Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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samedi 27 décembre 2014

Quand le vin est tiré - Nouvelle policière - Chapitre 7


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VII

Chine, nous voilà !

Le patron vient de m’annoncer la mauvaise nouvelle.

Officiellement, je suis toujours en congés et absolument pas chargée de suivre Saintilan. Mais ni moi ni lui n’aimons qu’on fasse notre boulot à notre place. Personnellement, je garde un mauvais souvenir d’une enquête où j’ai été doublée par une mamie pas ordinaire, du temps où j’étais affectée au Commissariat de Lannion (cf. Quand Mam Goz s’en mêle). Enfin, là, c’est un peu différent puisque la pièce rapportée, je la connais, très bien même. N’empêche, maintenant que notre client est en passe de s’envoler pour la Chine, on fait quoi, Julien et moi ? Est-ce que son budget pour ce boulot lui permet d’aller enquêter à l’étranger ? Je lui pose la question :

— T’as de quoi suivre Saintilan jusque là-bas ?

Il sourit jaune.

— C’était pas vraiment prévu dans le devis, mais, bon, si tu m’accompagnais… ça nous ferait des vacances pendant lesquelles nous pourrions joindre l’utile à l’agréable, dit-il avec un petit clin d’œil en coin.

Julien vient de se souvenir qu’au Lycée Louis Guilloux, à Saint-Brieuc, j’ai fait partie des pionniers qui, dans les années 90, ont étudié le chinois 3e langue. J’ai même réalisé un voyage de quinze jours là-bas, en Terminale. C’est loin, mais je devrais pouvoir me débrouiller sur place. Je cherchais une destination de villégiature : en voilà une, toute trouvée ! Oui, mais c’est grand, la Chine. Ils venaient d’où, les Chinois arrêtés à Roissy ? La province de Shandong. C’est quoi, la capitale, là-bas ?

— Jinan, je crois.
— Première nouvelle. Il faut combien de temps pour obtenir un visa ?
— Un à deux jours, en urgence, si le dossier est complet, au lieu de cinq normalement.
— Quand ils vont voir nos professions, journaliste et flic, ça va pas être simple d’obtenir un visa de tourisme.
— T’es en vacances, non ? Et je peux être ton… fiancé, par exemple.
— Mais bien sûr. On peut aussi prendre deux vols différents, tu sais. Voyons d’abord ce que ça coûte.

Je pianote comme une malade sur mon smartphone. Paris-Jinan : 15 heures de vol, au minimum avec une ou deux escales. Meilleur prix autour de 800 €, moyenne autour de 1000 €. C’est pas donné quand même !

— Qu’est-ce qu’on fait ?, je demande à Julien.

Il me regarde et sourit :

— On lance les demandes de visa en express et on réserve deux places sur un vol en partance dans trois jours. On essaiera de changer si ça va plus vite.

Je réfléchis un instant. Toutes mes économies vont y passer. Bah, tant pis :

— OK, c’est parti.

Nous remplissons les demandes de visa en ligne. Quatre pages assez détaillées. Prudemment, j’indique comme profession : fonctionnaire. Eh oui, mais ils demandent la fonction : agent spécialisé ? Résidence en Chine : je mentionne le nom d’un hôtel de moyenne gamme trouvé sur la Toile. Motif du déplacement : voyage de fiançailles ? Traitement express de la demande. C’est vingt euros de plus. Julien demande un visa de tourisme également, mais sans cacher son activité. Ah ! J’ai failli oublier le formulaire médical. Deux pleines pages à faire remplir et signer par un médecin. Pourvu qu’on puisse transmettre le tout par e-mail ! Va falloir faire vite.

Ensuite, après exploration des comparateurs de prix sur le web, nous jetons notre dévolu sur un vol aller assez rapide (17h 55), malgré deux escales à Istanbul et Urumqi, assuré conjointement par Air France et China Southern. Seconde escale à Urumqi, c’est où ça ? Ah ! En Chine aussi ? Capitale du Xinjiang ? Première nouvelle !

