Au moment où les enseignants de tous niveaux font connaissance avec leurs nouveaux élèves, j'en profite pour remettre à l'honneur deux nouvelles sur ce monde que j'ai bien connu.

Revoici donc, tout d'abord "La Leçon", puis "La Prof".

Bonne lecture !

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La Leçon

''À tous les pédagogues de terrain, qui font fi des modes et des oukases dans leur tâche d'éveil des consciences.''

— Bien, les enfants, dites-moi ce que vous remarquez en premier. — Hé, M'dame, il est chelou grave son look au mec. — Kevin, tu sais très bien que je ne veux pas que tu t'exprimes en cours comme en récréation. Recommence, je t'écoute. — J'veux dire qu'il est pas habillé comme nous, quoi ! — Il te fait penser à quoi, son habit, Kevin ? — Euh... j'peux pas le dire, M'dame, vous allez répéter que j'parle mal et me traiter... — Premièrement, je ne "traite" personne, comme tu dis, et deuxièmement, s'il te manque un mot pour exprimer ta pensée, demande-le-moi, je te le donnerai. — Oui, d'accord, comment-est-ce qu'on dit "tarlouze" en bon parler ?

La classe éclate de rire. On se pousse du coude. Claire Chalumeau se retient, elle aussi. Il lui faut répondre. C'est la règle qu'elle a mise en place.

— On peut dire efféminé ou homosexuel, par exemple. Mais qu'est-ce qui te fait penser cela ? — Euh... son col et les trucs au bout de ses manches, là. — C'est parce qu'il s'agit d'un vêtement de travail, et pas de sa tenue normale. Qui a une idée ?

Après un petit temps de réflexion, plusieurs mains se lèvent. Surtout des filles.

— Fatoumata, oui. Tu penses à quoi ? — On dirait une tenue de danse, un peu. — Tu brûles, Fatoumata. Qui a une autre idée. Oui, Alishama ? — C'est comme les acrobates au cirque, des fois. — C'est très bien, toutes les deux. Effectivement, c'est un justaucorps d'acrobate, de funambule que porte ce jeune garçon. Bon, et l'autre personnage, qui est-ce ? Oui, Alexandre : — C'est sa mère, Madame, elle est triste. — Et pourquoi est-elle triste comme cela, à votre avis ?

Une forêt de bras s'élève avec ensemble. Claire Chalumeau y remarque une main timide, à peine soulevée du pupitre :

— OUI, Rachel ? — Je crois qu'il se sont disputés.

D'autres mains s'agitent encore, demandant à intervenir. Il est temps de faire un peu de police.

— Bon, chacun va donner son avis. Rachel a peut-être raison, mais alors, pour quel motif se seraient-ils disputés ? Allez, Antoine, commence : — Le garçon ne veut pas manger ce qu'il y a dans son assiette, il aime pas ça !

Comme toujours, Kevin, renchérit sans avoir demandé la parole :

— Ouais, il est venère, il veut plus voir sa reum, il regarde de l'autre côté. — Kevin !— Faites excuse, M'dame, c'est sorti tout seul.

La classe s'ébroue. Il convient de reprendre la main :

— Kevin a raison. Mais regardez bien le jeune garçon. Dans ce tableau, je dirais que plusieurs éléments différents peuvent traduire son état d'esprit, son obstination. Les voyez-vous ?

Les bras se baissent, on chuchote d'une table à l'autre quelques instants, puis une petite blondinette toute bouclée se voit autoriser d'un signe à intervenir :

— Alors, Élise, qu'est-ce qui, pour toi, souligne le caractère buté du garçon ? — Ses bras croisés et son regard dans le vide, Madame. — Tu as raison. Cela fait deux éléments. En voyez-vous d'autres ? Tu en as trouvé un, Thomas ? — Son cou, peut-être, il est tout tendu... et son menton aussi. — Son menton ? Il est comment son menton ? Oui, Nicolas ? — Il est carré, Madame.

La classe s'esclaffe.

— Tu exagères, Nicolas, il n'est pas carré, mais à angle droit, effectivement. parce qu'il a les mâchoires serrées, sans doute. Mais vous oubliez le principal signe de cette obstination. Cherchez encore.

Le silence s'établit. Un vent de compétition souffle sur la classe. Soudain, deux mains se lèvent ensemble, une fille et un garçon.

— Farida et Mourad, oui ? Mourad, tu veux bien laisser Farida parler la première en galant homme que tu es ?

Mourad ne peut qu'acquiescer.

