masques

VI

Lassée d'observer en vain l'entrée du Fort du Large, Bénédicte avait successivement braqué ses jumelles-appareil photo numérique sur toutes les ouvertures du bâtiment. Rien. Partout, les rideaux étaient tirés. Cela faisait un moment qu'elle passait ainsi d'une chambre à l'autre, avec l'espoir d'observer un quelconque changement d'état. Elle s'apprêtait à renoncer pour sortir en reconnaissance lorsque, du dernier étage, de ce qui devait être la suite la plus vaste, elle vit l'espace d'un instant, en ombres chinoises derrière les voilages de la pièce, ... comme cinq visages masqués. Elle eut le réflexe d'appuyer sur le déclencheur.

Des masques de carnaval en novembre ! De surprise, elle en lâcha l'appareil. Par chance, elle avait passé la courroie autour de son cou. Mais, lorsqu'elle reprit son observation, plus rien. L'obscurité avait gagné la pièce.

Elle appuya sur la touche "instant replay" : cinq silhouettes masculines pourvues de masques qui ne recouvraient que la partie haute du visage se détachèrent sur l'encadrement d'une baie vitrée. C'était quoi, ce truc ? Pas des vrais déguisements de carnaval, en tout cas. Elle fouilla ses souvenirs scolaires, ça lui disait quelque chose, mais quoi ? Et puis, tout d'un coup, cela lui revint : des masques en cuir de la commedia del arte, comme elle en avait vu au collège dans une représentation des Fourberies de Scapin.

Elle alluma son ordinateur portable, brancha sa clé 3G et se connecta à l'internet. Commedia del arte. Une liste de sites apparut et bientôt elle eut à l'écran une série des photos des masques les plus courants. En les comparant à ceux présents sur le cliché pris avec ses jumelles, elle put facilement identifier les cinq : un Arlequin, bien entendu, un Polichinelle, un Scapin, un Pantaleone et ce qu'elle crut être un Dottore.

Les éléments épars réunis depuis son arrivée s'organisaient dans son cerveau presque malgré elle : luxe, jolies filles, hommes masqués, cela sentait le libertinage, pour ne pas dire la débauche. Ceci dit, pour l'instant, les frontières de la loi ne semblaient pas franchies, encore que... Mais, il y avait un élément discordant et c'était La Vigie : que venait faire cet ancien sémaphore dans cet ensemble ? Elle avait beau retourner la chose en tous sens, elle ne comprenait pas.

Et lorsque Bénédicte Plassard ne comprenait pas quelque chose, cela ne quittait plus son esprit jusqu'à résolution de l'énigme. C'était son principal atout d'enquêtrice. 

Pour en avoir le cœur net, elle décida d'aller explorer la propriété le soir même.

(à suivre)