Par contre, le vol retour, une semaine plus tard, bonjour ! Il passe par la Russie avec dix heures d’escale. Autrement dit, une nuit à Moscou, quoi !

Départ dans trois jours, Roissy, 18 h 55. Cool ! De Rennes, il y a un TGV direct qui arrive à 17 h 11. Il ne reste plus qu’à attendre nos visas électroniques. Je croise les doigts.

Nous rentrons aux “Mouettes” prendre congé de Dame Jeannine avant de regagner nos domiciles respectifs. Ou pas ? Je n’ai pas encore tranché. J’ai tout le trajet pour y réfléchir.

… Finalement, ce soir-là, je suis revenue seule chez moi, pour achever les préparatifs de ce voyage imprévu. Trop de trucs dans la tête.

Hier lundi, en me renseignant sur le climat à Jinan, j’ai découvert que la ville est jumelée avec Rennes depuis 2002 ! Un contact téléphonique avec le Comité de Jumelage m’a renvoyé vers le Président de l’Association, qui m’a accueillie à bras ouverts en tant que sinisante. Quelques échanges de mails plus tard, je me retrouve pourvue d’adresses de divers points de chute dans la capitale du Shandong.

Mon choix se porte sur une famille sino-française dont le mari a fait ses études à l’Université de Rennes, dans les mêmes années que moi. Son épouse est une Bretonne de Quimperlé. Ils ont deux petites filles. Elle, enseigne le français au Lycée des langues étrangères de Jinan et lui est ingénieur en informatique. Je raconte une salade pour justifier ce voyage improvisé. Cela semble passer. Ils ont une chambre double à mettre à notre disposition pour l’équivalent de 25 € la nuit. Payable en dollars américains. C’est inespéré. Ce doit être le signe que j’attendais. J’ai quitté Julien il y a quarante-huit heures maintenant et il me manque terriblement.

Nos deux premières étapes dans les zones viticoles du Shandong seront pour Yantai et Quingdao, respectivement à 445 et 350 kilomètres de notre point d’arrivée. C’est un peu loin, à notre échelle française et tout proche à l’aune chinoise. L’échelle des valeurs n’est pas la même dans ce pays grand comme dix-huit fois la France. Notre logeuse mettra son véhicule à notre disposition. En bons fiancés français gastronomes, n’est-il pas logique que nous fassions du tourisme et visitions les plus grandes caves de la région ? Il y a quelques années encore, seuls les groupes dûment encadrés pouvaient pratiquer ce type de tourisme, mais l’émergence d’une « middle class » chinoise a créé un immense marché que le régime s’est donc résolu à ouvrir aux particuliers.

Julien m’a appris que les deux principaux domaines vinicoles de la province, Chang Yu Winery et Hua Dong Winery, en dépit de leur importance, ou justement à cause de leur croissance à deux chiffres, ne produisent pas eux-mêmes tous les raisins qu’ils vinifient et ont recours à des achats de moûts de producteurs indépendants, chinois et étrangers. C’est dans ces filières qu’une partie de la contrefaçon se cacherait aisément. En parcourant les sites internet de ces deux maisons de négoce, il a également eu la surprise de retrouver sur des clichés d'invités de marque... Jacques Saintilan ! D'où notre décision d'aller faire nos curieux de ce côté-là.

Hourra, mon visa électronique vient de tomber dans ma boîte mail ! Je n’ai plus qu’à l’imprimer et l’insérer dans mon passeport.

Il faut que j’appelle Julien pour savoir s’il a reçu le sien aussi. C’est moins sûr. En dépit de sa spectaculaire ouverture commerciale, la Chine est encore politiquement verrouillée et se méfie toujours un peu des journalistes, freelance ou pas. Qu’est-ce que je fais, s’il ne l’a pas ? Je pars seule ? Ce serait la tuile ! C’est tout moi, ça, envisager le pire avant l’heure. Appelle donc, idiote !