— Alors Farida ? — Son front, Madame, il est... il est grand. — Il a le front haut, c'est vrai, mais pourquoi est-ce que cela traduirait son obstination ? — Ça veut dire qu'il est têtu, Madame, intervient Mourad. — Oui, Mourad, tu as raison. Mais, réfléchissons ensemble encore un peu. Il s'agit d'un tableau, d'une peinture, et l'artiste, pour le réaliser a utilisé trois éléments différents : des lignes, des formes, pour le dessin dont vous venez de me parler en ce qui concerne le garçon, mais aussi des couleurs, et de la lumière, qui interviennent aussi pour exprimer ce que le peintre veut nous transmettre. Alors, toujours à propos du garçon, que pouvez-vous dire des couleurs et de la lumière ?

La question laisse perplexe la classe durant quelques secondes, puis un échalas qui dépasse d'une bonne tête tous les autres se risque à un premier commentaire :

— Le garçon est habillé en bleu clair surtout et il n'y a rien d'autre de cette couleur. — C'est vrai, Quentin. Et alors ? — Ça attire le regard sur lui. — Oui, mais il est au premier plan aussi, c'est normal qu'on le voie en premier, non ? Mais, de plus, le bleu est considéré comme une couleur froide, à l'inverse du rouge, par exemple, et sert donc ici à traduire un sentiment un sentiment de froideur, d'hostilité vis-à-vis de la maman. Formes, couleurs ; lumière, à présent. Quelle est la partie la plus éclairée du garçon et pourquoi ?

Kevin pour une fois a levé le doigt avant de parler. Pas question de ne pas l'interroger.

— Alors ? Oui, Kevin. — C'est son front, M'dame, ça veut dire qu'il s'est fait une sacrée prise de tête ! — Exactement. Bon, je crois qu'il est temps que nous parlions un petit peu de la maman de ce garçon. Comment le peintre nous la présente-t-elle ? Comment l'imaginez-vous à partir de ce tableau ? Oui, Antoine... — Elle est pas comme son fils. Elle a l'air toute douce. Elle doit être gentille. — D'accord, Antoine, mais comment est-ce que le peintre nous transmet cette idée, par quelle combinaison de formes, de couleurs, de lumière ?

La question ramène un silence attentif sur la classe, puis deux filles lèvent la main :

— Marie, tu veux nous dire quoi à ce sujet ? — Euh... je veux parler des couleurs, Madame. La femme, elle est peinte avec du blanc, du rose et du gris, on dirait, ou une espèce de marron clair, bon, et un peu de noir pour les cheveux et les yeux. A part le noir, c'est des couleurs douces. — Oui, tu as raison, c'est bien observé. Mais les formes, les lignes aussi contribuent à cette expression de la douceur. Regardez, le peintre a utilisé surtout des lignes courbes pour dessiner la maman, ovale du visage, plis du châle, etc. et beaucoup plus des lignes droites pour le garçon, verticales et horizontales, en accord avec son état d'esprit.

L'autre main levée s'impatiente. Claire Chalumeau reprend :

— Pardon, Myriam, j'allais t'oublier. Alors, que penses-tu de la maman, toi, et pourquoi ? — Aucun ne veut regarder l'autre. La maman regarde dans le vague. Elle tient sa tête dans sa main. Elle est fatiguée. Peut-être que c'est tous les jours la même chose. Le garçon ne veut jamais manger. Alors, elle en a marre.

Claire Chalumeau fronce les sourcils en direction de Myriam, qui met sa main devant sa bouche. Sans insister, Claire enchaîne :

— Bon, je vais vous donner quelques informations supplémentaires. Le tableau a été peint au début du XXe siècle, en 1904 exactement, à Paris, et les personnages représentent des artistes du cirque Médrano, qui avait à l'époque un chapiteau permanent dans la capitale. Mais beaucoup de ces artistes vivaient dans la pauvreté. Est-ce que cela vous aide ? — Ils crèvent la dalle, tiens ! — Kevin, en bon français, combien de fois faut-il te le répéter, et après avoir levé la main !

Kevin, rigolard, s'exécute :

— Personne veut manger, y'a pas assez, c'est pour ça qu'ils se font la gueule, chacun veut que ce soit l'autre.

