À nous deux...

— Lieutenant Le Lagadec, le Divisionnaire veut vous voir. Je vous remplace.
— Bien, mon capitaine.

Sim, qui ne m'a pas vue en look amazone depuis un moment, plisse les yeux en sortant pour me faire comprendre qu'il apprécie le paysage.

— Monsieur Popovič, en attendant votre avocat, qui ne devrait plus tarder, si on reprenait depuis le début ? Nom, prénom, date et lieu de naissance, domicile, etc...
— Écoutez, ma jolie, j'ai déjà dit tout ça à votre collègue au moins deux fois, ça commence à...
— Primo, je suis le Capitaine Plassard, point barre, compris ? Deuxio, lui, c'est lui, et moi, c'est moi. J'ai besoin que vous me redonniez ces renseignements pour me faire une idée de qui vous êtes, OK ? Ce n'est pas trop compromettant pour vous, vous pouvez me le dire sans consulter votre avocat, non ? Ou alors, c'est qu'il y a déjà anguille sous roche...
— Popovič Denis, né le 30 janvier 1975 à Plitvice (Croatie), domicilié 4, Square de l'Orléanais à Rennes (35). Conducteur de fonds. Divorcé, sans enfant. Ça vous va, comme ça ?
— Nous verrons. Vous voyagiez avec un passeport serbe. Vous avez la double nationalité ?
— C'est exact. Mes parents sont serbes.
— Pourquoi êtes-vous allé vous livrer à la police à Monaco ?
— À votre avis ?
— Je l'ignore précisément, mais je pense que vous avez peut-être paniqué en voyant votre portrait à la une de tous les média, en France comme à l'étranger. Vous aviez sous-estimé l'impact que votre acte allait avoir. Le costume de "nouveau Robin des Bois" est trop grand pour vous. Et malgré votre barbe naissante, vous étiez encore trop reconnaissable. Où que vous alliez, impossible de relâcher votre vigilance, de baisser la garde, de dormir sur vos deux oreilles. C'est usant à la fin, n'est-ce pas ?
— Peut-être. Et alors ?
— Et alors vous aviez le choix entre la fuite en avant, quitte à commettre une grosse connerie ou vous rendre et payer votre dette à la société. Vous avez opté pour la seconde solution.
— Si vous le dites...
— Et comme dernier pied de nez à la police, vous vous êtes rendu à Monaco, sachant qu'on ne pourrait vous arrêter et que c'est donc en citoyen libre que de vous-même vous accepteriez de mettre fin à votre aventure.
— Je n'y aurais pas pensé, mais l'idée est plaisante.
— Mais avant de vous rendre, vous avez caché quelque part le million manquant. Vous pensez sans doute pouvoir le récupérer à l'issue des trois ans dont vous allez certainement écoper (dix-huit mois à deux ans avec les remises de peine), mais détrompez-vous, Popovič, je serai là à votre sortie et je ne vous quitterai pas d'une semelle. Vous ne pourrez jamais profiter de cet argent.
— Je suis parti avec les cinquante mille euros que j'ai retirés de mes comptes. J'aurais été fou de toucher à cet argent tout de suite. 
— C'était fou surtout de le laisser entreposé dans ce box à la merci de la première perquisition venue. Amateurisme total. Il ne nous a pas fallu cinq jours pour mettre la main dessus.
— Alors, débrouillez-vous pour retrouver le reste. Je ne vous dirai plus rien.
— Vous êtes trop susceptible, Popovič, et sentimental aussi. Vous voulez que je vous dise ce qui vous a déstabilisé et amené à vous rendre : la nouvelle que vous aviez une grande fille que l'on a menacée. La presse people l'a retrouvée. Ça a dû vous faire un choc, hein ?

Denis Popovič a blêmi sous l'outrage. Sa mâchoire se crispe un instant. Mais il se maîtrise et se contente de baisser les yeux sur la photo de Zara.

— Ce n'est pas ma fille, je ne l'ai pas reconnue !
— Bien. Revenons à nos moutons. Denis Popovič, vous êtes inculpé du délit de vol simple, sans effraction ni violence. Je vais vous déférer au Parquet. Ensuite, vous serez incarcéré en préventive jusqu'à votre procès en correctionnelle, dans quelques mois. Vous risquez trois ans de privation de liberté, 45000 € d'amende et une interdiction d'exercer pouvant aller jusqu'à 5 ans.
— Vous ne retrouverez jamais ce fric. J'ai bien compris qu'il me gâcherait la vie jusqu'à la fin de mes jours. Alors, je l'ai semé au vent, billet par billet, de ma moto, entre la Suisse et l'Italie, histoire de faire quelques heureux quand même.
— Je ne vous crois pas, Popovič, mais on va vérifier, bien entendu. On a le temps, d'ici que vous ne sortiez, n'est-ce pas ?
— Bon courage, capitaine Plassard.

Je sors de la salle. Ce type m'énerve. Trop bleus, ses yeux. Il nous mène en bateau. Mais on va bien être obligés de ratisser tous les itinéraires possibles entre la bergerie et Monaco pour savoir s'il a dit vrai. Putain de sa m...!

Il y a des jours où je regretterais presque d'être entrée dans la Police !

Dans le couloir de retapissage, Sim se marre :

— Alors, t'as fait chou blanc ? Il aime pas les brunes ou quoi ? On reprend les bonnes vieilles méthodes ? Marinade, interrogatoire musclé et chantage à la remise de peine ?
— Laisse tomber. On l'envoie au proc.
— Eh ben, ça alors !

Je ne peux pas lui dire que je le trouve mignon.

En plus, si ça se trouve, dans trois ans, ce sera un homme riche !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, février 2011.