bolées de cidre plus tard, nos protagonistes ont l'estomac calé et l'humeur gaie. Bras dessus, bras dessous, ils entreprennent alors une petite promenade digestive par les ruelles du village jusqu'au port. C'est une belle soirée de fin de printemps. Le fond de l'air est doux. Le ciel, légèrement ennuagé, laisse le soleil déployer ses ors sur les eaux de la ria. Au Nord-ouest, l'oratoire de Notre Dame de Grainfollet, se découpe en ombre chinoise sur un horizon enflammé. Romantique à souhait, n'est-il pas ?

Julien en profitera-t-il pour tenter de ranimer les cendres du passé ? Bénédicte enterrera-t-elle ce soir sa vie de célibataire à corps défendant ? Vous le saurez peut-être dans le chapitre qui vient.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2012.

samedi 27 octobre 2012

Quand le vin est tiré... - Prologue et chapitre 1

Voici en version probatoire le début de la nouvelle aventure de Bénédicte Plassard, héroïne récurrente de sept nouvelles policières déjà (les premières réunies dans "Passe de quatre", les dernières dans "Le Triangle de Mlle B.", deux recueils téléchargeables gratuitement sur le site d'Alexandrie Online.

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Prologue

Bénédicte Plassard, OPJ à la BRI de Rennes Centre, célibataire malgré elle depuis plusieurs mois, n'avait pas trouvé le moyen d'épuiser ses jours de récupération du premier semestre. Ainsi se retrouve-t-elle, un lundi matin de juin, convoquée par son commissaire qui lui signifie que les affaires étant un peu plus calmes, elle est en vacances à compter de cette minute.

— C'est un ordre, Plassard, il n'y a plus que vous qui n'avez pas pris toutes vos récup'. Ça fait désordre et ça complique la vie du service, alors, exécution !
— Bien, Commissaire. Et je reviens quand ?
— Commencez d'abord par partir, on vous rappellera si on a besoin de vous.

D'abord renfrogné, le joli minois de la policière tente de s'éclairer d'un sourire :

— Vous savez bien qu'au bout de deux jours de vacances, je m'em... quiquine, Commissaire.
— Peut-être, mais votre crédit RTT déborde et vos RPS aussi. Je n'ai plus de quoi vous les payer et on ne peut pas les verser sur votre compte épargne-temps. Alors, il faut m'utiliser tout ça avant vos congés annuels. Vous pouvez disposer, capitaine.

Bénédicte Plassard salue et sort du bureau.

Chapitre I

Retrouvailles

Selon un bref calcul de tête, cela l'oblige à deux semaines d'inactivité, au bas mot. Vacances ! Elle a le mot en horreur. Pas la chose, non ! Faut pas pousser. Mais décidément, en ce moment dans sa vie, tout est vacuité ! À commencer par son lit, vide de chez vide depuis... Elle renonce à compter. Trop longtemps, en tout cas ! Ensuite, son équipier Simon Le Lagadec dit Sim, qui a fait valoir ses droits à une retraite anticipée pour s'occuper de sa vieille mère ! À cinquante-deux ans ! Quelle misère ! Obligée de supporter des petits jeunes, nerveux comme des pur-sang, (dé)formés à la culture du résultat et à la déontologie trop souvent douteuse. Alors si maintenant, en plus, on la prive de boulot, c'est la totale ! Le vide sur toute la ligne.

Elle retourne mettre un semblant d'ordre sur son bureau, transmet à ses équipiers les instructions pour les affaires en cours et sort d'un pas désabusé sur le Boulevard de la Tour d'Auvergne. Qu'est-ce qu'elle va bien pouvoir faire de tout ce temps ?

Elle a donné son mobile-home de Pléneuf Val André en location jusque début juillet. Impossible d'aller se dorer la pilule là-bas. Et de toute façon, la météo annoncée n'est pas terrible ! Le soleil dans les îles, elle réserve cela pour cet été. Alors, quoi ? Une petite croisière en catamaran ? Elle consulte son compte en banque sur son smartphone. Il n'est pas dans le rouge, mais à marée basse quand même. Sa dernière virée au Casino lui a coûté cher. C'était pour le service, mais elle n'aurait pas dû jouer son propre fric, après avoir perdu les 200 € que lui avait octroyés le Commissaire ! Total : la cagnotte du service est à sec et elle sur le sable !

