Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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lundi 6 avril 2009

Bénédicte et les Adorateurs de Priape - Chapitre 4


masques
IV

Au Fort du Large, pendant que les cinq chauffeurs se désaltéraient au bar, dans le salon de la suite la plus chère, cinq hommes étaient réunis, autour d'une table basse en verre et métal, au design italien.

Un seul occupait le canapé rouge ; quatre étaient assis dans de confortables fauteuils en cuir blanc. Une carafe de whisky, des verres en cristal et un seau à glace étaient disposés sur la table. Tous arboraient des masques de la commedia del arte. Telle était la règle numéro un. Aucun membre ne devait connaître le visage d'un autre. Les communications se faisaient à l'aide de prénoms d'emprunt attribués à l'entrée dans la société, un peu à la manière des ordres monastiques. Sauf avec le Grand Maître que l'on appelait par son titre.

Celui-ci prit la parole : sa voix était étonnamment grave et suave. Avec des intonations méditerranéennes, aurait-on dit :

— Messieurs, ce soir aura lieu notre première cérémonie sur le sol français. Le lieu que nous a découvert Albert est un peu moins isolé que nous ne l'aurions souhaité, mais sa symbolique est tellement en accord avec nos buts et objectifs que je n'ai pu résister. Il nous faudra seulement être encore plus prudents que par le passé, si nous ne voulons pas être obligés d'émigrer à nouveau. Rendez-vous à la Vigie à vingt et une heures. Interdiction de communiquer avec les impétrantes d'ici-là. Des questions ?
— Que savent-elles de nous ?
— Pour elles, nous sommes cinq clients, rien de plus.
— Comment être sûrs qu'elles ne parleront pas ?
— Leurs boissons ne leur laisseront que des souvenirs imprécis de la soirée.
— Et pour l'extérieur ?
— Aucun risque de ce côté-là. Nous allons nous réunir dans la salle de commandement souterraine d'une batterie allemande de la dernière guerre : murs de béton armé de plusieurs mètres d'épaisseur et portes blindées en parfait état de marche. Ah, une dernière chose : ce soir, le mot de passe sera : "levantemur". Messieurs, portons un toast à cette première sur le sol français.

Cinq verres s'entrechoquèrent et des cinq masques sortirent les deux mêmes mots : À Priape !

(à suivre)

samedi 28 mars 2009

Bénédicte et les Adorateurs de Priape - Chapitre 3


masques

III

Elle appela sans plus attendre l'hôtel dont le numéro figurait en bonne place dans la brochure publicitaire mise à sa disposition :

— Bonjour, le Fort du Large, hôtel-restaurant quatre étoiles, Florine à votre service, que puis-je pour vous ?

— Bonjour, je souhaiterais réserver une chambre chez vous pour demain soir. Est-ce possible ?

Cette phrase à peine prononcée, Bénédicte pensa que ce mois-ci, son budget serait un peu à l'étroit. Dans un établissement de ce genre, la nuit c'était 250 € minimum. Et c'est presque avec soulagement qu'elle entendit :

— Je suis désolée, mais l'hôtel est complet.

— Et dimanche ?

— Nous sommes complets pour le week-end entier.

— Et une table au restaurant pour ce soir ou demain ?

— Vous n'avez pas de chance, l'établissement accueille un groupe qui a également réservé le restaurant.

Bénédicte décida de tendre une perche :

— Ah oui, je vois, une partie de ce groupe loge à la Vigie, n'est-ce pas ?

— En effet, nous ne pouvions accueillir tout le monde. Nous n'avons que dix chambres et il en fallait quinze.

Bénédicte calcula : cinq chauffeurs et cinq jeunes femmes. Plus cinq autres personnes.Dix hommes et cinq femmes. Logés séparément et individuellement. De plus en plus bizarre. Elle reprit :

— Cinq berlines noires à suivre, cela ne passe inaperçu. Je crois les avoir vu s'arrêter à la Vigie, comme j'arrivais.

— C'est possible, oui.

Bénédicte comprit que sa curiosité commençait à lasser. Elle coupa court :

— Bon, tant pis, je regrette. À une autre fois, peut-être.
— À votre service, madame.

Le ton avait changé. Bénédicte eut conscience d'en avoir un peu trop fait.

samedi 21 mars 2009

Bénédicte et les Adorateurs de Priape - Chapitre 2



masques

II

Ce fut tout d'abord, le jour même de son arrivée, un vendredi soir de novembre, un convoi de cinq berlines cossues aux vitres fumées. Cinq jeunes femmes, court vêtues sous de longs manteaux, en descendirent. Puis, tous les véhicules s'éloignèrent en direction du Sud. Cinq voitures de grande remise, pensa-t-elle d'abord, d'après leurs plaques parisiennes, leur entretien impeccable et ce qu'elle crut être la casquette à visière du chauffeur.

Cinq automobiles de location, immatriculées 75. Étrange. On ne regardait pas à la dépense ! Ces gens ne se connaissaient-ils donc pas qu'ils aient cru bon de voyager séparément depuis la même zone de départ ?