Claire Chalumeau s'adresse au reste de la classe :

— Vous en pensez quoi, vous autres ? Myriam ? — Moi, je crois que les deux choses sont possibles. Chacun pense comme il veut. — Effectivement, le peintre n'impose pas une vision, il en suggère plusieurs. Mais regardons maintenant la construction du tableau. Voyez-vous des lignes de force, des alignements significatifs ? Maxime, oui ? — Le tableau est coupé en deux, Madame. — Comment cela, coupé en deux ? — Ben, à gauche, la mère, à droite, le fils. — C'est vrai, mais ne voyez-vous pas une autre division ?

Farida agite frénétiquement la main.

— Vas-y, Farida, ça a l'air urgent. — Mais non, Madame, je voulais dire aussi la gauche et la droite, mais en travers.

La classe rit sous cape de la méprise. Claire Chalumeau choisit d'ignorer l'incident.

— En diagonale, tu veux dire ? — Oui, c'est ça. — Eh bien, tu as tout à fait raison, Farida ; regardez bien, les têtes des personnages sont alignées sur une des diagonales du tableau, en effet. Observez la table, à présent. Elle ne vous paraît pas bizarre ? — On dirait que l'assiette va tomber. — Un peu. C'est parce que la perspective - vous vous rappelez la perspective, on en a déjà parlé - n'est pas tout à fait respectée. Bon, l'heure est presque finie, je vais vous dire à présent qui a peint ce tableau, vous allez être surpris.

Kevin interroge :

— C'est vous, M'dame ? — Hélas, non, car alors je serais millionnaire, mais c'est un peintre très connu, je suis sûr que vous connaissez son nom, il s'appelle Pablo Picasso.

Fatoumata ne peut se retenir :

— Picasso, il peint pas comme ça, Madame, c'est des trucs tout bizarres, des bouches de travers, des yeux sur le côté. Ma mère, quand mon petit frère dessine, elle dit toujours : arrête de faire ton Picasso ! Applique-toi ! — Ce que tu dis est vrai, Fatoumata, parce que Picasso a peint de bien des manières, très différentes les unes des autres, et dans une période du début de sa carrière qu'on appelle la période rose, il a peint de cette manière-ci, dans des tons pastels, exprimant des sentiments mélancoliques, romantiques. Bien. Pour lundi prochain, vous essaierez d'écrire une petite synthèse, une vingtaine de lignes, sur ce tableau qui s'intitule : Mère et enfant. Merci. Vous pouvez ramassez vos affaires et sortir. À lundi.

Un chœur de voix soudain gaies lui répond :

— Au revoir, Madame. À lundi, M'dame.

Claire Chalumeau pense avoir donné la parole à tous les élèves de sa classe, mais soudain elle se rend compte qu'au dernier rang une tête brune n'est pas intervenue. La mine triste, le menton dans ses mains, elle fixe l'écran du vidéo-projecteur. C'est une petite albanaise, arrivée il y a quelques mois, qui maîtrise encore mal le français.Tandis que les élèves sortent en chahutant, Claire Chalumeau s'avance vers elle :

— Eh bien, Zora, tu n'as rien dit aujourd'hui. Tu n'as pas aimé ce tableau ?

Les yeux de la collégienne s'embuent, sa bouche tremble et elle secoue vivement la tête de gauche à droite, puis de haut en bas, avant de confesser dans un sanglot :

— La...dame... on... dirait... ma...man.

Claire Chalumeau était plutôt contente de son cours, mais à présent elle s'en veut terriblement de ne pas avoir anticipé la réaction de la jeune fille en pleurs. Pour quelques minutes, la professeur de Français doit-elle céder le pas à la mère afin de trouver les mots qui adouciront le chagrin de la jeune orpheline ?

— Pardon, Zora, je ne voulais pas...

Mais déjà l'adolescente a repris ses distances :

— Ça va aller, Madame. Merci.

©Pierre-Alain GASSE, mai 2011.


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La Prof

Tous les jours de classe, depuis plus de trente-sept ans, elle répète les mêmes gestes, comme un rituel, pour préparer son cartable.

C'est un vieux cartable en cuir fauve, tanné et culotté par des années de bons et loyaux services, dont la poignée a déjà cédé à plusieurs reprises sous les kilos transportés. A chaque fois, le dernier bourrelier de la ville a pu le lui rafistoler. Il aurait dû essayer de lui en vendre un neuf depuis longtemps, mais en amoureux des vieilles choses et fier de son métier de ramendeur, il a mis un point d'honneur à prolonger l'existence de celui-ci. Il profite aussi de ses interventions pour refaire les coutures fatiguées et entretenir le cuir avec une crème dont il garde le secret.

