Voici en version probatoire le début de la nouvelle aventure de Bénédicte Plassard, héroïne récurrente de sept nouvelles policières déjà (les premières réunies dans "Passe de quatre", les dernières dans "Le Triangle de Mlle B.", deux recueils téléchargeables gratuitement sur le site d'Alexandrie Online.

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Prologue

Bénédicte Plassard, OPJ à la BRI de Rennes Centre, célibataire malgré elle depuis plusieurs mois, n'avait pas trouvé le moyen d'épuiser ses jours de récupération du premier semestre. Ainsi se retrouve-t-elle, un lundi matin de juin, convoquée par son commissaire qui lui signifie que les affaires étant un peu plus calmes, elle est en vacances à compter de cette minute.

— C'est un ordre, Plassard, il n'y a plus que vous qui n'avez pas pris toutes vos récup'. Ça fait désordre et ça complique la vie du service, alors, exécution !
— Bien, Commissaire. Et je reviens quand ?
— Commencez d'abord par partir, on vous rappellera si on a besoin de vous.

D'abord renfrogné, le joli minois de la policière tente de s'éclairer d'un sourire :

— Vous savez bien qu'au bout de deux jours de vacances, je m'em... quiquine, Commissaire.
— Peut-être, mais votre crédit RTT déborde et vos RPS aussi. Je n'ai plus de quoi vous les payer et on ne peut pas les verser sur votre compte épargne-temps. Alors, il faut m'utiliser tout ça avant vos congés annuels. Vous pouvez disposer, capitaine.

Bénédicte Plassard salue et sort du bureau.

Chapitre I

Retrouvailles

Selon un bref calcul de tête, cela l'oblige à deux semaines d'inactivité, au bas mot. Vacances ! Elle a le mot en horreur. Pas la chose, non ! Faut pas pousser. Mais décidément, en ce moment dans sa vie, tout est vacuité ! À commencer par son lit, vide de chez vide depuis... Elle renonce à compter. Trop longtemps, en tout cas ! Ensuite, son équipier Simon Le Lagadec dit Sim, qui a fait valoir ses droits à une retraite anticipée pour s'occuper de sa vieille mère ! À cinquante-deux ans ! Quelle misère ! Obligée de supporter des petits jeunes, nerveux comme des pur-sang, (dé)formés à la culture du résultat et à la déontologie trop souvent douteuse. Alors si maintenant, en plus, on la prive de boulot, c'est la totale ! Le vide sur toute la ligne.

Elle retourne mettre un semblant d'ordre sur son bureau, transmet à ses équipiers les instructions pour les affaires en cours et sort d'un pas désabusé sur le Boulevard de la Tour d'Auvergne. Qu'est-ce qu'elle va bien pouvoir faire de tout ce temps ?

Elle a donné son mobile-home de Pléneuf Val André en location jusque début juillet. Impossible d'aller se dorer la pilule là-bas. Et de toute façon, la météo annoncée n'est pas terrible ! Le soleil dans les îles, elle réserve cela pour cet été. Alors, quoi ? Une petite croisière en catamaran ? Elle consulte son compte en banque sur son smartphone. Il n'est pas dans le rouge, mais à marée basse quand même. Sa dernière virée au Casino lui a coûté cher. C'était pour le service, mais elle n'aurait pas dû jouer son propre fric, après avoir perdu les 200 € que lui avait octroyés le Commissaire ! Total : la cagnotte du service est à sec et elle sur le sable !

Elle s'attable à la première terrasse qui se présente sur le Boulevard et commande un un café-crème. Là, touillant distraitement un expresso bientôt froid, elle s'abîme dans des pensées aussi grises que le ciel plombé de cette matinée, lorsqu'une voix mâle la hèle depuis le trottoir opposé :

— Bénédicte ?

Un homme brun élancé agite le bras dans sa direction. Arquant les sourcils, elle tend les mains, paumes ouvertes, pour signifier son ignorance. Le quidam prend cela pour une invite et traverse aussitôt la chaussée. Pendant les quelques secondes que cela prend, sa procédure d'identification s'accélère dans l'esprit aiguisé de la policière et lorsque qu'il s'arrête devant elle, un prénom jaillit des lèvres de Bénédicte :

— Julien !

Gagné. Rennes. Licence en Droit. Cela remonte à dix ans maintenant. Elle avait passé le Concours d'Inspecteur de Police et l'avait obtenu. Leurs chemins s'étaient séparés. Il a pris dix ans. Elle moins, apparemment, puisqu'il l'a reconnue et elle pas. Ils s'embrassent comme de vieilles connaissances qu'ils sont.

— Alors, qu'est-ce que tu deviens ? Toujours dans la Police ? demande Julien en la détaillant du regard tandis que Bénédicte lui fait signe de s'asseoir à sa table.
— Oui, oui, capitaine à la BRI d'en face. Et toi, avocat ? Magistrat du siège ? Ou du parquet ?
— Non, non, journaliste d'investigation, free lance.
— Ah bon ? On fait presque le même métier, alors ?
— On dirait bien. Mais pas avec les mêmes outils. À toi le flingue, à moi le stylo, enfin, le clavier et la souris. Bénédicte voit là un raccourci journalistique aussi typique qu'erroné, mais s'abstient de le relever.
— Et tu travailles sur quoi en ce moment ?
— Je ne peux pas te donner les détails, tu t'en doutes, mais là, je pars sur une enquête très près d'ici, à Saint-Suliac. Tu connais ?
— Ouais, un peu, c'est sur les bords de Rance, non ?
— Exact. Et toi, t'es sur quoi ?
— Que dalle. Mon boss vient de me mettre en congé pour quinze jours. Chômage technique. Des jours à récupérer avant la date fatidique. Ça m'emmerde. J'ai rien de prévu. Je sais pas trop quoi faire.
— Ça te dirait de m'accompagner ? Tu me servirais de couverture. Un couple, vrai ou faux, ça attire moins l'attention qu'un solitaire.

Bénédicte regarde Julien. Julien regarde Bénédicte. Dans quoi va-t-elle se fourrer encore ? Les non-dits restent sous cape. Finalement, la paume de sa main droite va frapper celle de Julien :

— Tope-là, Juju !

Juju c'était le surnom de Julien, au temps de la Fac. Elle, c'était Béné.

— Mais on fait lit à part, OK ?

Julien écarte les mains, paumes ouvertes et levées, comme pour signifier : "Si tel est ton choix, d'accord".

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2012.