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Ce texte, s'il est émouvant à tirer des larmes de certains de ses lecteurs, l'est davantage encore pour moi, car il n'est rien d'autre qu'une transposition des trois dernières semaines de vie de ma mère, décédée le 21 mai 2001. Il commence avec son arrivée aux urgences et finit avec son dernier soupir.

Sa construction alterne la linéarité de ses pensées sur ce présent douloureux, avec les retours sur ses souvenirs d'un passé qui balance entre bonheurs, drames et difficultés, dans un récit teinté d'humour et d'auto-dérision.

Si noms et prénoms ont été changés, tout ce qui est dit est vrai.

C'est le récit, sans pathos ni fioritures, d'une vie de labeur d'une paysanne normande à la santé fragile, élevée à la dure et malmenée par la vie.

Une femme, privée de ses espoirs d'études secondaires pour rester fille de ferme, qui s'échappera par le mariage du bocage du Pays d'Auge pour devenir épouse d'artisan, puis commerçante. Devenue veuve à quarante-deux ans avec quatre garçons à élever, elle terminera sa carrière comme gardienne d'enfants, comme on disait encore alors.

Écrit quasiment d'une traite, finalisé presque sans retouches quelques mois après son décès, et bien que ce soient pas mes émotions - ou si peu - qui y sont transcrites, ce texte a joué un rôle cathartique évident. Dire qu'en y mettant le point final, je tournais la page de ce deuil éprouvant, serait exagéré - la blessure restait ouverte - mais il m'a grandement aidé à le surmonter.

Le titre m'a été suggéré par cette expression populaire d'"envoyer ad patres", qui signifie que l'on s'en va rejoindre les mânes de ses ancêtres. Il prétendait annoncer à la fois la fin et le détachement de la protagoniste. C'est pourquoi, j'ai souhaité lui adjoindre un sous-titre d'un autre registre, tout en sentiments retenus, qui était l'essence même de ma mère et reste sans doute la mienne.

Plus de dix ans après, dans une récente lettre pleine d'émotion, une de ses petites filles, qu'elle a élevée et qui a vécu auprès d'elle ses dernières années, me fait savoir combien j'ai réussi selon elle à me glisser dans les pensées de sa grand-mère, au point qu'en me lisant, elle croyait l'entendre !

C'est bien immodeste de le dire ici, mais tel était le but recherché. Dans le mot d'introduction de "Nouvelles, nouvelles..." n'écrivais-je pas, en 1998 : "Vous aimez les raconteurs d'histoires qui savent planter un décor et camper des personnages, les univers différents qui vous transportent hors de votre quotidien, les tranches de vie qui ont le goût souvent amer du réel. Vous attendez que d'une lecture naisse une émotion, un dépaysement, ou un écho à votre vécu... alors peut-être aimerez-vous les nouvelles qui suivent..."

Telle reste ma ligne de conduite. Mais en l'espèce, je n'y ai pas eu grand mérite. Les mots me sont venus directement du cœur. Et j'ai la faiblesse de penser qu'à travers chacune des lectures dont ce textes est l'objet, c'est un peu de ma mère qui survit, ailleurs qu'en moi.