… Pas eu le temps. La réponse est tombée dans ma boîte mail. Positive. Mais je suis déçue. Je voulais entendre sa voix. J’envoie un texto. Professionnel : « Super ! J’ai le mien aussi. On se retrouve à l’aéroport demain 16 h ? ». J’aimerais qu’il me dise : « Non. Viens maintenant, 35 rue Vasselot, 2e gauche. Le code c’est… ». J’ai fait ma curieuse pour trouver son adresse. Mais moi non plus je ne me décide pas à faire le premier pas. J’ai peur. Sa réponse ne tarde pas : « Ça marche ! A demain. Je t’embrasse xxx. Julien ». Une bouffée d’espoir me remonte le moral. Allez, un petit bourbon et au lit. Ma valise est quasiment prête.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2014.

jeudi 16 octobre 2014

Quand le vin est tiré... Nouvelle policière - Chapitre 6



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VI

Filatures

La berline noire file sur la départementale en direction de Pleurtuit. À l'approche de l'aérodrome de Dinard, elle oblique vers la zone où sont implantées les entreprises de maintenance aéronautique, puis repique vers les pistes. Simon, toujours à distance, s'arrête et sort son appareil photo et un téléobjectif d'une des sacoches arrière de sa moto. Il comprend lorsqu'il repère sur le tarmac un grand H blanc : l'héliport ! Bientôt, Saintilan ressort des bâtiments en compagnie d'un pilote. Tous deux se dirigent vers un Eurocopter EC 145, garé à proximité. Le dernier né de la coopération franco-allemande, habillé par Mercedes-Benz, à ce qu'on dit. Du haut de gamme. Ce client, ou son commanditaire, ont les moyens ! Pas de doute : un départ s'annonce. Sans commission rogatoire, impossible d'obtenir le plan de vol ! Il mitraille l'appareil et tout le personnel au sol.

Un quart d'heure plus tard, l'appareil décolle et met le cap à l'Est. Simon parierait qu'il va prendre la direction de la capitale. À destination d'un aéroport parisien ? Il fait son rapport à Bénédicte, laquelle, après avoir tergiversé un peu, se décide à appeler le Commissaire Dutertre, son supérieur.

Celui-ci contemple les plantes verres de son bureau qu'il vient d'arroser comme chaque lundi matin, à son arrivée. C'est un rituel, avant son second café de la journée. Ensuite seulement, l'expédition des affaires courantes peut commencer. C'est alors précisément que le téléphone sonne :

— Commissaire ?
— Plassard ? Qu'est-ce qui vous arrive encore ? Cela fait à peine trois jours que vous êtes partie en congés...
— Désolée, patron, je donne un coup de main à un ami journaliste d'investigation et on est tombés sur un type bizarre.
— Et...
— Si on pouvait vérifier ce qu'on a sur lui au sommier, ça nous aiderait beaucoup.
— Et pourquoi, je ferais ça, Plassard ?
— Parce qu'il semble que les Douanes soient déjà sur le coup.

Bénédicte n'oublie pas la vieille rivalité qui oppose son commissaire divisionnaire au service des Douanes, qui lui a plusieurs fois mis des bâtons dans les roues lors d'enquêtes sur du trafic de drogue.

L'argument semble peser son poids.

— Bon, expliquez-moi tout ça, Plassard, que j'y voie plus clair.

Bénédicte relate succinctement les informations en sa possession. Le commissaire est d'accord pour demander l'ouverture d'une information judiciaire au procureur si un lien s'avère entre les deux chinois retenus à Roissy et Saintilan. Il convient donc de filer ce dernier et pour cela d'avoir connaissance de la destination de son hélicoptère, s'il en est encore temps.

Bénédicte se prend à regretter d'avoir hésité avant d'appeler.

L'engin a une vitesse de croisière de 250 km/h environ. Dans une heure, il sera en région parisienne. Il convient de faire vite.

La machinerie judiciaire se met en branle. Une fois reçu le fax du procureur qu'il transmet aussitôt à la tour de contrôle de Pleurtuit, le Commissaire Dutertre se fait remettre le plan de vol de l'hélicoptère qui venait de décoller une demie-heure plus tôt.

