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XII

Après avoir transmis au Commissaire ces nouveaux éléments d'information, Bénédicte, rentrée chez elle, se connecta à nouveau à l'Internet et entreprit une recherche des escort girls qui travaillaient en solo sur Paris. Si les cinq filles avaient appartenu à un réseau, elles seraient arrivées ensemble dans une ou deux voitures, pensait-elle, mais pas dans cinq différentes. Elle pariait donc sur des indépendantes. Impossible, hélas, d'isoler les filles de région parisienne par leur numéro de téléphone. Tous les numéros fournis renvoyaient sur des portables ! Par chance, la décédée de Pors-Pin était brune. Bénédicte entra dans son moteur de recherche : "escort girl brune paris". Il y avait encore plus de cinq cents réponses ! 

Travail fastidieux. Surtout pour elle. Bénédicte constata avec consternation et un peu d'envie que ces filles empochaient en une nuit ce qu'elle gagnait en un mois. Pas étonnant dans ces conditions que, sans atteindre le niveau que l'activité connaissait dans les pays de l'Est en général et dans l'ex-Yougoslavie en particulier, son développement en France ait été exponentiel ces dernières années. Surtout par temps de chômage aggravé.

Bien entendu, chaque page d'accueil était accompagnée au minimum de photos de charme de l'hôtesse, Mais le visage n'était pas toujours la partie de son anatomie la mieux mise en valeur. Parfois même, le regard était flouté. 

Consciente du poids des fantasmes dans cette activité, elle consulta en priorité les sites dont le prénom de la propriétaire terminait par A. Natacha, Laura, Eva, Mara, Olga... Il n'y avait que l'embarras du choix. Et des prix. Beaucoup de prénoms supposés être de l'Est. Mais la photo de la décédée de Pors-Pin ne correspondait à aucune de celles qu'elle vit s'afficher sur son écran.

Alors, elle fit la sélection inverse. Tous les sites dont le prénom de la propriétaire ne terminait pas en A. Il en restait davantage qu'elle ne s'y attendait. Elle reprit son butinage, en se félicitant de ne pas avoir confié ce travail au fringant jeune inspecteur qu'elle avait vu tout à l'heure. Il n'aurait pu résister à tant de tentations ! 

C'est un prénom français des plus banals qui lui délivra une correspondance satisfaisante, au niveau du visage : Sylvie. Brune. Yeux verts.

Au vu d'une commission rogatoire, le fournisseur d'accès de ce site devrait délivrer aux enquêteurs l'identité réelle du propriétaire de la machine correspondant à l'IP enregistrée... si elle n'était pas fictive. Mais cela pouvait quand même prendre plusieurs jours.

Bénédicte était pressée. Elle décida de ruser. Les hypothèses étaient trop nombreuses pour être vérifiées (portable volé, détruit, éteint, déchargé...). Il fallait faire confiance à la chance : alors, un mouchoir sur la bouche, prenant une voix basse d'homme, elle appela le portable dont le numéro était affiché. Une sonnerie, deux sonneries, trois sonneries... une voix féminine à l'accent slave :

— Allô, oui, bonsoir, Natacha, à votre service. Que puis-je pour vous ?

Bénédicte eut un temps d'hésitation ; une des collègues de la morte avait dû récupérer son portable et donc sa clientèle. Bisness is bisness. Il fallait la jouer fine pour obtenir un rendez-vous sans se démasquer. Elle se racla la gorge et se lança dans l'improvisation :

— Bonsoir, je serai de passage à Paris, demain pour un salon à l'Espace Champerret et j'aurais aimé que vous m'accompagniez au dîner qui sera donné à son issue et me teniez compagnie jusqu'au lendemain matin. Êtes-vous libre ?
— Tout à fait. Vous connaissez mes tarifs ?
— J'ai visité votre site Internet ; il n'y a pas de changement ?
— Non.
— Alors, c'est d'accord. Rendez-vous à l'hôtel Waldorf Arc de Triomphe, à vingt heures, dans le hall. Je vous reconnaîtrai.
— Très bien. Je vous remercie. À demain, alors.

Ouf ! Elle prit une profonde inspiration. Elle avait donné les premiers noms qui lui étaient venus à l'esprit. Elle savait qu'il y avait au moins quatre hôtels Waldorf à Paris et pensait que celui de l'Arc de Triomphe n'était pas bien loin de la Porte Champerret. Un quatre étoiles, cela donnait tout de suite de la crédibilité !