Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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Tag - Collonges-la-Rouge

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jeudi 15 juin 2017

L'Affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 7


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VII

Les quinze fiches des délinquants sexuels du secteur étalées sur son bureau, Florence Mangin réfléchissait. On en avait logé treize ; trois encore en prison, cinq interdits de séjour dans le département et cinq autres tranquilles depuis la fin de leur peine. Leurs alibis tenaient. Il en restait deux. Absents à leur dernière adresse connue, un avis de recherches avait été lancé et leur photo transmise à toutes les brigades. Il fallait attendre, mais cela lui pesait un peu plus à chaque heure qui passait sans information nouvelle.

Elle examina la première des deux fiches restantes : c’était celle d’un pédophile, ex-instituteur des environs, dénoncé par des élèves devenus adultes. À sa sortie de prison, il avait disparu au volant d’un camping-car, plus de dix-huit mois auparavant. Elle n’y croyait pas trop.

L’autre fiche était celle d’un violeur récidiviste, que la presse avait affublé du qualificatif « du violeur aux volets clos », car il s’introduisait chez ses victimes en été, à l’heure de la sieste, quand on tire les volets, fenêtres ouvertes, pour garder la fraîcheur à l’intérieur des maisons. Mais l’enlèvement n’était pas son mode opératoire habituel. D’ordinaire, il sévissait sur place.

En l’absence de revendication, c’était une des principales difficultés du dossier : ne pas savoir si le ravisseur en voulait à l’argent de la famille, aux enfants, à la femme, ou à tout cela en même temps ! Il était possible qu’elle se trompe complètement de profil et de cible, mais elle avait décidé, dans un premier temps, de suivre son instinct et celui-ci lui disait que tout cela relevait d'une motivation sexuelle ! L’intervention du mari avait peut-être contrarié les plans du ravisseur, qui n’avait pas voulu renoncer à sa proie et s’était résolu à enlever la famille restante de manière improvisée ? C’était un peu improbable, mais le sang-froid n’est pas toujours le propre de ces criminels.

Ce dernier suspect était un ouvrier agricole nommé Edmond Favart, qui travaillait à la tâche chez les producteurs de « vin paillé »1 des deux cantons de Meyssac et Beaulieu-sur-Dordogne. Dernier domicile connu : Branceilles. À même pas dix kilomètres de Collonges ! On ne l’avait pas trouvé là-bas. Pas étonnant. Après sa première incarcération pour viols, dans les années quatre-vingt-dix, sa femme avait demandé le divorce et ne connaissait pas sa nouvelle adresse. On disait qu’il avait acheté un mobile home d’occasion qu’il tirait avec un vieux tracteur jusqu’aux exploitations où il trouvait de l’embauche.

Florence Mangin appela ses hommes au rapport et désigna la fiche épinglée au tableau devant elle :

— Vous concentrez les recherches sur cet homme. Attention, il peut être violent.

Aucun autre véhicule que son tracteur n’était enregistré à son nom, selon la préfecture. Il aurait donc volé une voiture ou une fourgonnette ? On examina les déclarations de vol du mois en cours et du mois précédent, dans le département. Rien. Mais on était en zone limitrophe avec le Lot. On étendit la recherche. Une camionnette d’artisan non siglée avait disparu trois semaines avant, une nuit à Condat, à une dizaine de kilomètres de là !

— Les vendanges vont commencer. Vous faites le tour de toutes les exploitations viticoles des communes concernées, en civil et voiture banalisée pour ne pas éveiller l’attention. Il y en a une vingtaine. Vous vous les répartissez. Dès que vous logez notre homme ou son véhicule, vous me prévenez, avant toute intervention. C’est compris ?

Tous les membres du groupe de recherches opinèrent du chef.

— Bon, au boulot ; communications sur le canal 31. Rompez !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.

jeudi 8 juin 2017

L'Affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 6 - CONTENU SENSIBLE !


