Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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Tag - nouvelle dramatique

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vendredi 21 juillet 2017

L'Affaire de Collonges-la-Rouge -Chapitre 11



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XI
Edmond Favart approchait de sa destination et l'excitation montait en lui à la pensée de "baiser" à nouveau Wanda. Plus que deux kilomètres avant l'abri sous roche qu'il avait investi à l'insu de son propriétaire, grabataire dans un hôpital de la région.

Soudain, un ronronnement sourd venu du ciel, lui fit lever la tête : "Merde, un hélico, ils sont à mes trousses, j'aurais dû changer de voiture... Heureusement la route jusqu'à Wanda est sinueuse et boisée. Tant pis, j'abandonnerai le véhicule près de la rivière et je ferai le reste à pied. Avant qu'on me retrouve, il sera trop tard...

À deux cents mètres du lieudit, il cacha la fourgonnette dans un bosquet au bord de la rivière, avant le pont et prit, en sens opposé, le chemin qui montait vers la roche. C'était un sentier carrossable, bordé de murets de pierres, sur lesquels avaient poussé des chênes rabougris et noueux, des genévriers, des épines et des ajoncs qui n'offraient pas trop de protection à la vue. Il se mit au pas de course. Il atteignit bientôt la rampe caillouteuse qui s'élevait jusqu'à l'abri.

Annelore, en sanglots, depuis le départ de ses enfants, reconnut le pas lourd de son ravisseur et se rencogna d'instinct contre les planches de son bat-flanc. Elle aurait voulu rentrer sous terre ou mourir dans l'instant ! Il approchait...

— C'est moi, ma toute belle. Nous voilà seuls, à présent...

Il avait relevé le bâillon de sa prisonnière qui éclata aussitôt, d'une voix pleine de violence :

— Monstre ! Qu'avez-vous fait de mes enfants ?
— Quelque part par là, dans la nature...

Elle ne put en dire davantage, car craignant, dans cet abri sous roche, l'écho de la fureur de la Hollandaise, Edmond Favart la bâillonna à nouveau.

— J'aurais voulu que nous passions du temps ensemble, tu aurais appris à me connaître, mais les choses ont mal tourné et je sens que la fin est proche. C'est donc notre dernière fois, mais je veux que ce soit un feu d'artifice.

Edmond Favart déploya sur le sol la couverture mitée qu'il avait lancée à sa prisonnière lors de son arrivée et la glissa sous elle, puis il la déchaussa et ôta short et culotte à la jeune femme, malgré les coups de pied qu'elle tentait de lui porter.

— Tiens-toi tranquille ! Tu sais bien que ça ne sert à rien. Allez, ça va être ta fête... Je suis sûr que tu vas aimer ça...

À présent, il desserrait sa ceinture et se débraguettait avec précipitation.Il venait de se jeter sur elle, quand une voix tonna dans son dos.

— Debout, Favart !

Il se redressa lentement, avant de se retourner, sexe à demi bandé, bras ballants, regard hébété. Trois gendarmes pointaient leur arme dans sa direction, pendant qu'un quatrième courait délivrer Annelore de ses entraves et la dérobait à la vue de tous avec une couverture de survie.

— C'est fini, Favart. Reculottez-vous, Bon Dieu !

Il s'exécuta avec lenteur, le regard provocant.

— Je venais à peine de commencer ! Vous êtes arrivé un quart d'heure trop tôt, Capitaine. Dommage ! Mais c'est mieux ainsi, ça aurait sûrement mal fini, autrement.

Il tendait ses poignets aux bracelets nickelés, soulagé, d'une certaine manière, d'être délivré de la tentation. Ce voisinage de tous les jours avec Wanda, c'était devenu invivable !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, juillet 2017.

lundi 24 octobre 2016

Bétalecture : La Prisonnière de Rikers Island - 3


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III

Ça y est. Temps libre. La promenade est finie. Deux heures à tuer avant la douche et le repas du soir. Je peux ressortir mon cahier et mon stylo. Et si je reprenais tout depuis le début ? Enfin, pas exactement, non, je veux dire depuis le commencement des ennuis.

C’est un peu par Lia que c’est arrivé. Un jour, John et moi avons fini par rencontrer le père de Bagus avec sa compagne d’alors. Cela semblait juste et équilibré : deux couples recomposés qui se voient pour faire connaissance afin d’envisager l’avenir de leurs enfants.

Ulla était une mannequin suédoise, grande liane blonde, que Garin, le père de Bagus, veuf depuis quatre années, avait rencontrée sur un tournage, deux ans plus tôt. Ils ne s’étaient plus quittés.

À nous voir tous les quatre, rétrospectivement, on aurait pu croire qu’il y avait eu maldonne : physiquement Garin et moi aurions été mieux assortis et c’était la même chose pour John et Ulla. Mais je m’égare, le cœur a ses raisons… etc., c’est bien connu.

