Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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vendredi 21 juillet 2017

L'affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 12


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XII

Favart était un récidiviste. Certes, il avait payé sa dette envers la société - douze ans d'emprisonnement - et son suivi socio-judiciaire de cinq ans était révolu. Mais un signalement pour agression sexuelle postérieur n'avait pas eu de suite et l'obligation de soins qui lui avait été enjointe n'avait été respectée que très partiellement, pendant sa peine et juste après sa libération. C'est fréquent, hélas ; faute de moyens suffisants, la Justice pare au plus pressé, gère l'urgence et laisse filer le reste.

Son procès pour meurtre sans préméditation, viol, tentative de viol, enlèvements et séquestrations qui vient de se tenir à Tulle où siège la Cour d'Assises de Corrèze a fait du bruit dans la région, pour de mauvaises raisons. Figurez-vous que la défense du prévenu, tentant de prouver, comme souvent, que la victime du viol avait, peu ou prou, cherché ce qui lui était arrivé, s'était mis en tête de produire, comme pièces à conviction, des extraits des films tournés par Wanda/Annelore ! Et que le Président du Tribunal avait accepté ! Heureusement, le huis-clos fut accordé.

Les psychiatres et psychologues qui ont examiné Edmond Favart ont souligné qu'après son divorce et au fil des ans, il avait eu une sexualité de voyeur, mais que fondamentalement, c'était un prédateur sexuel. En raison de carences affectives et éducatives profondes, son image de la Femme se réduisait à la dualité mère/putain. Lui-même en a convenu.

Cette fois-ci, il a pris la peine maximum, trente ans dont vingt-deux incompressibles. Sortira-t-il inoffensif ? Bien malin qui pourrait le dire.

Il reste que notre commune est maintenant connue dans les annales judiciaires avec cette "Affaire de Collonges-la-Rouge". On s'en serait bien passé. C'est de la mauvaise publicité, quoi qu'on fasse.

Annelore et ses enfants ont quitté la commune. Comment voulez-vous qu'ils supportent le regard des gens ? C'est trop petit ici. On ne peut y vivre dans l'anonymat. Le manoir de la Barrière a été vendu à nouveau. À des Belges, une fois !Au cimetière, une tombe en granit poli noir intense est fleurie à distance, plusieurs fois par an. Une épitaphe qui nous fera mal longtemps encore y dit : "Il avait choisi ce pays pour y vivre en paix ; il n'a pas été payé de retour".

Tout ceci a laissé des traces, y compris inconscientes. À présent, nous sommes nombreux à regarder chaque matin, de manière réflexe, si l'eau de la fontaine est de la bonne couleur !

©Pierre-Alain GASSE, juillet 2017.

lundi 10 juillet 2017

L'Affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 10


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X

Toute l'équipe de gendarmes était sur le pied de guerre : tous les véhicules banalisés disponibles furent lancés sur les routes des alentours. Suivant l'idée du capitaine Mangin, reprise par Soubeyrol, le suspect n'ayant pas de véhicule personnel, hormis son tracteur, il devait encore circuler dans le véhicule dérobé à Condat, quelques jours avant l'enlèvement. En tout cas, on n'avait pas retrouvé celui-ci et aucun autre vol n'avait été signalé. Des barrages équipés de herses furent mis en place sur les principales départementales autour de Collonges, à une distance qui fut difficile à déterminer, mais qu'on fixa arbitrairement à vingt kilomètres, en pensant que l'homme était un loup solitaire qui rechignerait à s'éloigner de son territoire.

Le meurtre de Joss Vanderlaeren et l'enlèvement du reste de la famille avaient eu lieu vingt heures auparavant. C'était beaucoup. L'expérience montrait que dans les cas d'enlèvement, chaque heure qui passait diminuait les chances de survie des victimes.Le problème posé était double : Edmond Favart connaissait parfaitement la contrée où il avait toujours vécu et celle-ci regorgeait de cachettes possibles : de nombreuses zones boisées, des grottes naturelles, des abris troglodytiques, des masures inhabitées... Si l'on y ajoutait un relief accidenté, cela donnait un ensemble peu favorable aux poursuivants. Il faudrait un peu de chance aux forces de l'ordre pour aboutir rapidement. Et on ne pouvait pas lancer un ratissage sur un secteur aussi étendu. Il leur fallait un indice supplémentaire.

C'est alors que la cellule de crise décida de recourir au plan alerte enlèvement. Jusqu'alors, il avait presque toujours abouti à un résultat positif, mais cette fois, il était lancé bien tard et dans un contexte différent : celui d'un meurtre.

Des bandeaux informatifs défilèrent bientôt sur tous les écrans, téléphones, tablettes, téléviseurs, autoroutes, villes et villages ; toutes les radios relayèrent aussi le message : "deux enfants, garçon et fille, dix et sept ans, Joris et Jana Vanderlaeren, ont été enlevés avec leur mère, hier dans la nuit, au domicile de la famille, au bourg de Collonges-la-Rouge, par un homme d'une quarantaine d'années, brun, trapu, sans doute au volant d'une camionnette volée Renault Express blanche, immatriculée 325 XY 46. Ils sont vêtus pour le garçon d'un pyjama en jersey bleu nuit, pour la fille d'une chemise de nuit à fleurs. Pieds nus. Leur mère Annelore est grande, blonde paille, yeux bleus lavande. Sa tenue n'est pas connue. L'homme peut être armé ; il est dangereux. Toute personne pouvant fournir un renseignement à leur sujet doit immédiatement appeler l'un des deux numéros de téléphone qui s'affichent maintenant : 03 XX XX XX XX ou 03 XX XX XX XX".

C'est le mitron du boulanger, alors qu'il poursuivait sa tournée autour de Chasteaux, après le départ des secours pour l'hôpital de Brive, qui croisa le premier le véhicule dont la radio venait de donner l'immatriculation. Il voulut composer aussitôt sur son portable l'un des deux numéros d'appel fournis, mais impossible de se souvenir des quatre derniers chiffres ! Trop focalisé sur l'immatriculation ! Il fit néanmoins deux tentatives au hasard, infructueuses, hélas. Alors, attendre la rediffusion du message, mais dans combien de temps ? Enfin, il eut la présence d'esprit de rechercher sur son smartphone l'alerte enlèvement qui venait d'être lancée et, là, trouva, le numéro recherché.Une sonnerie retentit :

— Alerte enlèvement Corrèze, j'écoute...
— Je crois que je viens de croiser le véhicule que vous recherchez.
— Vous avez pu noter l'immatriculation ? — Celle que vous avez donnée, 325 XY 46.
— C'était où ? 
— Sur la D 158, Larche-Montplaisir avant Lissac-sur-Couze, kilomètre 12.
— Comment pouvez-vous être aussi précis ?
— Je suis arrêté devant la borne kilométrique.
— OK. Dans quel sens allait le véhicule ?
— Vers Lissac.
— Qui conduisait ? — Un homme, je pense, mais il faisait encore nuit.
— Très bien. Merci de votre appel.

