Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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Tag - histoire pour enfants

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samedi 8 septembre 2012

Julie, cette pimbêche - Histoires d'hier pour enfants d'aujourd'hui 2


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©1949 Isabelle Marie Yvonne Malézieux

Bonjour, les gars.

Je m'appelle Pierrot. J'ai neuf ans.

Je sais pas vous, mais moi, j'aime pas trop les filles.

Elles savent même pas taper dans un ballon. Elles croivent que les pieds, c'est pour sauter à la corde ou jouer à la marelle, n'importe quoi !

Bon, des fois, à la balle au prisonnier, elles sont pas si mauvaises que ça. Mais, dans notre bande, Momo, Lulu et moi, on n'en veut pas.

Ça tombe bien, dans mon école, y'en a pas.

Enfin, si, mais on est séparés : une classe de filles, une classe de garçons et, à la récré, un grillage sépare la cour en deux.

Nous, on dit qu'on serait au parc zoologique et on leur jette des cacahuètes, comme aux singes. Elles font des grimaces ou elles pleurent. C'est rigolo. Mais interdit.

Certains, comme Maurice, ont leur sœur de l'autre côté. La sienne, elle s'appelle Julie. Elle est plus grande que moi. Et c'est une rapporteuse à quatre chandelles. Alors, le soir, Momo, des fois, il se fait sonner les cloches !

Moi, heureusement, j'ai pas de sœur.

Ça n'empêche pas que je me fasse sonner les cloches aussi, surtout quand j'ai fait des taches d'encre plein ma blouse ou plein mon cahier ou plein les deux ! Si vous croyez que c'est facile d'écrire au porte-plume sur du papier qui gratte !

La semaine dernière, le maître m'a accroché mon cahier tout ouvert dans le dos, après l'avoir barré d'un "SALE" en grosses lettres, et j'ai dû rentrer comme ça à la maison !

Ç'a été ma fête. Privé d'argent de poche pendant quinze jours. J'ai secoué mon âne-tirelire. Y'a pas grand'chose dedans depuis quelque temps. C'est la vie !

Enfin, passons.

Maurice, il dit que sa sœur, c'est une pimbêche. Je sais pas où il a entendu ce mot-là. Personne à l'école le connaît. Mais ça nous plaît bien. Alors, on a fait une petite chanson :

"C'est Julie la pimbêche
qui s'en va à la pêche ;
avec ses gros sabots,
dérape et tombe à l'eau."

Le début, c'est Momo qui l'a trouvé, la fin, c'est moi. Lulu était mort de rire. Dommage qu'on puisse pas la chanter sur la cour, c'est un peu risqué. Déjà que Maurice et moi, le maître, il nous a à l'œil, on peut pas se permettre.

Alors, hier soir, à la sortie de l'école, un peu loin du bourg déjà, on s'est cachés derrière une haie, et quand Julie est passée avec ses copines Amélie et Coralie, on leur a fait peur et on leur a chanté notre comptine.

Elles ont ramassé des cailloux. Nous aussi, forcément. Manque de chance, on n'a pas le droit d'emporter nos frondes à l'école, sinon elles auraient détalé vite fait. Mais là, on s'est retrouvés dans un pré qui est au bord de la route ; la barrière était mal fermée.

On les a coursées autour de la mare. Et je sais pas comment, à un moment, Julie a glissé et est tombée dedans.

"Au secours ! Je sais pas nager !"

Nous non plus, on barbote, c'est tout.

Tout le monde s'était arrêté. Julie, couverte de lentilles d'eau, ces trucs verts que mangent les canards, s'enfonçait, remontait, s'enfonçait, remontait... Elle a crié.

Alors, j'ai sauté. Momo m'a lancé un bâton qui traînait par là, je l'ai tendu à Julie qui a réussi à l'attraper et les autres nous ont aidés à remonter.

Obligés d'aller frapper à la porte de la femme du menuisier qui nous a séchés et réconfortés. Le lendemain à l'école, j'étais un héros. Puni à la maison, mais ça valait le coup.

Finalement, Julie, elle est pas si "pimbêche" que ça. Et les couettes, ça lui va drôlement bien.

Une dernière chose : oubliez ce que j'ai dit au début.

Allez. À plus.

©Pierre-Alain GASSE, septembre 2012.

mercredi 5 septembre 2012

Alfred, le cyclope - Histoires d'hier pour enfants d'aujourd'hui 1


C'est la rentrée ! Alors, pour petits et grands, la version écrite d'une histoire imaginée cet été, à la demande de l'aîné de mes petits-enfants.

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©Dr. Patch.ca

Cette histoire s'est passée chez moi, dans ma petite école de campagne, mais il m'est avis que cela pourrait aussi bien se produire chez vous. Aussi vais-je vous la raconter pour que vous ne commettiez pas la même bêtise que nous.

Dans cette école, il y avait un garçon, qui, pour des raisons que j'ignore, ne voyait que d'un œil, le gauche. Son œil droit restait obstinément fermé.Naturellement, dès son arrivée, cela attira notre attention à mes copains et moi et bientôt, sans trop savoir pourquoi, nous le surnommâmes "le cyclope".

