Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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mardi 1 janvier 2013

Soliloques - Ad patres - Exégèse

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Ce texte, s'il est émouvant à tirer des larmes de certains de ses lecteurs, l'est davantage encore pour moi, car il n'est rien d'autre qu'une transposition des trois dernières semaines de vie de ma mère, décédée le 21 mai 2001. Il commence avec son arrivée aux urgences et finit avec son dernier soupir.

Sa construction alterne la linéarité de ses pensées sur ce présent douloureux, avec les retours sur ses souvenirs d'un passé qui balance entre bonheurs, drames et difficultés, dans un récit teinté d'humour et d'auto-dérision.

Si noms et prénoms ont été changés, tout ce qui est dit est vrai.

C'est le récit, sans pathos ni fioritures, d'une vie de labeur d'une paysanne normande à la santé fragile, élevée à la dure et malmenée par la vie.

Une femme, privée de ses espoirs d'études secondaires pour rester fille de ferme, qui s'échappera par le mariage du bocage du Pays d'Auge pour devenir épouse d'artisan, puis commerçante. Devenue veuve à quarante-deux ans avec quatre garçons à élever, elle terminera sa carrière comme gardienne d'enfants, comme on disait encore alors.

Écrit quasiment d'une traite, finalisé presque sans retouches quelques mois après son décès, et bien que ce soient pas mes émotions - ou si peu - qui y sont transcrites, ce texte a joué un rôle cathartique évident. Dire qu'en y mettant le point final, je tournais la page de ce deuil éprouvant, serait exagéré - la blessure restait ouverte - mais il m'a grandement aidé à le surmonter.

Le titre m'a été suggéré par cette expression populaire d'"envoyer ad patres", qui signifie que l'on s'en va rejoindre les mânes de ses ancêtres. Il prétendait annoncer à la fois la fin et le détachement de la protagoniste. C'est pourquoi, j'ai souhaité lui adjoindre un sous-titre d'un autre registre, tout en sentiments retenus, qui était l'essence même de ma mère et reste sans doute la mienne.

Plus de dix ans après, dans une récente lettre pleine d'émotion, une de ses petites filles, qu'elle a élevée et qui a vécu auprès d'elle ses dernières années, me fait savoir combien j'ai réussi selon elle à me glisser dans les pensées de sa grand-mère, au point qu'en me lisant, elle croyait l'entendre !

C'est bien immodeste de le dire ici, mais tel était le but recherché. Dans le mot d'introduction de "Nouvelles, nouvelles..." n'écrivais-je pas, en 1998 : "Vous aimez les raconteurs d'histoires qui savent planter un décor et camper des personnages, les univers différents qui vous transportent hors de votre quotidien, les tranches de vie qui ont le goût souvent amer du réel. Vous attendez que d'une lecture naisse une émotion, un dépaysement, ou un écho à votre vécu... alors peut-être aimerez-vous les nouvelles qui suivent..."

Telle reste ma ligne de conduite. Mais en l'espèce, je n'y ai pas eu grand mérite. Les mots me sont venus directement du cœur. Et j'ai la faiblesse de penser qu'à travers chacune des lectures dont ce textes est l'objet, c'est un peu de ma mère qui survit, ailleurs qu'en moi.

mercredi 20 juin 2012

Portrait de Bénédicte Plassard


marmolnegrofabianperez.jpg©Fabián Pérez 2008-2009

C'est en 1999 que j'ai créé le personnage de Bénédicte Plassard, jeune policière briochine, pin-up au caractère trempé et au langage libre, associée à Simon Le Lagadec. Sept enquêtes plus tard, et au moment d'attaquer la huitième, le temps est venu, me semble-t-il, de faire le point.

Que savons-nous de Bénédicte Plassard ?

Voici ce que j'écrivais dans la préface de "Passe de quatre", le volume qui regroupa en 2006 ses quatre premières enquêtes :

"Lorsqu’au seuil de l’an 2000, une femme officier de police est apparue dans un de mes textes intitulé « Le Monte-en-l’air d’Hypokhâgne », j’aurais été bien en peine de prédire qu’avec son physique avantageux, mais son nom improbable, elle allait faire carrière !

Cette nouvelle, en effet, était bien plus prétexte à explorer un milieu et un lieu particuliers qu’à asseoir un personnage, rapidement ébauché. C’était oublier que, si les lieux d’intrigue sont à usage unique, leurs protagonistes, une fois sortis de la gangue de notre imaginaire, ne nous quittent pas aussi facilement !