Une batterie de téléphones se mit en branle aussitôt. Mangin, Soubeyrol, le Préfet, le Maire décrochèrent :

— Un signalement du véhicule volé à Condat sur la D158, kilomètre 12, en direction de Larche.

Soubeyrol regarda la carte et répondit le premier :

— On resserre le dispositif à 10 km autour de Lissac. Je veux dans l'heure qui vient la position de toutes les maisons inhabitées, les grottes, abris sous roche et autres cachettes possibles dans le périmètre. Survol de la zone en hélico.
 — Compris.

À l'hôpital de Brive, Joris avait été transfusé et l'épaule de Jana remise en place assez aisément. Le garçon, dès qu'il fut conscient, commença à s'agiter :

— Il faut délivrer maman, celui qui nous a enlevés lui fait du mal !

Le cadre de santé du service appela aussitôt la Gendarmerie, qui relaya l'appel vers la cellule de recherches. Florence Mangin demanda à parler au garçon :

— Tu sais où elle est retenue, ta maman, Joris ?
— C'est une espèce de grotte, pas très loin du ravin où il nous a jetés, Jana et moi, parce qu'on n'a pas roulé longtemps. Dix, quinze minutes, peut-être. J'ai compté dans ma tête treize fois jusqu'à soixante.
— Ça nous aide beaucoup, Joris. Merci. On va la retrouver, tu sais.La voix du garçon chevrotait à présent :
— Je vous en supplie, faites vite, j'ai trop peur....

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2017.

jeudi 15 juin 2017

L'Affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 7


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VII

Les quinze fiches des délinquants sexuels du secteur étalées sur son bureau, Florence Mangin réfléchissait. On en avait logé treize ; trois encore en prison, cinq interdits de séjour dans le département et cinq autres tranquilles depuis la fin de leur peine. Leurs alibis tenaient. Il en restait deux. Absents à leur dernière adresse connue, un avis de recherches avait été lancé et leur photo transmise à toutes les brigades. Il fallait attendre, mais cela lui pesait un peu plus à chaque heure qui passait sans information nouvelle.

Elle examina la première des deux fiches restantes : c’était celle d’un pédophile, ex-instituteur des environs, dénoncé par des élèves devenus adultes. À sa sortie de prison, il avait disparu au volant d’un camping-car, plus de dix-huit mois auparavant. Elle n’y croyait pas trop.

L’autre fiche était celle d’un violeur récidiviste, que la presse avait affublé du qualificatif « du violeur aux volets clos », car il s’introduisait chez ses victimes en été, à l’heure de la sieste, quand on tire les volets, fenêtres ouvertes, pour garder la fraîcheur à l’intérieur des maisons. Mais l’enlèvement n’était pas son mode opératoire habituel. D’ordinaire, il sévissait sur place.

En l’absence de revendication, c’était une des principales difficultés du dossier : ne pas savoir si le ravisseur en voulait à l’argent de la famille, aux enfants, à la femme, ou à tout cela en même temps ! Il était possible qu’elle se trompe complètement de profil et de cible, mais elle avait décidé, dans un premier temps, de suivre son instinct et celui-ci lui disait que tout cela relevait d'une motivation sexuelle ! L’intervention du mari avait peut-être contrarié les plans du ravisseur, qui n’avait pas voulu renoncer à sa proie et s’était résolu à enlever la famille restante de manière improvisée ? C’était un peu improbable, mais le sang-froid n’est pas toujours le propre de ces criminels.

Ce dernier suspect était un ouvrier agricole nommé Edmond Favart, qui travaillait à la tâche chez les producteurs de « vin paillé »1 des deux cantons de Meyssac et Beaulieu-sur-Dordogne. Dernier domicile connu : Branceilles. À même pas dix kilomètres de Collonges ! On ne l’avait pas trouvé là-bas. Pas étonnant. Après sa première incarcération pour viols, dans les années quatre-vingt-dix, sa femme avait demandé le divorce et ne connaissait pas sa nouvelle adresse. On disait qu’il avait acheté un mobile home d’occasion qu’il tirait avec un vieux tracteur jusqu’aux exploitations où il trouvait de l’embauche.

Florence Mangin appela ses hommes au rapport et désigna la fiche épinglée au tableau devant elle :

— Vous concentrez les recherches sur cet homme. Attention, il peut être violent.

Aucun autre véhicule que son tracteur n’était enregistré à son nom, selon la préfecture. Il aurait donc volé une voiture ou une fourgonnette ? On examina les déclarations de vol du mois en cours et du mois précédent, dans le département. Rien. Mais on était en zone limitrophe avec le Lot. On étendit la recherche. Une camionnette d’artisan non siglée avait disparu trois semaines avant, une nuit à Condat, à une dizaine de kilomètres de là !

— Les vendanges vont commencer. Vous faites le tour de toutes les exploitations viticoles des communes concernées, en civil et voiture banalisée pour ne pas éveiller l’attention. Il y en a une vingtaine. Vous vous les répartissez. Dès que vous logez notre homme ou son véhicule, vous me prévenez, avant toute intervention. C’est compris ?

Tous les membres du groupe de recherches opinèrent du chef.

— Bon, au boulot ; communications sur le canal 31. Rompez !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.

jeudi 8 juin 2017

L'Affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 6 - CONTENU SENSIBLE !


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VI
À une vingtaine de kilomètres de là, vers l’ouest, un abri sous roche connu depuis les temps préhistoriques était le théâtre d’un drame poignant. Au milieu de la nuit, un petit utilitaire d’artisan avait remonté la rampe d’accès caillouteuse qui menait au terre-plein et trois personnes en étaient descendues, mains entravées et yeux bandés : une femme et deux enfants, houspillés par un homme trapu au regard illuminé. Au siècle dernier, le fond de la grotte avait été fermé par le propriétaire du lieu à l’aide d’une cloison de bois, pour y entreposer divers matériels. Une porte métallique cadenassée en condamnait l’accès. C’est là qu’il attacha à des anneaux scellés dans le roc, au fond d’espèces de box, cloisonnés de planches, la mère dans l’un, le frère et la sœur dans l’autre.