Cette première rencontre, en terrain neutre, dans un autre restaurant que le nôtre et avec les enfants, s’était très bien passée. La soirée était gaie et chaque famille avait pu juger de l’attachement réciproque des jeunes gens : leurs regards et leurs mains parlaient pour eux. Cela me mettait mal à l’aise, moi qui suis si pudique que je n’ai jamais osé un geste en public à l’adresse de John.

Comme le veut la politesse, il n’était pas question que nous abordions le fond du problème qui nous importait, à savoir la relation de nos deux enfants, avant d’avoir exploré tout un tas d’autres sujets. C’est ainsi que j’ai été amenée, à la fois par Garin et John, à raconter mon expérience singapourienne, relativement en détail, sans toutefois mentionner ceux qui auraient pu me faire rougir.

J’ai aussitôt perçu un grand intérêt de sa part. Il n’arrêtait pas de poser des questions.

Et, à un moment donné, il a dit, je me souviens de tous ses mots :
— Cette histoire, il faut la tourner ! Ce néo-esclavagisme est révoltant.

Puis, un ton plus bas :

— Ratih, est-ce que vous accepteriez que j’en fasse un film ? Moyennant finances, bien entendu, avec un contrat de cession de droits en bonne et due forme.

J’ai ouvert la bouche comme un poisson qui tente de gober un moucheron, ou plutôt comme une fille qui se noie et cherche de l’air !

John m’a regardée et a surenchéri, avec son esprit aventureux d’Australien :

— Il a raison, chérie, et avec les droits, on pourra agrandir le restaurant.

Ce futur ne m’a plu qu’à moitié ; un gros conditionnel trottait dans ma tête. Au bout d’un temps qui m’a paru très long, mais qui, d’après les assistants, n’a pas dépassé les limites du raisonnable, je me suis entendue dire :

— Je ne sais pas, j’ai besoin de réfléchir. C’est si… étrange pour moi, tout ça !

Garin a aussitôt saisi la perche que je lui tendais :

— Mais bien sûr, réfléchissez-y avec John et Lia, Ratih. De mon côté, je vais demander à une scénariste de recueillir votre histoire et à mon assistante de préparer un projet de contrat, pour que vous voyiez à quoi ça ressemble et ce que ça implique.

Tout cela a été trop rapide.

Deux semaines plus tard, Garin est revenu accompagné d’une jeune femme à peu près de mon âge et nous nous sommes mis tous les trois autour d’une table. J’ai servi le thé. La scénariste a sorti un petit magnétophone de son sac. John aurait voulu assister à l’entretien, mais cela me gênait davantage de raconter mon histoire devant lui que devant ces deux quasi inconnus. Je lui ai fait signe que non. Il n’a pas insisté. Lia, pour sa part était à la madrasah(1).

Garin a dit : Ratih, il s’agit d’enregistrements préparatoires. Nous souhaiterions que vous repreniez votre parcours de l’an dernier depuis le début, tel que vous vous en souvenez. Nous vous interromprons le moins possible et nous nous arrêterons quand vous le voudrez. Ne vous pressez pas, nous ferons autant de séances que nécessaire.

J’ai acquiescé sans rien dire. J’étais tendue. J’ai avalé une gorgée de thé. La jeune femme a appuyé sur le bouton « enregistrement » du magnétophone. On m’a fait un signe comme à la radio et je crois que j’ai commencé ainsi :

« Je m’appelle Ratih Suharto. Je suis née dans la ville de Temanggung dans la province de Central Java. J’ai trente-quatre ans, je suis divorcée avec une fille de seize ans. Mes parents étaient de petits planteurs de tabac. J’adore cuisiner, j’ai appris sur le tas et je travaillais dans un “food court” de Bandung Pinang depuis près de deux ans, loin de ma famille déjà, quand, pour subvenir aux frais de scolarité de ma fille – son père ne paie que rarement sa pension alimentaire –, je me suis décidée à solliciter un permis de travail comme “maid” pour Singapour.

Mon âge, ma nationalité et mon niveau d’éducation remplissaient les critères requis. Je l’ai donc assez rapidement obtenu. J’ai même été dispensée du programme de formation pour les primoarrivants en raison de mon expérience.

L’avion, c’était trop cher pour moi, vu mon salaire au food court, alors c’est en ferry que j’ai fait la traversée, fin décembre, il y a un an et demi. Mon contrat prenait effet le premier janvier suivant… » J’ai parlé longtemps ce premier soir. De mon arrivée. De ma découverte de la ville. De la rencontre avec mes patrons chinois. De leur énorme maison. De mes conditions de travail. Je me suis arrêtée, je crois, à l’arrivée de Li Tsou, le nouveau chauffeur. Là, j’ai eu comme un petit blocage.

Garin l’a senti. Il a fait signe à la scénariste, qui a coupé le magnétophone, et a dit :

— Bon, je pense que ça suffit comme ça pour aujourd’hui. Karin va transcrire le tout et préparer ses questions pour ébaucher le décor. Elle vous les posera en début de séance prochaine avant que vous ne poursuiviez votre récit. D’accord, Ratih ?