Déjà, l'imagination débridée de Bénédicte, s'appuyant sur les maigres indices entrevus, échafaudait une hypothèse. Jumelles en main, elle examina l'horizon qu'elle découvrait depuis son logis. Elle apercevait l'entrée de l'hôtel de luxe tout proche. Les cinq berlines en franchirent le portail mais, chose curieuse, aucune n'en ressortit. Ces chauffeurs étaient-ils donc logés comme leurs passagers ? Question : si des hôtes de marque étaient hébergés au Fort, petit personnel compris, qui étaient les visiteuses de la Vigie ? Des subalternes, logées à moindre prix ? Leurs bagages, siglés de LV reconnus dans le monde entier, semblaient démentir cette hypothèse. 

Un détour sur le site Internet de l'hôtel lui révéla qu'il ne disposait que de dix chambres ou suites. Sans doute pas assez pour héberger tous ces hôtes. On pouvait donc supposer que l'établissement entier avait été réservé par le petit groupe. Et que les membres restants avaient été logés au plus près ? Mais combien étaient-ils en tout : cinq femmes logées à la Vigie, cinq chauffeurs, et combien d'autres personnes ? Hommes ou femmes ? D'instinct, son cerveau répondit : "Au moins cinq hommes". C'eût été logique, s'il s'était agi de cinq couples, mais le fait qu'hommes et femmes fussent logés séparément invalidait cette supposition. De plus en plus étrange.

Pourquoi cette solution inégale alors que d'autres structures hôtelières de qualité et de capacité supérieure existaient à moins de deux kilomètres de là ? Mais peut-être faisaient-elles relâche en cette morte saison ? Elle vérifia facilement que c'était le cas pour l'une d'entre elles, mais l'autre était bien ouverte.

Cela faisait déjà beaucoup de mystères. Depuis le début de son observation, une petite voix intérieure tentait vainement de persuader Bénédicte qu'elle n'était pas là pour les résoudre. Sa curiosité naturelle, son entêtement breton et son flair de flic, tout l'incitait au contraire à y fourrer son nez.

Ce qu'elle fit, vous vous en doutez bien, avec l'excitation du limier sur la trace d'un gibier inespéré.

vendredi 6 mars 2009

Work in progress

En avant-première, je vous livre le début de la nouvelle aventure-enquête de Bénédicte Plassard, au contenu pour adultes, dont le titre provisoire est :

Bénédicte et les Adorateurs de Priape


masques

I

Sur la Côte Sauvage, parmi les quelques dizaines de villas du siècle dernier établies au plus près du rivage comme autant de guetteurs immobiles, il en est une reconnaissable entre toutes.

Perchée sur une des rares éminences de la presqu'île, au milieu d'un groupe de blockhaus enterrés là par les envahisseurs de la dernière guerre, elle domine les alentours de sa façade austère surmontée d'un clocheton, accolée à une tour carrée bizarrement coiffée d'une calotte.

D'un béton gris uniforme, toitures comprises, seuls des volets blancs éclairent cette masse surmontant les rochers de granit posés sur la lande.

Le lieu est connu sous le nom de La Vigie. Habités depuis le néolithique, ces parages furent choisis en 1744 pour y édifier un corps de garde.

Puis, on en fit un sémaphore, avant qu'il ne soit vendu en 1883. Dans les années trente, un architecte le transforma en villa que les occupants des blockhaus rasèrent en 39-40 pour y installer un radar.

Après guerre, son propriétaire lui redonna l'aspect antérieur qu'il conserve aujourd'hui.

Ayant emprunté, au hasard, la route de la Côte Sauvage, à son arrivée dans la presqu'île, Bénédicte, au volant de son cabriolet New Beetle jaune tournesol, vit là, fichée sur la pelouse, une pancarte qui disait : "À louer. Week-end ou semaine". Suivait un numéro de téléphone.

L'étrangeté du lieu lui parut propice au séjour impromptu d'une petite semaine qu'elle envisageait. Un peu trop grand pour elle seule, à vue de nez, mais quand on aime...

Et puis, on ne sait jamais... Elle dérégla le rétroviseur intérieur : le miroir lui renvoya l'image plaisante d'une très jolie brune qui la rassura. Yeux en amande, bouche pulpeuse, frange coquine et queue de cheval. Son célibat ne saurait durer.

Renseignements pris, le numéro de téléphone était celui d'une agence de location. 

Manque de chance, la demeure était déjà réservée, bien que les locataires ne se fussent point encore manifestés.

Elle en conçut un certain dépit. Encore renforcé par le fait qu'on lui offrît un T2 à bon prix dans une maison à cent mètres à peine de là, d'où elle pouvait observer à loisir le flanc nord de la bâtisse, le portail d'entrée dans le muret d'enceinte et le petit pavillon qui avait dû jadis abriter le gardien.

Ce week-end-là, autour de la Vigie, un ballet inhabituel de véhicules aurait dû être remarqué par tout observateur attentif.

Il faut croire que Bénédicte Plassard, Officier de Police Judiciaire mis en congé d'office par son supérieur hiérarchique à la suite d'une enquête mal ficelée*, fut la seule à avoir quelque raison de s'y intéresser d'un peu près. Et elle alla bientôt de surprise en surprise.

à suivre...

©Pierre-Alain GASSE, 2009.

  • Quand Mam Goz s'en mêle, 2008.

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