— Je vous en supplie, ne leur faites pas de mal, je ferai ce que vous voudrez, libérez-les, s’il vous plaît… gémit Annelore, secouée de tremblements incoercibles, dans son français teinté d’accent hollandais.
— Silence, Wanda, je verrai, il est possible que je les libère, cela va dépendre de toi, mais pour l’instant, il vaut mieux qu’ils restent ici.

Les deux enfants, serrés l’un contre l’autre, sanglotaient, tremblants de peur, recroquevillés contre la cloison de bois qui les séparait de leur mère. Leur ravisseur jeta dans chacun des box une couverture mitée.

— Je ne peux pas rester maintenant. Je reviendrai bientôt. Inutile de crier : il n’y a personne à moins d’un kilomètre d’ici. Soyez sages, mes jolis…

Les prisonniers entendirent le cliquetis d’un cadenas à combinaison que l’on enclenche, puis la voiture s’éloigna dans la nuit et l’obscurité se referma sur leurs larmes. Annelore, libérée du fardeau de l’angoisse, éclata en longs sanglots convulsifs, accompagnés par ceux plus plaintifs de ses enfants.

— On est où, maman, finit par demander le garçon ? Pourquoi il t’a appelée Wanda, ce type ?

Annelore, qui n’avait pas relevé ce détail, comprit alors que ce qu’elle avait toujours craint était arrivé : son passé sulfureux l’avait rattrapée !

— Je ne sais pas, un fantasme, sans doute. On doit être dans une cave, ça sent un peu l’humidité.

L’enfant se retint de demander à sa mère ce qu’était un « fantasme ». Ça devait se rapprocher de « fantôme », non ?

— Non, maman, on n’a pas descendu de marches.
— C’est vrai, tu as raison, Joris. Une grange ou une grotte, alors peut-être. Il y en a beaucoup dans la région. Le sol, on dirait de la terre ou du sable. Si je pouvais enlever mon bandeau…
— En frottant ta tête contre la cloison, peut-être, reprit le garçon…

Annelore, une fois de plus, fut surprise par le sens pratique et l’ingéniosité de son fils, qui devait tenir cela de son père. Elle mit aussitôt à l’œuvre ce judicieux conseil, tentant de faire remonter le nœud serré du bandeau vers le haut de sa nuque. Au bout de quelques minutes, elle s’écria :

— Ça y est ! On est dans une espèce de grotte, au fond de boxes en bois, fermés par une cloison de planches à claire-voie et une porte métallique grillagée avec un cadenas à combinaison. Mais ma chaîne est trop courte pour aller jusque-là.
— N’oublie pas de remettre ton bandeau après, maman, pour qu’il ne s’aperçoive de rien. Ça pourrait l’énerver !
— Oui, oui, tu as raison.

Jana, la sœur cadette de Joris, restée silencieuse jusqu’à ce moment, jubila soudain :

— J’ai réussi ! J’ai réussi, en faisant mes mains toutes petites, j’ai réussi à les sortir des anneaux des menottes !
— Super ! dirent Joris et Annelore à l’unisson. C’est logique, tes poignets sont plus petits que les miens, il a dû serrer jusqu’au dernier cran, mais c’est pas vraiment prévu pour les enfants. Moi, ça coince trop, j’ai essayé, mais pas moyen, poursuivit son frère.
— Va jusqu’à la porte, passe tes mains à travers le grillage si tu peux et tente de manœuvrer le cadenas. Tu fais tourner les trois molettes d’un cran à chaque fois, en partant du zéro : 000, 001, 002, ainsi de suite jusqu’au 9. Avec un peu de chance, ça peut le faire.
— Maman, ça va prendre beaucoup trop longtemps, il y a mille combinaisons possibles !
— Comment tu sais ça, toi ?
— On a vu ça en maths, c’est 10 puissance 3. Non, j’ai un meilleur truc, je l’ai vu sur YouTube, mais il faut un peu de force. Essaie de me libérer d’abord, Jana.

La petite s’exécuta, mais les poignets de Joris étaient bien enserrés dans les anneaux de ses menottes, impossible de les dégager sans la clé qui les ouvrait. Il eut soudain une idée. Sa mère avait les cheveux relevés en chignon. Ça pouvait marcher.

— Maman, dit-il, est-ce que tu as des épingles à cheveux sur toi ?
— Oui, plusieurs, pour tenir mon chignon.
— Passe-m’en deux à travers la cloison, si tu peux les prendre, je vais essayer d’ouvrir mes menottes avec.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Annelore courba la tête sur ses genoux, tentant de retirer de ses mains entravées deux des épingles de son chignon. Elle y parvint à son troisième essai et les passa aussitôt à son fils. L’enfant retira d’abord l’embout plastique de la première pince, l’ouvrit et en recourba l’extrémité en l’insérant entre deux interstices du bois de la cloison, de façon à obtenir un crochet de trois ou quatre millimètres de haut. La tige de métal passait juste entre le bord du trou de la clé et l’axe de celle-ci. Il commença à tourner le crochet, dans un sens, puis dans l’autre, tentant d’accrocher le cliquet qui bloquait la menotte. L’épingle avait tendance à tourner dans sa main et il dut s’y reprendre plusieurs fois avant qu’un petit déclic se fasse entendre et libère sa première main. C’était beaucoup plus facile maintenant pour la seconde. En cinq minutes, il fut libéré.

— Ça y est, maman, je me suis détaché, je vais faire les tiennes maintenant. J’arrive !

Hélas, un bruit de moteur s’était fait entendre. Et des pas résonnaient sur les silex de la montée. Trop tard, il n’avait plus le temps.

— Jana, repasse tes mains dans tes menottes et baisse ton bandeau, je vais faire pareil pour qu’il ne s’aperçoive de rien.
— Surtout, les enfants, restez tranquilles, quoi qu’il me fasse, dit Annelore en se tordant les poignets convulsivement.

— Me revoilà. Alors, mes jolis, on a été sages ? Vous devez avoir soif, tenez, je vous ai apporté à boire.

