masques
VII

Lorsque les rougeoiements du couchant eurent fini d'incendier l'océan, Bénédicte quitta son logis, Maglite et magnéto dans les poches de son coupe-vent couleur muraille, coiffée d'une casquette à visière assortie.

En moins de cinq minutes, elle se trouva devant la propriété mystérieuse, longea le muret d'enceinte jusqu'à son angle nord-ouest. Là, une clôture prenait le relais pour délimiter une prairie envahie de refus de pâture et de chardons épars qu'elle distinguait avec peine à présent. Elle écarta deux rangs de fil barbelé pour passer de l'autre côté. Un crissement se fit entendre : la capuche de son vêtement avait accroché une dent métallique. Elle étouffa un juron : un accroc dans un vêtement tout neuf !

À cent mètres de là environ, se dressait une masse sombre que Bénédicte identifia rapidement comme étant un blockhaus de la dernière guerre. Elle en avait aperçu deux autres, pas loin, en arrivant cette après-midi. Mais celui-ci présentait une particularité qui retint aussitôt son attention : il était construit en limite de la propriété qui l'intriguait tant. Une autre clôture, de plaques de ciment celle-là, se poursuivait de part et d'autre, pour fermer le trapèze de la Vigie.

La nuit était tombée. Le clocher distant venait de sonner neuf coups que les vents avaient porté jusqu'à elle. Longeant le béton brut de décoffrage, couvert de tags qui défilaient sous le pinceau de sa torche, elle explora toute la longueur du bâtiment : pas une ouverture, pas un orifice, comme c'était à prévoir. Soudain, ses pieds trébuchèrent sur un obstacle : un piquet de clôture en bois, abandonné là.

Bénédicte eut alors une idée : fichant la pointe du piquet en terre à un mètre environ des plaques de ciment, elle le coucha ensuite pour l'amener contre la clôture, puis s'en servit comme d'un escabeau pour se hisser en haut de celle-ci et de là, par un prompt rétablissement, sur le toit du blockhaus. Allongée sur le béton froid et humide de la défense, elle en balaya la surface du crayon lumineux de sa lampe de poche : un champignon métallique d'une trentaine de centimètres de diamètres se dressait au centre. À croupetons, elle se déplaça jusque-là.

Ce devait être un conduit d'aération. D'ordinaire, ils aboutissaient loin des superstructures pour éviter un gazage trop facile, mais il y avait des exceptions, la preuve !

Elle allait entreprendre de redescendre, côté intérieur de la propriété, lorsque des bruits de voix lui parvinrent, en provenance du conduit : une voix d'homme, grave et douce, mais au ton ferme et décidé.

Pour mieux distinguer les propos tenus, qui lui parvenaient à la fois étouffés et déformés par la résonance métallique des tubes, elle s'allongea à nouveau et se fit toute ouïe. Se félicitant de sa prévoyance, elle sortit son Nagra de sa poche ventrale et l'enclencha.
 

Ce qu'elle grava ce soir-là ne devait plus quitter sa mémoire avant longtemps.

(à suivre)