Elle s'attable à la première terrasse qui se présente sur le Boulevard et commande un un café-crème. Là, touillant distraitement un expresso bientôt froid, elle s'abîme dans des pensées aussi grises que le ciel plombé de cette matinée, lorsqu'une voix mâle la hèle depuis le trottoir opposé :

— Bénédicte ?

Un homme brun élancé agite le bras dans sa direction. Arquant les sourcils, elle tend les mains, paumes ouvertes, pour signifier son ignorance. Le quidam prend cela pour une invite et traverse aussitôt la chaussée. Pendant les quelques secondes que cela prend, sa procédure d'identification s'accélère dans l'esprit aiguisé de la policière et lorsque qu'il s'arrête devant elle, un prénom jaillit des lèvres de Bénédicte :

— Julien !

Gagné. Rennes. Licence en Droit. Cela remonte à dix ans maintenant. Elle avait passé le Concours d'Inspecteur de Police et l'avait obtenu. Leurs chemins s'étaient séparés. Il a pris dix ans. Elle moins, apparemment, puisqu'il l'a reconnue et elle pas. Ils s'embrassent comme de vieilles connaissances qu'ils sont.

— Alors, qu'est-ce que tu deviens ? Toujours dans la Police ? demande Julien en la détaillant du regard tandis que Bénédicte lui fait signe de s'asseoir à sa table.
— Oui, oui, capitaine à la BRI d'en face. Et toi, avocat ? Magistrat du siège ? Ou du parquet ?
— Non, non, journaliste d'investigation, free lance.
— Ah bon ? On fait presque le même métier, alors ?
— On dirait bien. Mais pas avec les mêmes outils. À toi le flingue, à moi le stylo, enfin, le clavier et la souris. Bénédicte voit là un raccourci journalistique aussi typique qu'erroné, mais s'abstient de le relever.
— Et tu travailles sur quoi en ce moment ?
— Je ne peux pas te donner les détails, tu t'en doutes, mais là, je pars sur une enquête très près d'ici, à Saint-Suliac. Tu connais ?
— Ouais, un peu, c'est sur les bords de Rance, non ?
— Exact. Et toi, t'es sur quoi ?
— Que dalle. Mon boss vient de me mettre en congé pour quinze jours. Chômage technique. Des jours à récupérer avant la date fatidique. Ça m'emmerde. J'ai rien de prévu. Je sais pas trop quoi faire.
— Ça te dirait de m'accompagner ? Tu me servirais de couverture. Un couple, vrai ou faux, ça attire moins l'attention qu'un solitaire.

Bénédicte regarde Julien. Julien regarde Bénédicte. Dans quoi va-t-elle se fourrer encore ? Les non-dits restent sous cape. Finalement, la paume de sa main droite va frapper celle de Julien :

— Tope-là, Juju !

Juju c'était le surnom de Julien, au temps de la Fac. Elle, c'était Béné.

— Mais on fait lit à part, OK ?

Julien écarte les mains, paumes ouvertes et levées, comme pour signifier : "Si tel est ton choix, d'accord".

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2012.

mercredi 20 juin 2012

Portrait de Bénédicte Plassard


marmolnegrofabianperez.jpg©Fabián Pérez 2008-2009

C'est en 1999 que j'ai créé le personnage de Bénédicte Plassard, jeune policière briochine, pin-up au caractère trempé et au langage libre, associée à Simon Le Lagadec. Sept enquêtes plus tard, et au moment d'attaquer la huitième, le temps est venu, me semble-t-il, de faire le point.

Que savons-nous de Bénédicte Plassard ?

Voici ce que j'écrivais dans la préface de "Passe de quatre", le volume qui regroupa en 2006 ses quatre premières enquêtes :

"Lorsqu’au seuil de l’an 2000, une femme officier de police est apparue dans un de mes textes intitulé « Le Monte-en-l’air d’Hypokhâgne », j’aurais été bien en peine de prédire qu’avec son physique avantageux, mais son nom improbable, elle allait faire carrière !

Cette nouvelle, en effet, était bien plus prétexte à explorer un milieu et un lieu particuliers qu’à asseoir un personnage, rapidement ébauché. C’était oublier que, si les lieux d’intrigue sont à usage unique, leurs protagonistes, une fois sortis de la gangue de notre imaginaire, ne nous quittent pas aussi facilement !