Il tendait à chacun une petite bouteille d’eau qu’il venait d’ouvrir. Malgré leur méfiance, les enfants ne purent résister et s’en saisirent de leurs mains supposément entravées. Ils burent à grandes goulées. Le liquide avait un goût bizarre. Bientôt, ils sentirent qu’ils perdaient contact avec la réalité. Dans une sorte de voile cotonneux, ils entendirent encore qu’une voix doucereuse leur disait :

— Faites de beaux rêves…
— À nous deux, maintenant, ma toute belle, dit le ravisseur en passant dans le box d’Annelore.

Il sortit une petite clé de sa poche et ouvrit ses menottes. Recroquevillée contre la cloison, Annelore tremblait de tous ses membres.

— Déshabille-toi !

La voix était blanche, tranchante, impérieuse. Elle y céda.C’était la fin de l’été. Elle ne portait qu’un tee-shirt échancré, un short à poches multiples et des baskets. Elle baissa son short : un string rouge apparut. Ce fut le signal.

Dans un geste brusque, l’homme se dégrafa, son sexe dressé en avant et se rua sur sa proie sur laquelle sa masse imposante s’affala. D’une main, il arracha le triangle rouge, et s’enfonça sans ménagement dans sa victime, en soufflant bruyamment. Annelore était dans un état second, comme hors de son corps, abandonnée à son ravisseur, seul son esprit résistait encore. Ce fut bref. Ahanant sur elle, une main sur sa bouche pour qu’elle ne crie pas, il se libéra bientôt avec un cri de bête, avant de se redresser et de se ragrafer.

— Toi, t’es trop bonne, il faut que je te garde encore un peu.

Annelore s’était évanouie. Il la rattacha, la rajusta, avant de charger les enfants endormis un par un sur ses épaules pour les déposer dans sa camionnette.

— Ces deux-là, je vais les balancer dans un ravin par là, ni vu ni connu.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.

jeudi 1 juin 2017

L'Afffaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 5


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V

Au petit matin, les investigations reprirent dans le village. Sur la foi du renseignement recueilli par le Capitaine Soubeyrol, une équipe se rendit au manoir de la Barrière. Tous les volets étaient clos et les pandores durent se faire ouvrir la demeure avec l’aide de la voisine qui gardait un jeu de clés. Celle-ci n’avait pas vu les propriétaires, mais, bien entendu, ils possédaient chacun leur trousseau.

Quel ne fut pas l’effarement des gendarmes de découvrir dans le jacuzzi attenant à la piscine, tel Marat dans sa baignoire, le cadavre de Joss Vanderlaeren, un large couteau de cuisine planté au niveau du cœur ! Mort et plus que mort. Le corps était déjà froid. La bonde avait été retirée, l’arrivée d’eau fermée, et le sang de la victime s’était écoulé dans le trop-plein de la piscine à débordement voisine. Comment ce sang avait-il pu colorer de manière transitoire l’eau des bassins de la fontaine proche, c’était un mystère ! Mais dans ces villages anciens, les réseaux présentent bien des anomalies et tous les branchements, non seulement ne sont pas aux normes, mais font parfois fi de la légalité.

Aucune trace du reste de la famille. La voiture était dans le garage. Les valises défaites. Les brosses à dents dans les verres. Un branle-bas de combat général fut lancé. Cette fois, il y avait cadavre, disparition et selon toute vraisemblance, enlèvement ! Ça commençait à faire beaucoup !

Le Capitaine Florence Mangin, après de brillantes études de psychologie, avait passé et réussi le concours de l’ENSOP et, à sa sortie de l’École de Cannes-Écluse, s’était spécialisée dans la criminologie, et plus particulièrement celle des tueurs en série au GAC de Rosny-sous-Bois. Avec le temps, elle était devenue l’une des quatre ou cinq spécialistes féminines de cette problématique dans la Gendarmerie Nationale. La quarantaine, avenante, parfois séductrice, elle avait l’art des questions qui vont droit au but et pointent là où ça fait mal. Au dernier moment, elle fut adjointe au groupe du GIR dépêché de Limoges.

Deux heures plus tard, les « combinaisons blanches » opéraient leurs premières constatations et prélèvements. Le légiste délivra quelques informations : le suicide était à écarter dit-il, la victime étant gauchère et le coup ayant été porté de la main droite.

— Comment pouvez-vous dire ça aussi vite, docteur ?
— Qu’il était gaucher ? Très simple. La présence d’une callosité sur la le côté droit de son majeur gauche nous indique que ce monsieur tenait son stylo préférentiellement de cette main.
— Wouah ! Et que le coup a été porté par un droitier ?
— Ça, c’est un peu plus compliqué. Il faut examiner les lèvres de la blessure. Elles sont différentes dans l’un et l’autre cas. Je n’entre pas dans les détails techniques… Ce sera dans mon rapport.

Étant donné l’arme utilisée, un couteau à émincer de cuisinier, sans doute emprunté à l’espace barbecue tout proche, la profileuse tendait à écarter un criminel voyageur, qui préfère en général une arme plus facile à dissimuler. Elle penchait pour une piste locale, très locale même. Elle fit rechercher dans les fichiers, sur les cinq dernières années, tous les meurtres par arme blanche commis par des délinquants sexuels. Trente fiches apparurent sur le territoire français, quinze dans la moitié sud du pays. Mais aucun des quinze fichés du sud ne résidait dans les environs. On se trouvait sans doute en présence d’un « nouveau » criminel, voire un criminel d’occasion, de circonstance. La disparition du reste de la famille pouvait faire penser à un enlèvement, contrecarré par le mari, qui avait payé de sa vie son opposition. En tout cas, le seul coup porté avait été fatal ! Une certaine force donc, ou au moins beaucoup de détermination. Et, étant donné l’angle de pénétration de l’arme, l’agresseur devait être de taille moyenne, moins de 1,70 m. L’expression du cadavre fut le second élément qui interpella le Capitaine Mangin. Bouche et yeux grands ouverts, Joss Vanderlaeren manifestait une infinie surprise – on le serait à moins – mais ni crainte ni frayeur. Connaissait-il son agresseur ? La mort avait été instantanée ou presque – cœur transpercé de part en part – et les empreintes des chaussures de l’assassin étaient absentes du plancher en teck, sur le pourtour de la piscine.