Surprise : sa destination est un petit aérodrome de l'est parisien : Meaux Esbly. En matière d'aviation d'affaires, cela n'a rien d'exceptionnel, mais en l'occurrence, demeure intrigant.
  Un coup de téléphone au Commissariat local permet, en un quart d'heure, de positionner deux inspecteurs à la sortie passagers de l'aéroport, munis de la photocopie du passeport de Saintilan que Dinard a également transmise.

Mais l'homme est sur ses gardes. À peine a-t-il repéré derrière les vitres deux silhouettes scrutant alternativement les visages et une feuille de papier, qu'il rebrousse chemin au pas de course pour emprunter la sortie réservée au personnel navigant, au milieu d'un petit groupe de pilotes et hôtesses.Le temps que les deux fonctionnaires de police réagissent, l'oiseau s'est envolé. Tout juste les deux policiers peuvent-ils relever la plaque d'immatriculation du véhicule qui l'emporte. Pas de chance, un appel au service des cartes grises révèle qu'il doit s'agir d'un VTC clandestin. Impossible d'obtenir la destination de la course auprès de la centrale de réservation.

Par chance, l'informatique aidant, trente minutes plus tard, le propriétaire est identifié. Arrêté en douceur par deux policiers déguisés en clients, il ne tarde pas à révéler la destination de sa course récente : un commerce dans une rue du triangle de Choisy. Le commissaire Dutertre, bientôt informé, demande la collaboration de la BRI parisienne.

Une équipe met aussitôt la rue sous surveillance. Hélas, le milieu asiatique parisien est très bien structuré, les multiples commerçants ayant pignon sur rue font office d'informateurs et toutes les allées et venues inhabituelles sont rapportées à qui de droit.

C'est ainsi que dans l'arrière-salle d'un restaurant chinois de la rue Baudricourt, alors que Saintilan est en pleine conversation avec deux plénipotentiaires des Triades, un guetteur vient prévenir que deux véhicules suspects sont stationnés depuis plus d'une heure aux entrée et sortie de la rue. Aussitôt, des gardes du corps évacuent les trois hommes par les arrières-cours. Une grosse Mercedes les prend en charge rue de Tolbiac.

Miracle, la voiture de police banalisée stationnée à l'entrée de la rue Baudricourt repère ce véhicule dans lequel on tente de faire baisser la tête à un passager arrière. Avec deux feux de retard, une filature s'engage alors. La consultation, par les policiers, du système de contrôle automatisé, couplé avec le fichier des plaques d'immatriculation révèle bientôt qu'il s'agit de l'automobile d'un restaurateur de la rue. Bingo !

Le capitaine de police Martin et sa collègue hésitent : mettre le gyrophare, s'affranchir des règles de circulation et tenter une interpellation manu militari à deux contre trois ou se fondre dans le trafic et laisser leur proie les guider vers sa destination ? La réponse de leur hiérarchie crépite dans l'habitacle :

— Autorité à Delta One. N'intervenez pas. On met en place des véhicules de relève. Suivez vos clients sans vous faire remarquer. Code opération : POISSON PILOTE.
— Delta One à Autorité. Bien reçu.

La Mégane des deux policiers, insérée dans le trafic, progresse sans encombre derrière la Mercedes poursuivie jusqu'à la porte de Choisy. Là, un second véhicule la prend en chasse sur le périphérique. Elle se dirige vers le Nord.

Porte de la Chapelle. Une troisième voiture intervient. Autoroute A1. Plus de doute. La Mercedes se dirige vers Roissy. Saintilan a décidé de filer. Qu'a-t-il donc de si grave à se reprocher ?

Le Commissaire Dutertre n'a pas assez d'éléments pour lancer un mandat d'arrêt contre lui. Pas d'autre solution que de le laisser partir.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2014.

mardi 30 octobre 2012

Quand le vin est tiré... - Chapitre 2


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Chapitre II

Vingt-quatre heures plus tard, à Saint-Suliac (Ille-et-Vilaine)

Les chambres d'hôtes "Les Mouettes" se situent dans une pimpante bâtisse du bourg même de Saint-Suliac. L'une d'entre elles, au rez-de-chaussée, possède des lits jumeaux. Julien n'en a pas trouvé d'autre sur la commune et il préfère loger au cœur de son champ d'investigation.