Dans cette première enquête, je la présentais ainsi :

"La rentrée 1985 avait également vu l'arrivée, au Commissariat de la ville, à l'étroit dans un hôtel particulier vieillot de la Place de la Poste, de l'inspecteur Bénédicte Plassard, toute fraîche émoulue de l'École de police de L'Hay-les-Roses.

Les femmes étaient encore rares dans la police et le commissaire Le Puil avait assigné comme coéquipier à cette première et unique femme-inspecteur de son commissariat, Simon Le Lagadec, un petit chauve débonnaire, mais efficace. Surnommé Sim, plus par commodité que pour sa ressemblance avec l'inénarrable interprète de la Comtesse de la Tronche-en-Biais, ce vieux garçon à lunettes de myope mâchouillait à longueur de journée du bois de réglisse, pour ne pas se remettre à fumer ses deux paquets quotidiens de Gitanes maïs.

Son nouveau sort fit aussitôt des envieux. Car, avec son physique de mannequin et en dépit de ses tenues volontairement masculines, l'inspecteur Plassard ne passait pas inaperçue : grande, brune, cheveux courts, courbes flatteuses, minois charmant et yeux clairs, tout ce qu'on aimerait voir plus souvent dans la police à la place des ours mal léchés qu'on y trouve encore.

Aussi son arrivée au Commissariat mit-elle ce microcosme en révolution. Sim et Béné - car le surnom de l'un suggéra à tous celui de l'autre - furent bientôt l'objet de gorges chaudes, de sous-entendus, de lazzi qui, très vite, lassèrent la principale intéressée."

Dans sa seconde enquête, "Les Cavaliers de la Pleine Lune", nous en apprenions un peu plus sur notre héroïne :

"Bénédicte Plassard, fille d'un avocat réputé de la ville, avait fait ses humanités dans le lycée bon chic bon genre du lieu(1), avant de rejoindre la Faculté de droit, pour des études supérieures un peu décousues qui l'avaient menée en cinq ans au concours d'inspecteur de police au lieu du barreau que son père ambitionnait pour elle."

Sexuellement libérée, ainsi qu'en témoigne le passage ci-dessous :

... "C'était son rugbyman. Elle lui sauta au cou, nouant ses jambes autour de sa taille, tandis qu'elle l'embrassait à pleine bouche avant qu'il ait eu le temps de dire ouf ! Mais le gaillard avait de la ressource et dix minutes plus tard, l'œil curieux qui se serait collé à l'œilleton resté ouvert de la porte aurait découvert sur la moquette de l'entrée une bête à deux dos et Bénédicte, nue comme un ver, ...

ses amours sont contingentes, éparses et parfois malheureuses comme celles de cette enquête pour un rugbyman, escroc au mariage, doublé d'un dealer, qu'elle concourra à accuser pour ne pas compromettre sa carrière.

Cette vie décousue explique sans doute ses doutes récurrents, comme à la fin de sa troisième enquête, "Comme du sable entre les doigts" :

"...Ce soir-là, Bénédicte Plassard se coucha tôt parce qu'elle était solitaire, triste et lasse. Cette enquête lui avait coulé comme du sable entre les doigts depuis le début. Et elle était sans mec depuis un mois. Parfois, elle se demandait si elle avait fait le bon choix, en passant le Concours d'Inspecteur de Police plutôt que celui de Professeur des Écoles ou de Contrôleur des Impôts ! Avec la vie qu'elle menait, toutes ses amours étaient transitoires. Puis, le bourbon bien tassé qu'elle s'était servie fit son office et elle sombra dans un sommeil agité, visité par un homme blond avec un diamant dans l'oreille gauche."

Dans l'exercice de sa profession, Bénédicte est capable de prendre pour elle-même toutes sortes de risques, irréfléchis ou prémédités, souvent au mépris des instructions de sa hiérarchie avec laquelle elle entretient des relations difficiles. En effet, c'est une forte tête, plutôt indisciplinée, dont on tolère les foucades en raison de ses résultats.

C'est ainsi que nous la voyons sauter d'une voiture en marche à la poursuite d'un malfaiteur en cavale, dans ce passage de "Comme du sable entre les doigts" :

"Le véhicule ralentit dans la courbe serrée qui précédait le stop. Bénédicte venait de détacher sa paire de menottes de sa ceinture pour s'enchaîner à Martin. Simon donna un coup de frein pour marquer le stop. C'était le moment. Dans le mouvement naturel vers l'avant qu'il fit, comme Bénédicte, Martin ouvrit la portière de ses mains entravées, fit un roulé-boulé de parachutiste sur la piste de sable, puis se raidissant de son mieux, se laissa dévaler la pente abrupte, comme un tronc que l'on débarde."