Dans cette première enquête, je la présentais ainsi :

"La rentrée 1985 avait également vu l'arrivée, au Commissariat de la ville, à l'étroit dans un hôtel particulier vieillot de la Place de la Poste, de l'inspecteur Bénédicte Plassard, toute fraîche émoulue de l'École de police de L'Hay-les-Roses.

Les femmes étaient encore rares dans la police et le commissaire Le Puil avait assigné comme coéquipier à cette première et unique femme-inspecteur de son commissariat, Simon Le Lagadec, un petit chauve débonnaire, mais efficace. Surnommé Sim, plus par commodité que pour sa ressemblance avec l'inénarrable interprète de la Comtesse de la Tronche-en-Biais, ce vieux garçon à lunettes de myope mâchouillait à longueur de journée du bois de réglisse, pour ne pas se remettre à fumer ses deux paquets quotidiens de Gitanes maïs.

Son nouveau sort fit aussitôt des envieux. Car, avec son physique de mannequin et en dépit de ses tenues volontairement masculines, l'inspecteur Plassard ne passait pas inaperçue : grande, brune, cheveux courts, courbes flatteuses, minois charmant et yeux clairs, tout ce qu'on aimerait voir plus souvent dans la police à la place des ours mal léchés qu'on y trouve encore.

Aussi son arrivée au Commissariat mit-elle ce microcosme en révolution. Sim et Béné - car le surnom de l'un suggéra à tous celui de l'autre - furent bientôt l'objet de gorges chaudes, de sous-entendus, de lazzi qui, très vite, lassèrent la principale intéressée."

Dans sa seconde enquête, "Les Cavaliers de la Pleine Lune", nous en apprenions un peu plus sur notre héroïne :

"Bénédicte Plassard, fille d'un avocat réputé de la ville, avait fait ses humanités dans le lycée bon chic bon genre du lieu(1), avant de rejoindre la Faculté de droit, pour des études supérieures un peu décousues qui l'avaient menée en cinq ans au concours d'inspecteur de police au lieu du barreau que son père ambitionnait pour elle."

Sexuellement libérée, ainsi qu'en témoigne le passage ci-dessous :

... "C'était son rugbyman. Elle lui sauta au cou, nouant ses jambes autour de sa taille, tandis qu'elle l'embrassait à pleine bouche avant qu'il ait eu le temps de dire ouf ! Mais le gaillard avait de la ressource et dix minutes plus tard, l'œil curieux qui se serait collé à l'œilleton resté ouvert de la porte aurait découvert sur la moquette de l'entrée une bête à deux dos et Bénédicte, nue comme un ver, ...

ses amours sont contingentes, éparses et parfois malheureuses comme celles de cette enquête pour un rugbyman, escroc au mariage, doublé d'un dealer, qu'elle concourra à accuser pour ne pas compromettre sa carrière.

Cette vie décousue explique sans doute ses doutes récurrents, comme à la fin de sa troisième enquête, "Comme du sable entre les doigts" :

"...Ce soir-là, Bénédicte Plassard se coucha tôt parce qu'elle était solitaire, triste et lasse. Cette enquête lui avait coulé comme du sable entre les doigts depuis le début. Et elle était sans mec depuis un mois. Parfois, elle se demandait si elle avait fait le bon choix, en passant le Concours d'Inspecteur de Police plutôt que celui de Professeur des Écoles ou de Contrôleur des Impôts ! Avec la vie qu'elle menait, toutes ses amours étaient transitoires. Puis, le bourbon bien tassé qu'elle s'était servie fit son office et elle sombra dans un sommeil agité, visité par un homme blond avec un diamant dans l'oreille gauche."

Dans l'exercice de sa profession, Bénédicte est capable de prendre pour elle-même toutes sortes de risques, irréfléchis ou prémédités, souvent au mépris des instructions de sa hiérarchie avec laquelle elle entretient des relations difficiles. En effet, c'est une forte tête, plutôt indisciplinée, dont on tolère les foucades en raison de ses résultats.

C'est ainsi que nous la voyons sauter d'une voiture en marche à la poursuite d'un malfaiteur en cavale, dans ce passage de "Comme du sable entre les doigts" :

"Le véhicule ralentit dans la courbe serrée qui précédait le stop. Bénédicte venait de détacher sa paire de menottes de sa ceinture pour s'enchaîner à Martin. Simon donna un coup de frein pour marquer le stop. C'était le moment. Dans le mouvement naturel vers l'avant qu'il fit, comme Bénédicte, Martin ouvrit la portière de ses mains entravées, fit un roulé-boulé de parachutiste sur la piste de sable, puis se raidissant de son mieux, se laissa dévaler la pente abrupte, comme un tronc que l'on débarde."