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VI
À une vingtaine de kilomètres de là, vers l’ouest, un abri sous roche connu depuis les temps préhistoriques était le théâtre d’un drame poignant. Au milieu de la nuit, un petit utilitaire d’artisan avait remonté la rampe d’accès caillouteuse qui menait au terre-plein et trois personnes en étaient descendues, mains entravées et yeux bandés : une femme et deux enfants, houspillés par un homme trapu au regard illuminé. Au siècle dernier, le fond de la grotte avait été fermé par le propriétaire du lieu à l’aide d’une cloison de bois, pour y entreposer divers matériels. Une porte métallique cadenassée en condamnait l’accès. C’est là qu’il attacha à des anneaux scellés dans le roc, au fond d’espèces de box, cloisonnés de planches, la mère dans l’un, le frère et la sœur dans l’autre.

— Je vous en supplie, ne leur faites pas de mal, je ferai ce que vous voudrez, libérez-les, s’il vous plaît… gémit Annelore, secouée de tremblements incoercibles, dans son français teinté d’accent hollandais.
— Silence, Wanda, je verrai, il est possible que je les libère, cela va dépendre de toi, mais pour l’instant, il vaut mieux qu’ils restent ici.

Les deux enfants, serrés l’un contre l’autre, sanglotaient, tremblants de peur, recroquevillés contre la cloison de bois qui les séparait de leur mère. Leur ravisseur jeta dans chacun des box une couverture mitée.

— Je ne peux pas rester maintenant. Je reviendrai bientôt. Inutile de crier : il n’y a personne à moins d’un kilomètre d’ici. Soyez sages, mes jolis…

Les prisonniers entendirent le cliquetis d’un cadenas à combinaison que l’on enclenche, puis la voiture s’éloigna dans la nuit et l’obscurité se referma sur leurs larmes. Annelore, libérée du fardeau de l’angoisse, éclata en longs sanglots convulsifs, accompagnés par ceux plus plaintifs de ses enfants.

— On est où, maman, finit par demander le garçon ? Pourquoi il t’a appelée Wanda, ce type ?

Annelore, qui n’avait pas relevé ce détail, comprit alors que ce qu’elle avait toujours craint était arrivé : son passé sulfureux l’avait rattrapée !

— Je ne sais pas, un fantasme, sans doute. On doit être dans une cave, ça sent un peu l’humidité.

L’enfant se retint de demander à sa mère ce qu’était un « fantasme ». Ça devait se rapprocher de « fantôme », non ?

— Non, maman, on n’a pas descendu de marches.
— C’est vrai, tu as raison, Joris. Une grange ou une grotte, alors peut-être. Il y en a beaucoup dans la région. Le sol, on dirait de la terre ou du sable. Si je pouvais enlever mon bandeau…
— En frottant ta tête contre la cloison, peut-être, reprit le garçon…

Annelore, une fois de plus, fut surprise par le sens pratique et l’ingéniosité de son fils, qui devait tenir cela de son père. Elle mit aussitôt à l’œuvre ce judicieux conseil, tentant de faire remonter le nœud serré du bandeau vers le haut de sa nuque. Au bout de quelques minutes, elle s’écria :

— Ça y est ! On est dans une espèce de grotte, au fond de boxes en bois, fermés par une cloison de planches à claire-voie et une porte métallique grillagée avec un cadenas à combinaison. Mais ma chaîne est trop courte pour aller jusque-là.
— N’oublie pas de remettre ton bandeau après, maman, pour qu’il ne s’aperçoive de rien. Ça pourrait l’énerver !
— Oui, oui, tu as raison.

Jana, la sœur cadette de Joris, restée silencieuse jusqu’à ce moment, jubila soudain :

— J’ai réussi ! J’ai réussi, en faisant mes mains toutes petites, j’ai réussi à les sortir des anneaux des menottes !
— Super ! dirent Joris et Annelore à l’unisson. C’est logique, tes poignets sont plus petits que les miens, il a dû serrer jusqu’au dernier cran, mais c’est pas vraiment prévu pour les enfants. Moi, ça coince trop, j’ai essayé, mais pas moyen, poursuivit son frère.
— Va jusqu’à la porte, passe tes mains à travers le grillage si tu peux et tente de manœuvrer le cadenas. Tu fais tourner les trois molettes d’un cran à chaque fois, en partant du zéro : 000, 001, 002, ainsi de suite jusqu’au 9. Avec un peu de chance, ça peut le faire.
— Maman, ça va prendre beaucoup trop longtemps, il y a mille combinaisons possibles !
— Comment tu sais ça, toi ?
— On a vu ça en maths, c’est 10 puissance 3. Non, j’ai un meilleur truc, je l’ai vu sur YouTube, mais il faut un peu de force. Essaie de me libérer d’abord, Jana.