Mon père, qui un jour, m'entendit mentionner ce surnom, me fit lui raconter la chose et déclara que c'était idiot, car premièrement, les cyclopes étaient des personnages légendaires et, deuxièmement, ces géants n'avaient qu'un œil au milieu du front, ce qui, bien entendu, n'était pas le cas d'Alfred.

Néanmoins, le surnom lui resta.

Notre maître de CM2 s'appelait M. Jean. C'était un bon maître, qui utilisait parfois de surprenantes méthodes pour parvenir à ses fins.

En ce temps-là, le ramassage scolaire n'existait pas encore et peu de parents avaient une automobile. Les plus chanceux venaient à l'école en bicyclette et la plupart "pedibus cum jambis" comme disait mon père, ce qui voulait dire tout bonnement "à pied". Pour ceux qui habitaient des hameaux éloignés, cela représentait parfois plus d'une heure de marche, matin et soir.

Mais cela nous paraissait normal, nul ne s'en plaignait. Au contraire, le chemin était source de mille jeux et distractions et souvent aussi, il faut bien le dire, de retards coupables, pour avoir fabriqué des sifflets en sureau, cueilli des mûres ou chipé quelques pommes dans un verger.

Cette semaine-là, nous avions été particulièrement vindicatifs envers Alfred, qui avait même pleuré, de son seul œil valide.

Nos chaussures n'étaient pas comme les vôtres. Si plus personne ne venait en sabots, avec de la paille dedans, la plupart d'entre nous usaient des galoches : des chaussures à semelles de bois, pas très confortables. C'est pourquoi nous les ôtions en classe pour mettre des chaussons de feutre, chauds et douillets.

Ce jour-là, sur le chemin du retour, j'eus mal aux pieds et pourtant mes galoches étaient "faites" depuis longtemps, mais, peu doué pour les boucles de lacets, devant la corvée d'avoir à les refaire, je me contentai de marcher un peu comme sur des "œufs".

À la maison, en me déchaussant, quelle ne fut pas ma surprise de trouver à l'intérieur, trois petits cailloux blancs, de ceux que l'on remettait sur les routes goudronnées, de temps à autre.

Le lendemain matin, la cour de l'école, ne bruissait que d'une rumeur : "le cyclope' pour se venger de nos brimades, avait placé des cailloux dans toutes les chaussures de la classe ! Et nous avions, qui une ampoule, qui une coupure, que nos mères avaient dû soigner.

La classe criait en sourdine : "Vengeance !" Alors, ce jour-là, pendant la récré, échappant à la surveillance de Monsieur Jean, je pissai dans l'encrier du "cyclope", un autre noua ensemble les lacets de ses chaussures, et l'un de nous poussa même dans le fond de chacune... une crotte de chien ramassée sur la cour !

Le lendemain, Alfred, n'était pas à l'école : nous pensâmes qu'il s'était "dégonflé", craignant une seconde journée de représailles, plus rude encore que la première.

Mais, ce soir-là, à peine avions-nous fait quelques centaines de mètres sur le chemin du retour à la maison que nos pieds nous faisaient mal. Il nous fallut nous déchausser au bord de la route pour découvrir à nouveau trois petits cailloux blancs dans chacune de nos godasses !

Ce ne pouvait pas être le cyclope le responsable de cette malveillance puisqu'il n'était pas à l'école ! Mais alors, la première fois, peut-être n'était-ce pas lui, non plus ?

Nous dormîmes la tête pleine de questions et de soupçons.

Le lendemain matin, Alfred était revenu et, à peine étions-nous assis à nos pupitres que Monsieur Jean nous tint ce discours :

"Ce matin, vous vous demandez bien qui a pu mettre des cailloux dans vos chaussures hier, vu qu'Alfred n'était pas à l'école, n'est-ce pas ?"

Nous acquiesçâmes bruyamment.

"Eh bien, je vais vous le dire, c'est moi !"

Un cri de stupeur et de réprobation nous échappa.

"Mais pourquoi ai-je fait cela ? Tout simplement, pour vous prouver que vous aviez eu tort d'accuser Alfred, la première fois. Car cette fois-là, c'était moi aussi."

Un second cri de stupeur et d'indignation se fit entendre.

"Et pourquoi accusiez-vous Alfred de cette mauvaise plaisanterie, plutôt que Pierre, Marcel, Jeanne ou Catherine, qui toutes et tous ont l'âme farceuse, vous le savez bien ? Simplement, parce qu'il est différent de vous et que cette différence vous inquiète à tel point que vous l'avez affublé d'un surnom ridicule. Et pour couronner le tout, vous avez imaginé qu'il était responsable de tous vos désagréments. Eh bien, non "!

Un silence gêné s'établit sur la classe.

"Ce que je voudrais que vous reteniez de tout ceci, c'est qu'il ne faut jamais accuser sans preuves, sous peine de commettre de grandes injustices et qu'il faut respecter les différences de chacun. Comprenez-vous cela ?

Nous répondîmes "oui" tous en chœur, plus ou moins convaincus par cette démonstration à nos dépens.

Rassurez-vous, termina Monsieur Jean, par mégarde, hier, j'ai aussi mis des cailloux dans mes chaussures, rangées à côté des vôtres !

Alors, nous avons ri avec lui, aux éclats, de toute cette aventure...

Le "cyclope" est resté le "cyclope", mais à présent il en est presque fier !

©Pierre-Alain GASSE, août 2012.