La soudaineté de l'action n'eut d'égale que la rapidité de réaction de Bénédicte. Avant même que Simon, qui se préparait à prendre la direction du centre ville, n’ait réalisé ce qui venait de se passer, elle aussi avait roulé par la portière ouverte sur la piste de jogging. Mais lorsqu'elle put se relever, sortir son arme et mettre en joue le fuyard, elle se rendit compte qu'il faisait trop sombre à présent, que celui-ci était hors de portée de voix, les sommations impossibles et l'affaire entendue.

Mais nous la verrons aussi servir d'appât à un "serial killer", dans une scène dramatique de "En attendant l'orage", selon les mots mêmes du criminel :

... "Nous sommes assis côte à côte sur le lit, parce qu'il n'y a que la chaise du bureau et deux ou trois poufs. Nous trinquons. Je la regarde. En moi, le mélange de désir et de répulsion est à son climax, je vais exploser. 

D'une main, je l'allonge brusquement sur le lit, pendant que de l'autre, j'arrache sa culotte, sous sa jupe. Je suis sur elle, je m'étais débraguetté depuis longtemps, j'ai bandé instantanément. Sa bière roule sur le tapis. Mais c'est qu'elle résiste, voyez-vous ça. Mademoiselle voudrait plus de douceur, sans doute. On vous aguiche, on vous électrise, et après on s'étonne du cataclysme que l'on déclenche. C'est trop tard !

Aïe ! Elle vient de me donner un coup de genou dans les joyeuses, tout en me faisant basculer d'un mouvement de judoka. Nous voilà par terre, moi-dessous, elle dessus. Non mais, qu'est-ce qu'elle croit, moi aussi, j'ai fait des arts martiaux ! Qu'est-ce que je fais ? Je l'étrangle tout de suite et je la baise après, ou on fait mumuse encore un peu ? Elle me porte une attaque au yeux, qui m'oblige à lâcher prise. Une de mes mains accroche l'échancrure de son corsage. Putain, qu'est-ce que je vois ? Un micro émetteur miniature scotché sur la peau. Je me suis fait avoir depuis le début. Cette fille est une keuf ou elle marche avec eux. Elle va le regretter. J'arrache l'engin. Je lui gueule des insanités. Ah ! Tu crois que je vais bander mou pour si peu ? Tu te trompes, ma vieille, moi, c'est tout le contraire. Plus on me résiste, plus j'ai la trique. Attends un peu ! Je lui porte un violent coup à la tempe au moment où elle tente de m'expédier dans le décor de ses deux jambes repliées sous son menton. La voilà groggy. Et en position. Je vais te la ramoner vite fait et après, adieu Berthe ! J'ai pas intérêt à moisir ici. " ... 

Ses rapports à l'autorité et son inobservation des procédures lui ont valu une mise à pied de huit jours dans l'affaire précédente. Et elle écopera finalement d'une promotion au grade de capitaine, certes, mais accompagnée d'une mutation d'office de la "Cité Gentille" de ses débuts, vers le Trégor, perdant su même coup son équipier Simon Le Lagadec.

C'est là qu'elle verra une alerte octogénaire surnommée Mam Goz la supplanter dans la résolution d'une affaire de trafic de fausse monnaie, tandis qu'elle fera face aux assiduités de son nouveau coéquipier, un corse du nom de Justin Paolozzi. Mais elle ne franchira pas le pas de mêler travail et vie privée.

Mise en congé d'office, à la suite de cette malencontreuse affaire où le prestige de la Police fut mis à mal par une institutrice en retraite, Bénédicte s'en alla prendre quelques vacances sur la Côte Sauvage, du côté de La Baule.

"Ce weekend-là, autour de la Vigie, un ballet inhabituel de véhicules aurait dû être remarqué par tout observateur attentif.

Il faut croire que Bénédicte Plassard, Officier de Police Judiciaire mis en congé d'office par son supérieur hiérarchique à la suite d'une enquête mal ficelée, fut la seule à avoir quelque raison de s'y intéresser d'un peu près. Et elle alla bientôt de surprise en surprise." ...

Au mépris des procédures, une fois de plus, jouant de sa séduction auprès du médecin-légiste chargé d'examiner le cadavre qu'elle découvrira, Bénédicte déjouera les plans criminels d'une secte d'adorateurs du Phallus de Priape, derrière laquelle divers notables cachaient leurs turpitudes.