En fin de matinée, une fois les techniciens de la BRIJ repartis vers leur base, se tint en Mairie une assemblée de crise réunissant Monsieur le Maire et ses dix conseillers, le Capitaine Mangin et les trois hommes de son équipe, le Major commandant la Brigade de Meyssac et son Adjoint, le Capitaine Soubeyrol. L’atmosphère était tendue et les nerfs à fleur de peau.

— Monsieur le Maire, que comptez-vous faire pour ramener la sécurité dans le village, vous avez vu qu’une sorte de milice d’autodéfense s’est constituée et a opéré des rondes cette nuit ? attaqua un conseiller d’opposition, d’une voix perchée et impatiente.
— Oui, calmez-vous, je suis au courant, merci, et j’ai même rappelé au responsable autoproclamé les limites légales de l’exercice.
— Ça n’a servi à rien, cette surveillance a bien été déjouée, reprit le contradicteur, acerbe.
— En effet, et ceci nous amène à penser que le criminel connaît bien les lieux et le contexte local, intervint le Capitaine Mangin. Étant donné la rigidité presque maximale du cadavre lors des constatations, le légiste situe le meurtre dans une fourchette de six à huit heures avant son examen.
— C’est-à-dire ?
— Entre minuit et deux heures du matin. Il faut attendre les résultats de l’autopsie pour plus de précisions.
— Dès que la presse va éventer cette affaire, des hordes de curieux vont défiler par ici, intervint un autre conseiller.
— Tranquillisez-vous, nous allons mettre en place un dispositif de sécurité pour les tenir à distance, coupa le Commandant de la Brigade.
— Peut-être, mais il faut quand même préserver l’accueil des touristes ; n’oubliez pas que c’est ce qui nous fait vivre, reprit un conseiller commerçant.
— L’urgence, c’est de retrouver l’épouse de la victime et ses enfants, intervint le Capitaine Mangin. Ont-ils été enlevés par le meurtrier ? Je suis très inquiète. Si la cible était la femme de Joss Vanderlaeren et le mobile sexuel, je doute fort que l’assassin s’encombre des deux enfants. Cette affaire s’avère complexe et mystérieuse.
— Un signalement et un avis de recherches national vont être lancés dès que nous aurons les photos nécessaires. Nous attendons la commission rogatoire du Juge pour fouiller le Manoir de la Barrière. Je suppose que nous en trouverons là-bas.
— Et ça va durer combien de temps tout ce cirque, éclata un conseiller qui contenait sa colère depuis un moment ?
— À situation exceptionnelle, dispositif d’exception. C’est l’affaire de quelques jours, pas plus, j’en suis persuadé, enchaîna le Commandant de la Brigade et je demande la collaboration de tous.
— Vous l’avez, trancha Monsieur le Maire, d’un ton péremptoire.
— Bien, dans ce cas, je crois que nous pouvons lever la séance pour aujourd’hui ; mesdames, messieurs, à demain, même heure, sauf imprévu d’importance.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.

mardi 16 mai 2017

L'Affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 3

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III

Pas de cadavre de chat, chien ou autre au fond des bassins. L’eau, après avoir continué à couler rougeâtre du bec d’arrivée pendant une heure ou deux, était redevenue limpide. Qu’elle ait pris la couleur de nos pierres pouvait s’expliquer de diverses manières. La plus banale : une variante de la blague de la lessive, à laquelle nous étions périodiquement confrontés par des noctambules en mal d’amusements. Tous les villages où subsistent des fontaines connaissent ces désagréments. Il pouvait aussi s’agir d’une pollution accidentelle ou volontaire de la nappe phréatique qui approvisionnait la bourgade. Le crime de sang, voilà bien la dernière explication à laquelle il fallait songer, tout de même !

Au matin, chacun, mis au courant par la rumeur, qui chez le boulanger, qui à la maison de la presse, qui dans la rue même, s’en alla aussitôt au logis, à pas pressés, vérifier que sa maisonnée n’était pas concernée. Cela s’était passé après minuit, parce que, de conciliabule en conciliabule, on sut rapidement que Monsieur Lorféon, le plus insomniaque de nous tous, qui, pour tromper l’ennui, promenait son basset artésien toutes les nuits ou presque, était passé devant la fontaine alors que sonnaient les douze coups et n’avait rien remarqué d’anormal.

— Peut-être n’avez vous rien vu parce c’était nuit noire, que l’éclairage public était éteint et la lune absente ? lui fut-il rétorqué.
— Mon chien aurait flairé l’odeur du sang, je vous l’assure, répliqua-t-il.
— Mais d’abord, qui a dit que c’en était ?

C’était vrai, ça, quel était l’oiseau de malheur qui avait lancé cette idée stupide ? Il y avait sûrement une autre explication. Un prélèvement fut réalisé et envoyé au laboratoire d’analyses de Tulle, mais ça allait prendre un peu de temps.

À midi, on n’avait encore rien trouvé d’anormal ; les gendarmes, deux par deux, réquisition d’ouverture en main, allaient de maison en maison, rue après rue, et revenaient, toutes les heures, rendre compte à Monsieur le Maire, qui s’apprêtait à convoquer le Conseil Municipal en séance extraordinaire pour le soir même. Les délais habituels n’étaient pas respectés, mais aux grands maux, les grands remèdes !

À quinze heures, toutes les maisons occupées du centre bourg, c’est-à-dire près de deux cents, avaient été visitées. En vain. Ni mort ni blessé, nulle part. Restaient tous les écarts, les résidences secondaires éparpillées dans la campagne et les logements fermés ou vacants de la commune. À peu près autant. Il fallut se résoudre à faire venir deux serruriers pour ouvrir toutes les portes closes. Cela prendrait un sacré bout de temps !

Et le bétail ? Peut-être un prédateur errant, chien, loup, félin échappé d’un cirque ou de chez un particulier..., avait-il égorgé une proie, près de la source ? Hypothèse rassurante, mais hélas, on constata bientôt qu’il n’en était rien. Le captage s’avéra indemne de toute pollution.

Au soir, le résultat des analyses tomba. C’était bien du sang qui était dilué dans l’eau et non un colorant quelconque. Du sang humain, d’un individu de sexe masculin !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.

jeudi 4 mai 2017

L'Affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 2


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II

On pourrait croire que dans nos villages de province la vie s’écoule plus paisiblement qu’ailleurs. Eh bien, l’on se trompe ! Les passions humaines y sont les mêmes qu’en ville et conduisent à des débordements identiques. Seules les tentations, jadis, y étaient moins nombreuses. Mais, aujourd’hui, à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, sur ce plan, bourgades, cités, métropoles et capitales se valent, pour peu que la 3G, l’ADSL et le haut débit y parviennent.