La petite s’exécuta, mais les poignets de Joris étaient bien enserrés dans les anneaux de ses menottes, impossible de les dégager sans la clé qui les ouvrait. Il eut soudain une idée. Sa mère avait les cheveux relevés en chignon. Ça pouvait marcher.

— Maman, dit-il, est-ce que tu as des épingles à cheveux sur toi ?
— Oui, plusieurs, pour tenir mon chignon.
— Passe-m’en deux à travers la cloison, si tu peux les prendre, je vais essayer d’ouvrir mes menottes avec.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Annelore courba la tête sur ses genoux, tentant de retirer de ses mains entravées deux des épingles de son chignon. Elle y parvint à son troisième essai et les passa aussitôt à son fils. L’enfant retira d’abord l’embout plastique de la première pince, l’ouvrit et en recourba l’extrémité en l’insérant entre deux interstices du bois de la cloison, de façon à obtenir un crochet de trois ou quatre millimètres de haut. La tige de métal passait juste entre le bord du trou de la clé et l’axe de celle-ci. Il commença à tourner le crochet, dans un sens, puis dans l’autre, tentant d’accrocher le cliquet qui bloquait la menotte. L’épingle avait tendance à tourner dans sa main et il dut s’y reprendre plusieurs fois avant qu’un petit déclic se fasse entendre et libère sa première main. C’était beaucoup plus facile maintenant pour la seconde. En cinq minutes, il fut libéré.

— Ça y est, maman, je me suis détaché, je vais faire les tiennes maintenant. J’arrive !

Hélas, un bruit de moteur s’était fait entendre. Et des pas résonnaient sur les silex de la montée. Trop tard, il n’avait plus le temps.

— Jana, repasse tes mains dans tes menottes et baisse ton bandeau, je vais faire pareil pour qu’il ne s’aperçoive de rien.
— Surtout, les enfants, restez tranquilles, quoi qu’il me fasse, dit Annelore en se tordant les poignets convulsivement.

— Me revoilà. Alors, mes jolis, on a été sages ? Vous devez avoir soif, tenez, je vous ai apporté à boire.

Il tendait à chacun une petite bouteille d’eau qu’il venait d’ouvrir. Malgré leur méfiance, les enfants ne purent résister et s’en saisirent de leurs mains supposément entravées. Ils burent à grandes goulées. Le liquide avait un goût bizarre. Bientôt, ils sentirent qu’ils perdaient contact avec la réalité. Dans une sorte de voile cotonneux, ils entendirent encore qu’une voix doucereuse leur disait :

— Faites de beaux rêves…
— À nous deux, maintenant, ma toute belle, dit le ravisseur en passant dans le box d’Annelore.

Il sortit une petite clé de sa poche et ouvrit ses menottes. Recroquevillée contre la cloison, Annelore tremblait de tous ses membres.

— Déshabille-toi !

La voix était blanche, tranchante, impérieuse. Elle y céda.C’était la fin de l’été. Elle ne portait qu’un tee-shirt échancré, un short à poches multiples et des baskets. Elle baissa son short : un string rouge apparut. Ce fut le signal.

Dans un geste brusque, l’homme se dégrafa, son sexe dressé en avant et se rua sur sa proie sur laquelle sa masse imposante s’affala. D’une main, il arracha le triangle rouge, et s’enfonça sans ménagement dans sa victime, en soufflant bruyamment. Annelore était dans un état second, comme hors de son corps, abandonnée à son ravisseur, seul son esprit résistait encore. Ce fut bref. Ahanant sur elle, une main sur sa bouche pour qu’elle ne crie pas, il se libéra bientôt avec un cri de bête, avant de se redresser et de se ragrafer.

— Toi, t’es trop bonne, il faut que je te garde encore un peu.

Annelore s’était évanouie. Il la rattacha, la rajusta, avant de charger les enfants endormis un par un sur ses épaules pour les déposer dans sa camionnette.