... "Dans la salle de cérémonie, peu de mobilier. Au centre, une sorte de catafalque, recouvert de velours cramoisi. Derrière, cinq personnages masqués en chasuble de soie, constellée de motifs identiques à celui du bijou, brodés au fil d'or. Le regard des filles, d'abord attiré par les masques grimaçants de cuir fauve, se focalisa bientôt sur les chasubles : par un orifice pratiqué au niveau de l'entrejambe, elles laissaient voir cinq sexes bandés à tout rompre, au gland déjà luisant et tous d'une taille bien supérieure à la moyenne.

Nous y voilà, songèrent les cinq demoiselles de la Vigie et leurs entrailles se contractèrent. Une soirée avec mise en scène. Elles étaient payées pour savoir que les fantasmes de l'espèce humaine n'ont d'autres limites que la religion et la mort. Un frisson les parcourut.

Le masque du centre, arborait un long nez qui pointait bas, à l'inverse de son autre appendice. Croisant les bras sur sa poitrine, il parla, tête levée vers le plafond :

« Ô Priape, toi qui nous a choisis, entends les prières de tes Adorateurs. Nous, en qui tu t'es réincarné, sommes réunis ici ce soir pour te rendre le culte qui t'es dû. Vois notre état de grâce et permets-nous d'entrer en "communion" et de purifier nos sœurs par ton Saint-Sperme ».

À son signal, les masques de Scapin, Polichinelle, Pantaleone et Arlequin s'avancèrent vers les nouvelles venues et les firent agenouiller devant eux.

Mara, la praguoise, échangea un regard avec ses collègues :

— Fini de rire, les filles, au tra...

Elle ne put en dire davantage. ...

Dans sa dernière enquête parue à ce jour, c'est dans la capitale bretonne que nous la retrouvons, faisant à nouveau équipe avec Simon Le Lagadec, avec qui elle devra résoudre une délicate affaire de fourgon de transport de fonds volé, sous l'autorité du Commissaire Dutertre.

L'épilogue de cette affaire la confrontera à la chance, à l'appât du gain et à son premier dilemme moral :

"En redonnant un coup de jeune à cet équipement (2), qui a servi une dizaine d'années dans un camping de la Côte d'Azur, quelle n'a pas été ma surprise de voir un sac plastique noir tomber du faux-plafond que je tentais de démonter !

Et lorsque j'eus ouvert et vidé ce sac sur la table du séjour de la caravane, ce sont cent liasses de billets de deux cents euros tout neufs qui se sont étalées à ma vue. Un million d'euros ! Une fois recomptées, il s'avéra qu'il manquait un billet dans une des liasses. Un seul.

Hélas, impossible d'ignorer l'origine de ces fonds : la bande de scellement à demi-arrachée était marquée d'une série de B. F. trop révélateurs ! Le fric de Denis Popovič peut-être, celui d'un casse en tout cas, planqué naguère sur la Riviera et qui a voyagé incognito jusqu'à moi ! Je me pince pour le croire !!!

Denis, lui, est sorti de prison, il y a un mois. J'étais là à sa levée d'écrou, on l'a suivi de près, mais rien à signaler, à part... un voyage sur la Côte, justement. Et en camping ! Tout s'éclaire à présent. Mais il est rentré bredouille !!!

J'ai précipitamment remballé les liasses et replacé le sac dans sa cachette d'origine, le temps de me remettre de mon émotion et d'envisager la conduite à tenir.

Ça m'a pris une semaine.

Qu'est-ce que j'ai fait, finalement ?

J'ai rendu l'argent, vous pensez bien, sinon, je ne serais pas en train de vous raconter ça, mais quelque part au soleil, les doigts de pied en éventail, non ?

Pourquoi ? Pour continuer à me regarder dans la glace sans honte, on ne se refait pas ! Et puis aussi parce j'ai eu peur de m'em... quiquiner, à la longue, à dépenser cette petite fortune tombée d'un toit.

Saleté de conscience, hein ! ...

Voilà, brièvement esquissé, le portrait de Bénédicte Plassard, telle qu'elle nous apparaît dans les sept enquêtes dont elle a été la protagoniste jusqu'à présent.

La huitième, car c'est décidé, elle reprend du service, la mènera sur les bords de Rance, pour une aventure dont le titre provisoire est " La Madgeleine noire de Saint-Suliac".

Assez dit pour aujourd'hui. À bientôt.

(1) le lycée Louis Guilloux.
(2) un mobile-home,

©Pierre-Alain GASSE, juin 2012.