À la fin du siècle dernier, notre région a été marquée par une ténébreuse affaire, un double meurtre resté inexpliqué, à 20 kilomètres à peine de chez nous, à Cressensac. Un couple anglo-batave avait été retrouvé étranglé dans une forêt éloignée de son domicile, bâillonné, pieds et poings liés. Vingt ans après, la presse en parlait encore. Pourquoi ce double crime a-t-il enflammé les imaginations à ce point ? C’est sans doute que la femme était jeune et belle et son mari encombré d’un passé sombre et mystérieux, fait d’un riche premier mariage, d’émigrations successives et d’escroqueries d’envergure.

Tout ceci pour dire qu’en matière criminelle, il n’est pas bon bec que de Paris, tant s’en faut.

Notre village devait jusqu’ici la seconde partie de son nom à la couleur du grès dont sont bâties nos maisons : rouge. Et voilà que c’est au sang répandu qu’on voudrait l’associer à présent !

Depuis 35 ans, grâce à notre grand homme Charles Ceyrac, nous sommes le premier des « Plus Beaux Villages de France » et le site le plus visité du Limousin. Il faut dire qu’avec sa dizaine de châteaux et manoirs, ses multiples maisons anciennes, ses divers monuments publics et son reste d’enceinte, plus de la moitié du village est classée ou inscrite aux Monuments Historiques. Et que voir le soleil levant ou couchant enflammer nos rues et nos façades est un spectacle qui ne s’oublie pas de sitôt !

À ce riche passé correspond une vieille noblesse, souvent désargentée hélas, qui peine à entretenir son patrimoine et s’est vue contrainte dû l’aliéner au profit d’étrangers fortunés en mal de légitimité historique.

C’est ainsi qu’au cœur du village le manoir de la Barrière avait été vendu, dix ans en arrière, à des Hollandais comme il y en a beaucoup par ici, qui l’avaient restauré de leur mieux et y vivaient dix mois sur douze, fuyant l’arrivée des touristes en juillet et août au profit de villégiatures plus calmes.

Joss Vanderlaeren avait fait fortune dans les logiciels pour collectivités, au point de détenir, avant sa retraite, un des dix premiers groupes mondiaux en ce domaine. Veuf sans enfant, sa jeune seconde épouse, Annelore, longue liane, archétype de la blondeur scandinave, était une ex-miss Pays-Bas. Et, après quelques années de vacances passées entre Limousin et Périgord, séduits par le village, le climat, la cuisine et la proximité de nombreux compatriotes, le couple avait acquis, pour quelques centaines de milliers d’euros, le manoir de la Barrière, laissé en piteux état par des héritiers peu intéressés par ce gouffre financier.

Affable et loquace, parlant un français châtié avec un soupçon d’accent, l’homme avait intégré au fil des ans les différents cercles sociaux du secteur, le club de golf de Puy d’Arnac, le Lion’s Club d’Ussel, la Société Scientifique Historique et Archéologique de Corrèze, et bien entendu, l’Association des Amis de Collonges, dont il était devenu l’un des principaux mécènes... Son épouse, plus effacée, gardait ses distances et avait des relations plus réduites, se complaisant dans la culture de ses roses, des parties de bridge et l’éducation de ses deux enfants, garçon et fille, de dix et sept ans.

Un couple apparemment sans histoires, donc. Mais toute vie cache des mystères, petits ou grands.

C’est ainsi qu’il y a deux ans, alors que débutait ce que nous appelons ici « la saison calme », celle où les commerçants s’octroient des congés bien mérités, où les artisans commencent à reconstituer leurs stocks et où les simples résidents comme nous se réapproprient leur village, l’eau de la fontaine prit dans la nuit une couleur nouvelle, incongrue, inquiétante : rouge sang !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.

mercredi 3 mai 2017

Bétalecture : L'Affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 1


J'ai en projet un recueil de nouvelles situées dans quelques-uns des "Plus Beaux Villages de France". J'en ai retenu six. Et sont déjà écrites : "Rose de G.", qui se passe à Gerberoy, dans l'Oise, "La Dame de Gargilesse", "Le Fou de Locronan" et celle que je vous propose à présent, "L'Affaire de Collonges-la-Rouge". Viendront plus tard "L'Homme debout de Domme" et une dernière qui se déroulera à Pérouges dans l'Ain.

"L'Affaire de Collonges-la-Rouge" se déroule en douze chapitres. Voici le premier.

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I

Dans un village du Sud corrézien, un homme tournait comme un lion en cage dans son mobile home. Il venait de regarder sur son vieux magnétoscope une cassette qu’il connaissait par cœur, tellement il l’avait visionnée de fois. C’était un film X, acheté par correspondance aux Pays-Bas, bien des années auparavant. Il ne comprenait pas les rares dialogues qui parsemaient l’ouvrage, mais peu lui importait. Il n’avait d’yeux que pour l’héroïne, une jeune starlette pas farouche, qui cédait avec joie à tous les fantasmes d’un producteur qui concentrait les pires clichés du genre. Une blonde paille aux yeux d’un bleu profond, déliée, aux courbes parfaites, à qui il rêvait chaque nuit de faire subir tous les outrages imaginables !

Alors, quelle stupéfaction quand il avait cru reconnaître son égérie dans le village voisin !

Il s’était renseigné : un couple de Hollandais avait retapé un vieux manoir à l’abandon et vivait là une bonne partie de l’année. La femme était une ex-miss de beauté et, en fouinant sur Internet, il avait découvert qu’après son couronnement, lors d’une période de vaches maigres, elle avait tourné quelques films pornographiques sous le pseudonyme de Wanda. Puis, elle avait rencontré cet homme d’affaires fortuné qui lui avait offert le mariage et la respectabilité. Aujourd’hui, elle avait quinze ans de plus, mais le même port de tête, la même poitrine aguicheuse, les mêmes jambes longues et fines, la même cambrure de reins... C’était elle, il en était persuadé ! Il se tenait à carreau depuis son divorce, mais là, ce n’était plus possible. Elle était trop près de lui, il la lui fallait, et vite !

Il commença à passer en revue les plans envisageables.