— Ces deux-là, je vais les balancer dans un ravin par là, ni vu ni connu.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.

jeudi 4 mai 2017

L'Affaire de Collonges-la-Rouge - Chapitre 2


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II

On pourrait croire que dans nos villages de province la vie s’écoule plus paisiblement qu’ailleurs. Eh bien, l’on se trompe ! Les passions humaines y sont les mêmes qu’en ville et conduisent à des débordements identiques. Seules les tentations, jadis, y étaient moins nombreuses. Mais, aujourd’hui, à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, sur ce plan, bourgades, cités, métropoles et capitales se valent, pour peu que la 3G, l’ADSL et le haut débit y parviennent.

À la fin du siècle dernier, notre région a été marquée par une ténébreuse affaire, un double meurtre resté inexpliqué, à 20 kilomètres à peine de chez nous, à Cressensac. Un couple anglo-batave avait été retrouvé étranglé dans une forêt éloignée de son domicile, bâillonné, pieds et poings liés. Vingt ans après, la presse en parlait encore. Pourquoi ce double crime a-t-il enflammé les imaginations à ce point ? C’est sans doute que la femme était jeune et belle et son mari encombré d’un passé sombre et mystérieux, fait d’un riche premier mariage, d’émigrations successives et d’escroqueries d’envergure.

Tout ceci pour dire qu’en matière criminelle, il n’est pas bon bec que de Paris, tant s’en faut.

Notre village devait jusqu’ici la seconde partie de son nom à la couleur du grès dont sont bâties nos maisons : rouge. Et voilà que c’est au sang répandu qu’on voudrait l’associer à présent !

Depuis 35 ans, grâce à notre grand homme Charles Ceyrac, nous sommes le premier des « Plus Beaux Villages de France » et le site le plus visité du Limousin. Il faut dire qu’avec sa dizaine de châteaux et manoirs, ses multiples maisons anciennes, ses divers monuments publics et son reste d’enceinte, plus de la moitié du village est classée ou inscrite aux Monuments Historiques. Et que voir le soleil levant ou couchant enflammer nos rues et nos façades est un spectacle qui ne s’oublie pas de sitôt !

À ce riche passé correspond une vieille noblesse, souvent désargentée hélas, qui peine à entretenir son patrimoine et s’est vue contrainte dû l’aliéner au profit d’étrangers fortunés en mal de légitimité historique.

C’est ainsi qu’au cœur du village le manoir de la Barrière avait été vendu, dix ans en arrière, à des Hollandais comme il y en a beaucoup par ici, qui l’avaient restauré de leur mieux et y vivaient dix mois sur douze, fuyant l’arrivée des touristes en juillet et août au profit de villégiatures plus calmes.

Joss Vanderlaeren avait fait fortune dans les logiciels pour collectivités, au point de détenir, avant sa retraite, un des dix premiers groupes mondiaux en ce domaine. Veuf sans enfant, sa jeune seconde épouse, Annelore, longue liane, archétype de la blondeur scandinave, était une ex-miss Pays-Bas. Et, après quelques années de vacances passées entre Limousin et Périgord, séduits par le village, le climat, la cuisine et la proximité de nombreux compatriotes, le couple avait acquis, pour quelques centaines de milliers d’euros, le manoir de la Barrière, laissé en piteux état par des héritiers peu intéressés par ce gouffre financier.

Affable et loquace, parlant un français châtié avec un soupçon d’accent, l’homme avait intégré au fil des ans les différents cercles sociaux du secteur, le club de golf de Puy d’Arnac, le Lion’s Club d’Ussel, la Société Scientifique Historique et Archéologique de Corrèze, et bien entendu, l’Association des Amis de Collonges, dont il était devenu l’un des principaux mécènes... Son épouse, plus effacée, gardait ses distances et avait des relations plus réduites, se complaisant dans la culture de ses roses, des parties de bridge et l’éducation de ses deux enfants, garçon et fille, de dix et sept ans.

Un couple apparemment sans histoires, donc. Mais toute vie cache des mystères, petits ou grands.

C’est ainsi qu’il y a deux ans, alors que débutait ce que nous appelons ici « la saison calme », celle où les commerçants s’octroient des congés bien mérités, où les artisans commencent à reconstituer leurs stocks et où les simples résidents comme nous se réapproprient leur village, l’eau de la fontaine prit dans la nuit une couleur nouvelle, incongrue, inquiétante : rouge sang !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mai 2017.