La soudaineté de l'action n'eut d'égale que la rapidité de réaction de Bénédicte. Avant même que Simon, qui se préparait à prendre la direction du centre ville, n’ait réalisé ce qui venait de se passer, elle aussi avait roulé par la portière ouverte sur la piste de jogging. Mais lorsqu'elle put se relever, sortir son arme et mettre en joue le fuyard, elle se rendit compte qu'il faisait trop sombre à présent, que celui-ci était hors de portée de voix, les sommations impossibles et l'affaire entendue.

Mais nous la verrons aussi servir d'appât à un "serial killer", dans une scène dramatique de "En attendant l'orage", selon les mots mêmes du criminel :

... "Nous sommes assis côte à côte sur le lit, parce qu'il n'y a que la chaise du bureau et deux ou trois poufs. Nous trinquons. Je la regarde. En moi, le mélange de désir et de répulsion est à son climax, je vais exploser. 

D'une main, je l'allonge brusquement sur le lit, pendant que de l'autre, j'arrache sa culotte, sous sa jupe. Je suis sur elle, je m'étais débraguetté depuis longtemps, j'ai bandé instantanément. Sa bière roule sur le tapis. Mais c'est qu'elle résiste, voyez-vous ça. Mademoiselle voudrait plus de douceur, sans doute. On vous aguiche, on vous électrise, et après on s'étonne du cataclysme que l'on déclenche. C'est trop tard !

Aïe ! Elle vient de me donner un coup de genou dans les joyeuses, tout en me faisant basculer d'un mouvement de judoka. Nous voilà par terre, moi-dessous, elle dessus. Non mais, qu'est-ce qu'elle croit, moi aussi, j'ai fait des arts martiaux ! Qu'est-ce que je fais ? Je l'étrangle tout de suite et je la baise après, ou on fait mumuse encore un peu ? Elle me porte une attaque au yeux, qui m'oblige à lâcher prise. Une de mes mains accroche l'échancrure de son corsage. Putain, qu'est-ce que je vois ? Un micro émetteur miniature scotché sur la peau. Je me suis fait avoir depuis le début. Cette fille est une keuf ou elle marche avec eux. Elle va le regretter. J'arrache l'engin. Je lui gueule des insanités. Ah ! Tu crois que je vais bander mou pour si peu ? Tu te trompes, ma vieille, moi, c'est tout le contraire. Plus on me résiste, plus j'ai la trique. Attends un peu ! Je lui porte un violent coup à la tempe au moment où elle tente de m'expédier dans le décor de ses deux jambes repliées sous son menton. La voilà groggy. Et en position. Je vais te la ramoner vite fait et après, adieu Berthe ! J'ai pas intérêt à moisir ici. " ... 

Ses rapports à l'autorité et son inobservation des procédures lui ont valu une mise à pied de huit jours dans l'affaire précédente. Et elle écopera finalement d'une promotion au grade de capitaine, certes, mais accompagnée d'une mutation d'office de la "Cité Gentille" de ses débuts, vers le Trégor, perdant su même coup son équipier Simon Le Lagadec.

C'est là qu'elle verra une alerte octogénaire surnommée Mam Goz la supplanter dans la résolution d'une affaire de trafic de fausse monnaie, tandis qu'elle fera face aux assiduités de son nouveau coéquipier, un corse du nom de Justin Paolozzi. Mais elle ne franchira pas le pas de mêler travail et vie privée.

Mise en congé d'office, à la suite de cette malencontreuse affaire où le prestige de la Police fut mis à mal par une institutrice en retraite, Bénédicte s'en alla prendre quelques vacances sur la Côte Sauvage, du côté de La Baule.

"Ce weekend-là, autour de la Vigie, un ballet inhabituel de véhicules aurait dû être remarqué par tout observateur attentif.

Il faut croire que Bénédicte Plassard, Officier de Police Judiciaire mis en congé d'office par son supérieur hiérarchique à la suite d'une enquête mal ficelée, fut la seule à avoir quelque raison de s'y intéresser d'un peu près. Et elle alla bientôt de surprise en surprise." ...