J’ai dit oui.

Je vais arrêter là. Tout cela fait si mal encore. Comme si je cautérisais une blessure au fer rouge !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2016.

dimanche 10 mars 2013

Soliloques - Galerie marchande - exégèse


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"Galerie marchande" a été écrite en février-mars 2005, à la suite d'un article de Jean-Yves Manach dans Ouest-France. Le journaliste y relatait sa rencontre avec Joël, un naufragé de la vie, échoué à Quimper. Il y décrivait comment un enchaînement de circonstances adverses avait mis à la rue et désocialisé cet ancien directeur commercial. Qui passait ses journées dans une galerie marchande, avant d'aller dormir dehors dans des cartons.

L'article allait déclencher une chaîne de solidarité et permettre à Joël de rebondir, de prendre un nouveau départ.

C'est cette histoire que j'ai voulu raconter à mon tour, mais de l'intérieur, du point de vue du protagoniste.

Il fallait trouver une voix, un ton.

J'ai choisi la révolte et un langage au plus près de celui de la rue pour la première partie, qui relate la descente aux enfers du héros. Et termine sur une note très pessimiste.

Mais j'ai voulu respecter la réalité et délivrer à mon tour un message d'espoir. C'est pourquoi deux autres courtes parties prolongent ce début.

La seconde relate les circonstances de la première main tendue.

La dernière met en scène l'accueil du héros dans son nouveau travail.

J'ai essayé d'y montrer la générosité de certains, mais aussi les arrières-pensées de beaucoup et la lucidité du héros.

Dans la présentation de la nouvelle sur internet, j'ai sans doute eu tort de faire de ces deux dernières parties des lectures facultatives, laissées à l'appréciation du lecteur, qui doit cliquer sur un lien pour faire apparaître la suite.

En effet, si j'en crois les statistiques séparées mises en place pour la version espagnole, alors que la première partie totalise à ce jour 1609 lectures, la seconde n'en recueille que 239 et la dernière seulement 86 !

Les bons sentiments ne font pas recette, c'est connu. Et dans un ou deux concours, on m'a reproché cette fin optimiste, comme on l'avait déjà fait pour "Luka".

Mais je persiste et signe. Je crois donner assez souvent dans le noir pur et dur pour me permettre ces "écarts de conduite".

Qui m'aime me suive !

©Pierre-Alain GASSE, 10 mars 2013.

mardi 15 janvier 2013

Soliloques - Tu feras gaffe où ton cœur se pose ! - Exégèse


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Cette nouvelle a été écrite en 2002 dans le cadre du concours, cuvée 2003, de La Noiraude (le fonds de nouvelles noires de la Médiathèque de Pordic) et de La Fureur du Noir, l'association à l'origine du festival du polar de Lamballe.

Cette année-là, le thème était : "Le onzième commandement". Je ne me rappelais déjà pas les dix premiers, alors en inventer un onzième... L'inspiration a tardé à venir.

Je me souviens que les organisateurs ont tout d'abord refusé la nouvelle pour non conformité du titre. J'ai oublié ce titre impropre, mais celui que j'ai proposé en hâte avant la forclusion ne me satisfaisait pas vraiment. Sa première partie argotique était au diapason du langage utilisé par le narrateur dans le récit mais s'opposait à la seconde, métaphorique et poétique. Le choc me semblait violent. Un peu trop.

Pourtant, à regarder de près le récit de Nico, on s'aperçoit bien vite du changement de registre qui s'opère chez lui, dès qu'il parle de Maria : de cynique, il devient lyrique et en cela, ce titre, adopté en désespoir de cause, reflète bien le texte qu'il annonce.

Les vainqueurs, cette année-là, furent :

Céline FAIVRE (36) pour « Tu ne liras pas d’histoire aux vieilles personnes qui ont envie de dormir ». Perrine LE QUERREC (75) pour « Tu ne liras point par dessus l’épaule de ton voisin ». Gaëlle PINGAULT (22) pour « Tu ne te fieras pas aux apparences ». Sylvain ROSSIGNOL (53) pour « Tu ne dépasseras pas ta fréquence cardiaque maximale ». Jo-Hanna WITEK (92) pour « Tu aimeras la vie ».

On est rarement prophète en son pays.

Par contre, "Tu feras gaffe où ton cœur se pose !" a été publié en juillet 2003 sur le site "Écrits-Vains" avec de sympathiques critiques de Richard Mainville, Michelle Martinelli et Catherine Raucy. Merci encore à eux de m'avoir encouragé à poursuivre.

Je revenais d'un voyage aux Antilles et c'est ainsi que la Guadeloupe et plus précisément Grande-Terre fut choisie comme cadre de cette histoire tragique d'amour et d'amitié. Sans doute le final m'a-t-il été inspiré par une visite aux Saintes du Fort Napoléon.