Absente tout l’été, elle était un peu sortie de son esprit, remplacée par de petites estivantes en short, auxquelles il avait eu beaucoup de mal à résister, mais il l’avait revue ce matin, en allant livrer du bois dans une maison du bourg. Tee-shirt échancré dévoilant une épaule, short multipoches, et tennis blanches, c’était une vraie bombe ! Une explosion avait eu lieu dans sa tête. Il ne pouvait plus attendre. Ce serait pour ce soir.

(à suivre)

©Pierrre-Alain GASSE, mai 2017.

lundi 20 mars 2017

Bétalecture : La Prisonnière de Rikers Island - 25

Nous voilà parvenus au terme de cette pré-publication de la version beta de "La Prisonnière de Rikers Island".

Ce chapitre 25 est le dernier.

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XXV

Je ne sais comment j’ai survécu à toute cette histoire ! Vous savez, j’ai déjà passé un peu plus de deux ans et demi derrière des barreaux pour un crime dont je suis innocente. C’est très très dur à avaler.

J’avais déjà la perte de John à encaisser. Le rapatriement de son corps et son inhumation dans son Australie natale, à l’initiative de sa famille, sans que j’aie pu lui dire adieu, avaient été un déchirement sans nom.

Mais combien je regrettais aussi qu’il ne m’ait pas présentée à sa famille, là-bas, dans la banlieue de Sydney, pendant le court laps de temps qu’il nous a été donné de vivre ensemble ! Nous avions évoqué la possibilité de ce voyage pour le printemps suivant (l’automne là-bas, dans l’hémisphère sud).

Il m’avait déjà parlé de tout un tas de merveilles qu’il voulait me faire découvrir, dans son immense pays : The Twelve Apostles et les baleines de la mer de Tasmanie, Ayers Rock et le désert, Bondi Beach et ses surfeurs, la barrière de corail et ses poissons multicolores, Kakadu et le bush… Il faudra beaucoup de temps pour que j’aie le courage d’aller voir tout cela sans lui, si j’y parviens un jour.

Ce premier deuil, celui d’un amour brisé alors qu’il venait de naître, m’avait épuisée physiquement et moralement. Alors, celui de ma liberté a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Je ne l’ai pas supporté et suis tombée dans une profonde dépression.

Dans mon malheur, j’ai néanmoins eu la chance d’être bien soignée et, grâce à deux médecins, le Dr. Philipps et le Dr. Moore, que je veux ici remercier du fond du cœur, je suis aujourd’hui capable de témoigner de tout cela. Peut-être mon état a-t-il rendu plus « supportable » la première des mes deux années d’enfermement : les psychotropes m’ont isolée d’une partie de la réalité du monde carcéral et en ont gommé les aspérités les plus rudes.

Ensuite, lorsque je suis sortie de ma léthargie et ai repris « du poil de la bête », comme on dit, je crois que ce sont les études que j’ai entreprises qui m’ont aidée à tenir. Oh, ce n’est pas une première, loin de là. Bien des prisonniers, de par le monde, sont passés en détention de l’autre côté de la barrière, de délinquant ou criminel à défenseur.

C’est logique. On est amené à s’intéresser au droit pour comprendre ce qui vous arrive, on cherche à en percer les arcanes pour mieux se défendre, puis un jour on se dit qu’il y a peut-être là une voie de rédemption. En tous cas, je suis fière aujourd’hui de m’apprêter à rejoindre les rangs de la profession d’avocat. Je viens d’obtenir par correspondance mon diplôme de premier cycle en droit.

Dans un an, lorsque je serai rentrée dans mon pays, je pourrai m’inscrire à l’examen, puis faire mes deux ans de stage dans un cabinet. Ensuite, j’aurai la possibilité de m’inscrire au barreau de Jakarta. En effet, là-bas je n’ai commis aucun crime. Et ici, j’entends bien œuvrer pour retrouver mon honneur perdu. J’ai déjà songé à engager un détective privé pour remonter la piste de ce cambrioleur qui sévit depuis plusieurs années sans qu’on réussisse à l’attraper. La police envisage de classer son dossier dans les « cold cases ». Elle a bien d’autres chats à fouetter avec le terrorisme, la drogue et la guerre des gangs ! Mais il faudra bien qu’un jour la chance abandonne ce chien galeux ! Et ce jour-là, je veux être partie prenante.

Tous mes droits et les bénéfices du restaurant risquent d’y passer, car je devrai le payer en dollars et la roupie indonésienne convertie en monnaie de l’Oncle Sam, ne vaut pas grand-chose. Mais Lia et ma mère sont d’accord.

Finalement, Lia et Bagus ont pris goût à la gestion du Sundoro Sunshine. Elle, se débrouille très bien à l’accueil et Bagus est à l’aise dans la gestion de l’affaire qu’il mène de pair avec une petite activité de conseil pour TPE. Ma mère est toujours avec eux, mais ses jambes ne la portent plus ; elle se contente d’une présence discrète, assise dans un fauteuil roulant près de la caisse, paraît-il. Je crois qu’ils ont licencié le cuisinier malais qui en avait pris à son aise, en détournant des marchandises qui lui servaient à alimenter un second restaurant tenu par son épouse ! Chaque matin, depuis que John n’était plus là pour vérifier bons de livraison et factures, une partie des achats partait dans une autre voiture que la nôtre ! Ce manège a quand même duré près d’un an !

Le nouvel embauché rentre d’une expérience de cinq ans à Singapour. Il semble satisfait des conditions qui lui sont accordées au Sundoro Sunshine, plus douces sans aucun doute que là-bas.

Pour ma part, je ne compte pas reprendre la cuisine ; c’est un pan de ma vie dont j’ai tourné la page. Maintenant que les enfants ont pris l’établissement en charge avec succès, je me vois mal leur dire quand je sortirai : « Bon, merci beaucoup, je redeviens la patronne, trouvez-vous d’autres occupations, s’il vous plaît... ».

Et puis, là-bas, tout me rappelle John : ce que lui avait mis en place tout seul, ce que nous avions créé ensemble. Ce serait trop dur d’avoir cela sous les yeux en permanence.

Garin vient me voir quelquefois, en fonction de ses déplacements. Il y a trois mois, il m’a annoncé qu’Ulla l’avait quitté. Après mon arrestation, il a poursuivi seul la tournée de présentation du film. Le scandale a sans doute contribué à la promotion ; en tous cas, la diffusion a bien marché et il a commencé à rapporter de l’argent, m’a-t-il dit, lors de sa dernière visite. J’en suis heureuse pour lui et pour moi aussi, puisque je touche un petit pourcentage. Dans six mois, l’exploitation à la télévision et la vente des DVD et VOD va commencer.