Au mépris des procédures, une fois de plus, jouant de sa séduction auprès du médecin-légiste chargé d'examiner le cadavre qu'elle découvrira, Bénédicte déjouera les plans criminels d'une secte d'adorateurs du Phallus de Priape, derrière laquelle divers notables cachaient leurs turpitudes.

... "Dans la salle de cérémonie, peu de mobilier. Au centre, une sorte de catafalque, recouvert de velours cramoisi. Derrière, cinq personnages masqués en chasuble de soie, constellée de motifs identiques à celui du bijou, brodés au fil d'or. Le regard des filles, d'abord attiré par les masques grimaçants de cuir fauve, se focalisa bientôt sur les chasubles : par un orifice pratiqué au niveau de l'entrejambe, elles laissaient voir cinq sexes bandés à tout rompre, au gland déjà luisant et tous d'une taille bien supérieure à la moyenne.

Nous y voilà, songèrent les cinq demoiselles de la Vigie et leurs entrailles se contractèrent. Une soirée avec mise en scène. Elles étaient payées pour savoir que les fantasmes de l'espèce humaine n'ont d'autres limites que la religion et la mort. Un frisson les parcourut.

Le masque du centre, arborait un long nez qui pointait bas, à l'inverse de son autre appendice. Croisant les bras sur sa poitrine, il parla, tête levée vers le plafond :

« Ô Priape, toi qui nous a choisis, entends les prières de tes Adorateurs. Nous, en qui tu t'es réincarné, sommes réunis ici ce soir pour te rendre le culte qui t'es dû. Vois notre état de grâce et permets-nous d'entrer en "communion" et de purifier nos sœurs par ton Saint-Sperme ».

À son signal, les masques de Scapin, Polichinelle, Pantaleone et Arlequin s'avancèrent vers les nouvelles venues et les firent agenouiller devant eux.

Mara, la praguoise, échangea un regard avec ses collègues :

— Fini de rire, les filles, au tra...

Elle ne put en dire davantage. ...

Dans sa dernière enquête parue à ce jour, c'est dans la capitale bretonne que nous la retrouvons, faisant à nouveau équipe avec Simon Le Lagadec, avec qui elle devra résoudre une délicate affaire de fourgon de transport de fonds volé, sous l'autorité du Commissaire Dutertre.

L'épilogue de cette affaire la confrontera à la chance, à l'appât du gain et à son premier dilemme moral :

"En redonnant un coup de jeune à cet équipement (2), qui a servi une dizaine d'années dans un camping de la Côte d'Azur, quelle n'a pas été ma surprise de voir un sac plastique noir tomber du faux-plafond que je tentais de démonter !

Et lorsque j'eus ouvert et vidé ce sac sur la table du séjour de la caravane, ce sont cent liasses de billets de deux cents euros tout neufs qui se sont étalées à ma vue. Un million d'euros ! Une fois recomptées, il s'avéra qu'il manquait un billet dans une des liasses. Un seul.

Hélas, impossible d'ignorer l'origine de ces fonds : la bande de scellement à demi-arrachée était marquée d'une série de B. F. trop révélateurs ! Le fric de Denis Popovič peut-être, celui d'un casse en tout cas, planqué naguère sur la Riviera et qui a voyagé incognito jusqu'à moi ! Je me pince pour le croire !!!

Denis, lui, est sorti de prison, il y a un mois. J'étais là à sa levée d'écrou, on l'a suivi de près, mais rien à signaler, à part... un voyage sur la Côte, justement. Et en camping ! Tout s'éclaire à présent. Mais il est rentré bredouille !!!

J'ai précipitamment remballé les liasses et replacé le sac dans sa cachette d'origine, le temps de me remettre de mon émotion et d'envisager la conduite à tenir.

Ça m'a pris une semaine.

Qu'est-ce que j'ai fait, finalement ?

J'ai rendu l'argent, vous pensez bien, sinon, je ne serais pas en train de vous raconter ça, mais quelque part au soleil, les doigts de pied en éventail, non ?

Pourquoi ? Pour continuer à me regarder dans la glace sans honte, on ne se refait pas ! Et puis aussi parce j'ai eu peur de m'em... quiquiner, à la longue, à dépenser cette petite fortune tombée d'un toit.

Saleté de conscience, hein ! ...

Voilà, brièvement esquissé, le portrait de Bénédicte Plassard, telle qu'elle nous apparaît dans les sept enquêtes dont elle a été la protagoniste jusqu'à présent.