Nos deux nouveaux équipiers, habitués l'un comme l'autre à un minimalisme d'inspiration nordique très en vogue chez les gens de leur génération, à leur arrivée dans les lieux, trouvent le décor un peu suranné. Polis, ils n'en disent cependant rien à leur hôtesse, une veuve de marin, dans la soixantaine, plus vraie que nature. Peut-être en rajoute-t-elle un peu pour les touristes (accent du terroir, tablier bleu). La couleur locale, ça plaît bien. La propreté est impeccable, la literie modernisée et de plus, le rez-de-jardin leur convient tout à fait : ils pourront ainsi aller et venir à leur aise en toute discrétion. L'affaire est donc conclue : 58 € la nuit, petit déjeuner compris, durée à leur convenance ; en ce début juin, Dame Jeannine n'a rien de réservé avant le 15 prochain.

Sur la table de bois peint de la chambre, Julien a posé son ordinateur et sorti d'une chemise cartonnée divers articles de presse. Il se tourne vers Bénédicte assise en tailleur sur son lit et plongée dans un examen attentif des fleurettes de la tapisserie.

— Bon, tu m'écoutes Béné ? Voilà. J'ai été mandaté par une grande revue viticole pour enquêter sur les agissements des Chinois. Ils tenteraient, entre autres, de cloner à leur profit des cépages français protégés, pour reproduire des grands crus bordelais sans payer les royalties prévues par les accords de l'OMC. Et la piste m'amène ici.
— À Saint-Suliac ? De la vigne ? Tu rigoles ou quoi ?
— Pas du tout, ma chère. Figure-toi que jusqu'au siècle dernier, on y produisait du vin, rouge et blanc, et ce, depuis l'Antiquité !
— Alors, là, tu m'en bouches un coin ! Ça devait être de la piquette, en tout cas.
— Même pas. Au début, du temps des Romains, oui, mais ensuite la culture de la vigne a fait de tels progrès qu'au XVIe, il paraît même qu'un marquis de Quintin venait s'approvisionner sur la quinzaine d'hectares de vignoble qu'il y avait alors.
— Bon, d'accord, mais aujourd'hui à part quelques treilles, et encore ! y'a pas plus de raisin par ici que de beurre en broche !
— Détrompe-toi ! Il y a même une association pour le renouveau du vin breton, et les bonnes années, les vignerons suliaçais produisent dans les quatre cents litres de vin. Qu'ils ont le droit de boire ou de donner, mais pas de vendre. C'est là le hic. Officiellement, les quatre départements bretons ne sont plus région viticole et l'Administration tolère, mais ne veut pas officialiser cette résurrection.
— Et pendant ce temps-là, les Chinois rachètent à tour de bras les domaines viticoles mis en vente ou dont les propriétaires ne peuvent résister à des offres de rachat mirobolantes. Ils ont commencé par des petits châteaux dans le Bordelais et l'Anjou, mais j'ai lu la semaine dernière que Gevrey-Chambertin venait de tomber dans leur escarcelle ! Mon bourgogne préféré ! Ça commence à bien faire !
— Madame donne dans le patriotisme à tout crin et boit du Gevrey-Chambertin ? Je ne savais pas que la Police payait aussi bien ! Rassure-toi. Nos exportations de vin représentent encore plus de la moitié du marché chinois, mais il est vrai que les choses bougent très vite. L'an dernier, la progression du secteur a dépassé les 2O % ! L'engouement pour le vin est devenu un phénomène de société. Les financiers se sont emparés du créneau et la Chine est en passe de devenir le 5e pays consommateur au monde, mais elle est déjà le sixième producteur !
— Tu me récites Wikipédia par cœur ou quoi ?
— J'ai fait mon boulot. Je me suis documenté. Mais, tu as raison, revenons à notre sujet. Je vais t'emmener voir les deux inventeurs de la vigne de Saint-Suliac. Nous avons rendez-vous demain matin à dix heures sur les pentes du Mont Garrot.
— Les inventeurs de la vigne ? Sur les pentes du Mont Garrot ? C'est quoi, ce délire ?
— En 1996 on a retrouvé un vieux cep de vigne dans un taillis inextricable sur les pentes sud du Mont Garrot, un escarpement qui culmine à 73 m au-dessus du niveau de la mer, tout près d'ici. Mais, on verra ça demain. Si on se faisait une crêperie en attendant ? Je commence à avoir la dalle, moi, pas toi ?
— En voilà une idée qu'elle est bonne, moi, je dis.
— Alors, vendu !

