masques
VIII

Chacune des pensionnaires de la Vigie avait trouvé sur sa table de nuit une enveloppe qui contenait les instructions suivantes :

"Mademoiselle,

Vous trouverez dans la commode et la penderie de votre chambre de la lingerie à votre taille pour ce soir, ainsi que des chaussures à talons et une cape de velours noir. Habillez-vous, maquillez-vous et parfumez-vous, mais ne portez aucun bijou, hormis celui que vous trouverez dans l'écrin joint à ce message. Soyez prête à 20 h 45. On viendra vous chercher."

Dans chacune des chambres, séance tenante, l'occupante, s'empressa d'ouvrir le coffret. À l'intérieur, reposait un bijou étrange, en argent poinçonné de huit centimètres de long environ sur quatre de large à sa base. Cela représentait, comment dire, deux "p" accolés, mais la tête en bas, et dos à dos, si l'on peut dire. Au sommet, un petit trou laissait passer une fine lanière de cuir. C'était donc un collier. D'assez faible valeur, somme toute. Habituées à de plus somptueux cadeaux, les demoiselles de la Vigie firent la grimace.

À l'heure dite, les cinq chauffeurs frappèrent à la porte des chambres des demoiselles de la Vigie. En se retrouvant avec leurs mentors dans le salon, les cinq jeunes femmes échangèrent un regard un peu inquiet. Cette solennité était inhabituelle. On les fit asseoir dans les canapés, leurs gardiens derrière elles, comme attendant un signal.

Au dernier coup de neuf heures, apporté par le clocher voisin, le plus avenant des chauffeurs, un napolitain à l'accent typique, les fit se lever et tout le groupe entreprit de descendre vers la chambre souterraine.

Après deux volées de marches de béton peint, elles empruntèrent un large couloir voûté au bout duquel se trouvait une lourde porte blindée à cabestan.

Manœuvrée sans effort apparent, celle-ci tourna bientôt sur ses gonds pour les laisser pénétrer dans une vaste salle circulaire, assez basse de plafond et théâtralement éclairée.Les cinq jeunes femmes avaient revêtu des guêpières de dentelle allant du jaune au noir en passant par le rouge, le vert amande et le fuchsia. Dans la marche, leurs capes de velours ouvertes flottaient légèrement derrière elles, dévoilant des corps sculpturaux. Elles s'avançaient sur des talons aiguilles, avec au creux des seins le bijou trouvé dans leur chambre.

Dans la salle de cérémonie, peu de mobilier. Au centre, une sorte de catafalque, recouvert de velours cramoisi. Derrière, cinq personnages masqués en chasuble de soie, constellée de motifs identiques à celui du bijou, brodés au fil d'or. Le regard des filles, d'abord attiré par les masques grimaçants de cuir fauve, se focalisa bientôt sur les chasubles : par un orifice pratiqué au niveau de l'entrejambe, elles laissaient voir cinq sexes bandés à tout rompre, au gland déjà luisant et tous d'une taille bien supérieure à la moyenne.

Nous y voilà, songèrent les cinq demoiselles de la Vigie et leurs entrailles se contractèrent. Une soirée avec mise en scène. Elles étaient payées pour savoir que les fantasmes de l'espèce humaine n'ont d'autre limite que la religion et la mort. Un frisson les parcourut.

Le masque du centre, arborait un long nez qui pointait bas, à l'inverse de son autre appendice. Croisant les bras sur sa poitrine, il parla, tête levée vers le plafond :

« Ô Priape, toi qui nous a choisis, entends les prières de tes Adorateurs. Nous, en qui tu t'es réincarné, sommes réunis ici ce soir pour te rendre le culte qui t'es dû. Vois notre état de grâce et permets-nous d'entrer en "communion" et de purifier nos sœurs par ton Saint-Sperme ».À son signal, les masques de Scapin, Polichinelle, Pantaleone et Arlequin s'avancèrent vers les nouvelles venues et les firent agenouiller devant eux.

Mara, la praguoise, échangea un regard avec ses collègues :

— Fini de rire, les filles, au tra...

Elle ne put en dire davantage. La main impérieuse de Pantaleone avait saisi sa nuque et un membre raidi s'était emparé de sa bouche.

Elle commença son office.

Ses consœurs n'eurent d'autre choix que de l'imiter.