La huitième, car c'est décidé, elle reprend du service, la mènera sur les bords de Rance, pour une aventure dont le titre provisoire est " La Madgeleine noire de Saint-Suliac".

Assez dit pour aujourd'hui. À bientôt.

(1) le lycée Louis Guilloux.
(2) un mobile-home,

©Pierre-Alain GASSE, juin 2012.

jeudi 24 février 2011

Le Fourgon - Nouvelle policière - Épilogue


Épilogue

Il y a quelques semaines, j'ai acheté aux enchères sur Internet un mobile home d'occasion pour mettre sur un bout de terrain dont j'ai hérité d'une vieille tante, tout près du Camp Vert, au Val André. Je ne l'ai pas payé cher, moins de 5000 €, mais il fallait que je le ramène jusqu'ici ! Heureusement que j'ai un tonton transporteur. Ce sera parfait pour aller pratiquer la planche à voile et le kite-surf, pendant les weekends, les récup et les vacances.

En redonnant un coup de jeune à cet équipement, qui a servi une dizaine d'années dans un camping de la Côte d'Azur, quelle n'a pas été ma surprise de voir un sac plastique noir tomber du faux-plafond que je tentais de démonter !

Et lorsque j'eus ouvert et vidé ce sac sur la table du séjour de la caravane, ce sont cent liasses de billets de deux cents euros tout neufs qui se sont étalées à ma vue. Un million d'euros ! Une fois recomptées, il s'avéra qu'il manquait un billet dans une des liasses. Un seul.

Hélas, impossible d'ignorer l'origine de ces fonds : la bande de scellement à demi-arrachée était marquée d'une série de B. F. trop révélateurs ! Le fric de Denis Popovič peut-être, celui d'un casse en tout cas, planqué naguère sur la Riviera et qui a voyagé incognito jusqu'à moi ! Je me pince pour le croire !!!

Denis, lui, est sorti de prison, il y a un mois. J'étais là à sa levée d'écrou, on l'a suivi de près, mais rien à signaler, à part... un voyage sur la Côte, justement. Et en camping ! Tout s'éclaire à présent. Mais il est rentré bredouille !!!

J'ai précipitamment remballé les liasses et replacé le sac dans sa cachette d'origine, le temps de me remettre de mon émotion et d'envisager la conduite à tenir.

Ça m'a pris une semaine.

Qu'est-ce que j'ai fait, finalement ?

J'ai rendu l'argent, vous pensez bien, sinon, je ne serais pas en train de vous raconter ça, mais quelque part au soleil, les doigts de pied en éventail, non ? 

Pourquoi ? Pour continuer à me regarder dans la glace sans honte, on ne se refait pas ! Et puis aussi, parce j'ai eu peur de m'em... quiquiner, à la longue, à dépenser cette petite fortune tombée d'un toit.

Saleté de conscience, hein ! 

Mais j'ai laissé Denis Popovič tranquille ! Il a payé sa dette à la société. À quoi bon lui pourrir la vie davantage !

©Pierre-Alain GASSE, janvier 2011.

mardi 22 février 2011

Le Fourgon - Nouvelle policière - Chapitre 13


À nous deux...

— Lieutenant Le Lagadec, le Divisionnaire veut vous voir. Je vous remplace.
— Bien, mon capitaine.

Sim, qui ne m'a pas vue en look amazone depuis un moment, plisse les yeux en sortant pour me faire comprendre qu'il apprécie le paysage.