Ils se retrouvent bientôt, à deux pas de leur logis, sur la terrasse du Galichon, l'unique crêperie du bourg, installée dans une vieille maison décorée avec goût.

Deux galettes "complètes", deux "andouille de Guéméné", deux crêpes "caramel au beurre salé" et six bolées de cidre plus tard, nos protagonistes ont l'estomac calé et l'humeur gaie. Bras dessus, bras dessous, ils entreprennent alors une petite promenade digestive par les ruelles du village jusqu'au port. C'est une belle soirée de fin de printemps. Le fond de l'air est doux. Le ciel, légèrement ennuagé, laisse le soleil déployer ses ors sur les eaux de la ria. Au Nord-ouest, l'oratoire de Notre Dame de Grainfollet, se découpe en ombre chinoise sur un horizon enflammé. Romantique à souhait, n'est-il pas ?

Julien en profitera-t-il pour tenter de ranimer les cendres du passé ? Bénédicte enterrera-t-elle ce soir sa vie de célibataire à corps défendant ? Vous le saurez peut-être dans le chapitre qui vient.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2012.

samedi 27 octobre 2012

Quand le vin est tiré... - Prologue et chapitre 1

Voici en version probatoire le début de la nouvelle aventure de Bénédicte Plassard, héroïne récurrente de sept nouvelles policières déjà (les premières réunies dans "Passe de quatre", les dernières dans "Le Triangle de Mlle B.", deux recueils téléchargeables gratuitement sur le site d'Alexandrie Online.

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Prologue

Bénédicte Plassard, OPJ à la BRI de Rennes Centre, célibataire malgré elle depuis plusieurs mois, n'avait pas trouvé le moyen d'épuiser ses jours de récupération du premier semestre. Ainsi se retrouve-t-elle, un lundi matin de juin, convoquée par son commissaire qui lui signifie que les affaires étant un peu plus calmes, elle est en vacances à compter de cette minute.

— C'est un ordre, Plassard, il n'y a plus que vous qui n'avez pas pris toutes vos récup'. Ça fait désordre et ça complique la vie du service, alors, exécution !
— Bien, Commissaire. Et je reviens quand ?
— Commencez d'abord par partir, on vous rappellera si on a besoin de vous.

D'abord renfrogné, le joli minois de la policière tente de s'éclairer d'un sourire :

— Vous savez bien qu'au bout de deux jours de vacances, je m'em... quiquine, Commissaire.
— Peut-être, mais votre crédit RTT déborde et vos RPS aussi. Je n'ai plus de quoi vous les payer et on ne peut pas les verser sur votre compte épargne-temps. Alors, il faut m'utiliser tout ça avant vos congés annuels. Vous pouvez disposer, capitaine.

Bénédicte Plassard salue et sort du bureau.

Chapitre I

Retrouvailles

Selon un bref calcul de tête, cela l'oblige à deux semaines d'inactivité, au bas mot. Vacances ! Elle a le mot en horreur. Pas la chose, non ! Faut pas pousser. Mais décidément, en ce moment dans sa vie, tout est vacuité ! À commencer par son lit, vide de chez vide depuis... Elle renonce à compter. Trop longtemps, en tout cas ! Ensuite, son équipier Simon Le Lagadec dit Sim, qui a fait valoir ses droits à une retraite anticipée pour s'occuper de sa vieille mère ! À cinquante-deux ans ! Quelle misère ! Obligée de supporter des petits jeunes, nerveux comme des pur-sang, (dé)formés à la culture du résultat et à la déontologie trop souvent douteuse. Alors si maintenant, en plus, on la prive de boulot, c'est la totale ! Le vide sur toute la ligne.