À quelque chose malheur est bon, dit la sagesse des nations. Je veux le croire.

La sonnerie d’extinction des feux vient de retentir. Les lumières passent en mode veilleuse. Une nouvelle nuit commence. Il m’en reste trois cent soixante-quatre, si j’ai bien compté, si je me conduis bien, si je n’écope pas d’une rallonge, si… tellement de si !

Cellule 1066, Section F, Rose M. Singer Center, Rikers Island, New York, décembre 2018.

F I N

©Pierre-Alain GASSE, mars 2017.

lundi 13 mars 2017

Bétalecture : La Prisonnière de Rikers Island - 24


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XXIV

Depuis le 11 septembre 2001 et l’attentat contre les Twin Towers de Manhattan, le contexte sécuritaire avait renforcé un sentiment xénophobe diffus, en particulier parmi les WASP de la population américaine.

Pour eux, si vous étiez d’une couleur de peau, d’une religion, d’une culture différente de la leur, vous étiez déjà suspect, par nature. Si, en plus, vous vous étiez rendu coupable d’un délit ou d’un crime quelconque, alors vous méritiez la peine la plus sévère prévue par la loi.

Les avocats de Ratih ne s’attendaient donc à aucune clémence de la part de cette fraction du jury. Restaient ses autres composantes : Afroaméricains, Latinoaméricains et Asiatiques.Curieusement, les premiers – encore discriminés, en particulier dans les États du Sud – avaient tendance à se comporter comme les Blancs, par un réflexe de repli identitaire. Les deux autres groupes, principalement issus de vagues migratoires plus récentes, étaient réputés plus « ouverts » aux problèmes rencontrés par leurs « frères ».

Étant donné sa composition, les avocats de Ratih nourrissaient encore un petit espoir de voir le jury rejeter la culpabilité de leur cliente. Hélas, en dépit de la légèreté des preuves présentées, il déclara Ratih « coupable » et, conformément à la procédure, le procès fut alors ajourné jusqu’au prononcé ultérieur de la sentence.

La requête en annulation pour insuffisance de preuve, présentée par son avocate fut rejetée et toutes les parties se retrouvèrent donc, une semaine plus tard, pour l’audience fatidique qui allait décider du sort de Ratih pour des années !

Pour le crime dont elle avait été à tort reconnue coupable, elle encourait une peine maximale de vingt ans et là où une citoyenne américaine aurait pu avoir accès à la probation ou même à une libération sur parole(1), sa condition d’étrangère la contraignait à la prison ferme sur place. En effet, il n’existait pas de convention d’extradition entre son pays et les États-Unis !

Mais, finalement, le juge Connolly fit preuve d’une certaine clémence, puisqu’elle ne fut condamnée qu’à cinq ans d’emprisonnement, la peine minimum. Les attendus du jugement prenaient en compte sa condition de primo-délinquante, ses charges familiales, la non-préméditation et l’attitude menaçante de John au moment des faits.

Fallait-il interjeter appel de cette sentence, avec le risque que le second procès accouche d’une peine plus lourde que la première ? Son avocate n’en était pas partisane, estimant qu’elle ne s’en tirait pas si mal et, abattue par la rude nouvelle, Ratih finit par se ranger à son avis.

« D’autant plus, lui dit Lisbeth Jones, que vous devriez pouvoir bénéficier d’une remise de peine lorsque vous passerez de plein droit, à mi-condamnation, devant la Commission des libertés conditionnelles de l’État de New York. Les remises dépendent en général de trois facteurs : la bonne conduite en prison, la participation à des activités pénitentiaires et l’absence de condamnation antérieure. Vous remplissez déjà une condition. Dans votre cas, je pense que nous pouvons espérer une libération au bout de trois ans. »

Pour l’instant, Ratih voyait cet espoir bien mince, réduit à un point minuscule sur un horizon lointain, qu’elle peinait même à se représenter.

Pour l’instant, elle ne voyait autour d’elle que les quatre murs de sa cellule, n’entendait que les multiples bruits agressifs de la détention, ne percevait que le rythme assourdi des jours et les secondes, minutes et heures interminables de ses nuits d’insomnie.

Pour l’instant, toute foi en la vie l’avait abandonnée.

Lia avait prolongé son séjour jusqu’au délibéré, mais, pour des raisons de budget comme de travail, elle ne pouvait s’attarder plus longtemps. La douleur de la séparation d’avec sa fille vint s’ajouter à celle du poids de la condamnation. Garin, lui, était rentré à Jakarta, aussitôt libéré de ses obligations de témoin.

C’est donc dans une solitude sans autre visite que celle de son avocate que Ratih affronta ses premiers jours de condamnée. Des jours sombres, d’abattement et de prostration.

Du matin au soir et du soir au matin, elle ressassait les événements qui l’avaient amenée dans cette cellule 1066 de la section F du Rose Maria Singer Center, sur l’île newyorkaise de Rikers. Jusqu’à ce que sa conscience s’obscurcisse.

Bientôt, elle refusa de manger, de participer aux ateliers, d’aller en cour de promenade ou en salle de sport. Lorsqu’elle ne fit plus sa toilette et voulut cesser de boire, on la transféra à l’hôpital de la prison, on la sangla sur un lit, un traitement anti-dépresseur et une alimentation par perfusion furent mis en place.Pauvre Ratih !

Sur sa table de nuit, les lettres de Lia s’empilaient sans être ouvertes.

Tout un hiver se passa ainsi.

Après l’abrutissement immobile des premiers temps, puis une période transitoire où elle ne se levait que pour prendre de minuscules repas, elle fut transférée dans une petite unité contigüe à l’hôpital, où l’on pouvait surveiller un peu mieux les malades convalescents. Un matin du mois de mars, sans qu’elle sache comment ni pourquoi, elle se réveilla avec dans la bouche le goût des putu(2) de sa mère. C’est à partir de ce jour qu’elle sortit de sa léthargie et retrouva peu à peu l’appétit et le goût de vivre.

Elle avait maigri de dix kilos, n’en pesait plus que quarante et ses cheveux avaient subi une attaque en règle de ciseaux qui l’avaient laissée coiffée à la Jeanne d’Arc. Par chance, elle n’avait pu se regarder dans un miroir depuis bien longtemps.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mars 2017.

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