— Monsieur Popovič, en attendant votre avocat, qui ne devrait plus tarder, si on reprenait depuis le début ? Nom, prénom, date et lieu de naissance, domicile, etc...
— Écoutez, ma jolie, j'ai déjà dit tout ça à votre collègue au moins deux fois, ça commence à...
— Primo, je suis le Capitaine Plassard, point barre, compris ? Deuxio, lui, c'est lui, et moi, c'est moi. J'ai besoin que vous me redonniez ces renseignements pour me faire une idée de qui vous êtes, OK ? Ce n'est pas trop compromettant pour vous, vous pouvez me le dire sans consulter votre avocat, non ? Ou alors, c'est qu'il y a déjà anguille sous roche...
— Popovič Denis, né le 30 janvier 1975 à Plitvice (Croatie), domicilié 4, Square de l'Orléanais à Rennes (35). Conducteur de fonds. Divorcé, sans enfant. Ça vous va, comme ça ?
— Nous verrons. Vous voyagiez avec un passeport serbe. Vous avez la double nationalité ?
— C'est exact. Mes parents sont serbes.
— Pourquoi êtes-vous allé vous livrer à la police à Monaco ?
— À votre avis ?
— Je l'ignore précisément, mais je pense que vous avez peut-être paniqué en voyant votre portrait à la une de tous les média, en France comme à l'étranger. Vous aviez sous-estimé l'impact que votre acte allait avoir. Le costume de "nouveau Robin des Bois" est trop grand pour vous. Et malgré votre barbe naissante, vous étiez encore trop reconnaissable. Où que vous alliez, impossible de relâcher votre vigilance, de baisser la garde, de dormir sur vos deux oreilles. C'est usant à la fin, n'est-ce pas ?
— Peut-être. Et alors ?
— Et alors vous aviez le choix entre la fuite en avant, quitte à commettre une grosse connerie ou vous rendre et payer votre dette à la société. Vous avez opté pour la seconde solution.
— Si vous le dites...
— Et comme dernier pied de nez à la police, vous vous êtes rendu à Monaco, sachant qu'on ne pourrait vous arrêter et que c'est donc en citoyen libre que de vous-même vous accepteriez de mettre fin à votre aventure.
— Je n'y aurais pas pensé, mais l'idée est plaisante.
— Mais avant de vous rendre, vous avez caché quelque part le million manquant. Vous pensez sans doute pouvoir le récupérer à l'issue des trois ans dont vous allez certainement écoper (dix-huit mois à deux ans avec les remises de peine), mais détrompez-vous, Popovič, je serai là à votre sortie et je ne vous quitterai pas d'une semelle. Vous ne pourrez jamais profiter de cet argent.
— Je suis parti avec les cinquante mille euros que j'ai retirés de mes comptes. J'aurais été fou de toucher à cet argent tout de suite. 
— C'était fou surtout de le laisser entreposé dans ce box à la merci de la première perquisition venue. Amateurisme total. Il ne nous a pas fallu cinq jours pour mettre la main dessus.
— Alors, débrouillez-vous pour retrouver le reste. Je ne vous dirai plus rien.
— Vous êtes trop susceptible, Popovič, et sentimental aussi. Vous voulez que je vous dise ce qui vous a déstabilisé et amené à vous rendre : la nouvelle que vous aviez une grande fille que l'on a menacée. La presse people l'a retrouvée. Ça a dû vous faire un choc, hein ?

Denis Popovič a blêmi sous l'outrage. Sa mâchoire se crispe un instant. Mais il se maîtrise et se contente de baisser les yeux sur la photo de Zara.

— Ce n'est pas ma fille, je ne l'ai pas reconnue !
— Bien. Revenons à nos moutons. Denis Popovič, vous êtes inculpé du délit de vol simple, sans effraction ni violence. Je vais vous déférer au Parquet. Ensuite, vous serez incarcéré en préventive jusqu'à votre procès en correctionnelle, dans quelques mois. Vous risquez trois ans de privation de liberté, 45000 € d'amende et une interdiction d'exercer pouvant aller jusqu'à 5 ans.
— Vous ne retrouverez jamais ce fric. J'ai bien compris qu'il me gâcherait la vie jusqu'à la fin de mes jours. Alors, je l'ai semé au vent, billet par billet, de ma moto, entre la Suisse et l'Italie, histoire de faire quelques heureux quand même.
— Je ne vous crois pas, Popovič, mais on va vérifier, bien entendu. On a le temps, d'ici que vous ne sortiez, n'est-ce pas ?
— Bon courage, capitaine Plassard.

Je sors de la salle. Ce type m'énerve. Trop bleus, ses yeux. Il nous mène en bateau. Mais on va bien être obligés de ratisser tous les itinéraires possibles entre la bergerie et Monaco pour savoir s'il a dit vrai. Putain de sa m...!

Il y a des jours où je regretterais presque d'être entrée dans la Police !

Dans le couloir de retapissage, Sim se marre :

— Alors, t'as fait chou blanc ? Il aime pas les brunes ou quoi ? On reprend les bonnes vieilles méthodes ? Marinade, interrogatoire musclé et chantage à la remise de peine ?
— Laisse tomber. On l'envoie au proc.
— Eh ben, ça alors !

Je ne peux pas lui dire que je le trouve mignon.

En plus, si ça se trouve, dans trois ans, ce sera un homme riche !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, février 2011.

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