Elle retourne mettre un semblant d'ordre sur son bureau, transmet à ses équipiers les instructions pour les affaires en cours et sort d'un pas désabusé sur le Boulevard de la Tour d'Auvergne. Qu'est-ce qu'elle va bien pouvoir faire de tout ce temps ?

Elle a donné son mobile-home de Pléneuf Val André en location jusque début juillet. Impossible d'aller se dorer la pilule là-bas. Et de toute façon, la météo annoncée n'est pas terrible ! Le soleil dans les îles, elle réserve cela pour cet été. Alors, quoi ? Une petite croisière en catamaran ? Elle consulte son compte en banque sur son smartphone. Il n'est pas dans le rouge, mais à marée basse quand même. Sa dernière virée au Casino lui a coûté cher. C'était pour le service, mais elle n'aurait pas dû jouer son propre fric, après avoir perdu les 200 € que lui avait octroyés le Commissaire ! Total : la cagnotte du service est à sec et elle sur le sable !

Elle s'attable à la première terrasse qui se présente sur le Boulevard et commande un un café-crème. Là, touillant distraitement un expresso bientôt froid, elle s'abîme dans des pensées aussi grises que le ciel plombé de cette matinée, lorsqu'une voix mâle la hèle depuis le trottoir opposé :

— Bénédicte ?

Un homme brun élancé agite le bras dans sa direction. Arquant les sourcils, elle tend les mains, paumes ouvertes, pour signifier son ignorance. Le quidam prend cela pour une invite et traverse aussitôt la chaussée. Pendant les quelques secondes que cela prend, sa procédure d'identification s'accélère dans l'esprit aiguisé de la policière et lorsque qu'il s'arrête devant elle, un prénom jaillit des lèvres de Bénédicte :

— Julien !

Gagné. Rennes. Licence en Droit. Cela remonte à dix ans maintenant. Elle avait passé le Concours d'Inspecteur de Police et l'avait obtenu. Leurs chemins s'étaient séparés. Il a pris dix ans. Elle moins, apparemment, puisqu'il l'a reconnue et elle pas. Ils s'embrassent comme de vieilles connaissances qu'ils sont.

— Alors, qu'est-ce que tu deviens ? Toujours dans la Police ? demande Julien en la détaillant du regard tandis que Bénédicte lui fait signe de s'asseoir à sa table.
— Oui, oui, capitaine à la BRI d'en face. Et toi, avocat ? Magistrat du siège ? Ou du parquet ?
— Non, non, journaliste d'investigation, free lance.
— Ah bon ? On fait presque le même métier, alors ?
— On dirait bien. Mais pas avec les mêmes outils. À toi le flingue, à moi le stylo, enfin, le clavier et la souris. Bénédicte voit là un raccourci journalistique aussi typique qu'erroné, mais s'abstient de le relever.
— Et tu travailles sur quoi en ce moment ?
— Je ne peux pas te donner les détails, tu t'en doutes, mais là, je pars sur une enquête très près d'ici, à Saint-Suliac. Tu connais ?
— Ouais, un peu, c'est sur les bords de Rance, non ?
— Exact. Et toi, t'es sur quoi ?
— Que dalle. Mon boss vient de me mettre en congé pour quinze jours. Chômage technique. Des jours à récupérer avant la date fatidique. Ça m'emmerde. J'ai rien de prévu. Je sais pas trop quoi faire.
— Ça te dirait de m'accompagner ? Tu me servirais de couverture. Un couple, vrai ou faux, ça attire moins l'attention qu'un solitaire.

Bénédicte regarde Julien. Julien regarde Bénédicte. Dans quoi va-t-elle se fourrer encore ? Les non-dits restent sous cape. Finalement, la paume de sa main droite va frapper celle de Julien :

— Tope-là, Juju !

Juju c'était le surnom de Julien, au temps de la Fac. Elle, c'était Béné.

— Mais on fait lit à part, OK ?

Julien écarte les mains, paumes ouvertes et levées, comme pour signifier : "Si tel est ton choix, d'accord".

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, octobre 2012.