Dans la petite poche avant, qui ferme avec un simple clip, elle glisse les clés de ses salles ainsi que le cahier de textes, où jour après jour, cours après cours, elle inscrit l'avancement de son enseignement, pour chacune des classes qui lui sont confiées.

Dans la pochette du milieu, protégée par une fermeture-éclair, son cahier de notes. Jusqu'à présent, il lui était offert par l'organisme qui gère ses cotisations de retraite complémentaire, mais cette année, le temps des restrictions est venu : plus de carnet de notes, plus d'agendas ni de stylos-bille, ni même de petit calendrier. Ses collègues et elle ont fait grise mine. Ils s'étaient habitués à ces petits cadeaux, qu'ils avaient fini par considérer comme un dû.

Dans le soufflet du devant, son cahier de préparation, le petit classeur à anneaux où sont rangées ses notes du moment, en fonction de l'œuvre et de l'auteur qu'elle fait étudier à ses élèves.

Dans le soufflet arrière, il y a presque toujours une chemise avec un paquet de copies à rendre ou à corriger, mais aujourd'hui, elle ne contient qu'une trentaine d'exemplaires du texte qu'elle va présenter.

Répartis entre les deux soufflets, selon leur taille et leur nombre, les livres dont elle va avoir besoin. En l'occurrence aucun, puisque l'auteur du texte du jour n'a pas encore séduit le moindre éditeur.

Sa trousse : stylo bille noir à pointe fine pour remplir les bulletins, pour que le double carboné soit bien lisible, feutre rouge à écriture fine pour les corrections, stylo plume à encre bleue pour le cahier de textes, feutre noir pour tirer les traits, crayon à papier, taille-crayon, effaceur, stylo-gomme, blanco, un stabilo jaune pour surligner, quelques trombones. Rien ne manque.

Dans une dernière petite pochette intérieure, se trouvent sa paire de ciseaux pour gauchère, sa pochette de feutres pour les transparents, un ou deux marqueurs pour écran blanc, une petite boite de dépannage avec quelques bâtons de craie, un cutter.

Dans le fond du soufflet avant, sa règle métallique.Tout est là.Ses mains ont procédé, machinales, à ces vérifications.

Elle enfile son manteau, noue son écharpe, chausse ses escarpins qui attendaient derrière la porte, attrape son sac à main, posé sur le petit meuble de l'entrée, ouvre la porte et change la clé de côté, avant de prendre son cartable posé à ses pieds et de sortir sur le palier.Il est seize heures quarante-cinq, ce vendredi d'octobre. Madeleine Lavergne va donner son cours à sa classe de 2de 9. Le seul de son après-midi.

Elle donne deux tours de clé et fourre celle-ci dans son sac.

Autant son cartable est bien rangé, autant son sac à main est un foutoir. Tout à l'heure, pour la retrouver, il lui faudra fouiller à l'aveuglette un bon moment avant de mettre la main dessus. Cela fait des années qu'elle se promet d'y remédier. Peine perdue.

— Bonsoir, Madame Lavergne.

Elle est à l'heure. Comme chaque après-midi, la concierge est en train de passer la toile dans le hall de l'immeuble. Elle fait un petit détour pour ne pas marcher là où la wassingue humide vient de laisser son empreinte luisante. Tout travail mérite respect, non ? Madame Serinet fait son ménage à cette heure inhabituelle pour ne pas le voir sali, à peine achevé, par la cohue du matin.

—Bonsoir, Madame Serinet. A demain.

Elle sait que lorsqu'elle rentrera, la concierge aura réintégré sa loge et fermé son carreau. Surtout ne pas oublier de la saluer : elle est si susceptible.

La voilà sortie.

Elle connaît le nombre de pas qui la séparent des grilles du Lycée, et parfois son esprit les recompte sans qu'elle s'en rende compte.

Mais pas aujourd'hui.

Ce soir, elle a autre chose en tête.

Les trottoirs, devant le lycée, sont encombrés de jeunes de tout acabit, sac au dos ou à l'épaule, qui se saluent, s'interpellent, tirent nerveusement sur des cigarettes bien fines avant de sortir pour la plupart ou d'entrer pour quelques-uns dans un lycée déclaré depuis peu "sans tabac". Il lui faut slalomer entre les groupes dont seuls quelques-uns s'écartent pour la laisser passer.

La première sonnerie de la dernière heure retentit comme elle franchit la grille.

D'ordinaire, elle monte en salle des professeurs jeter un coup d'œil aux panneaux d'information et vérifier que son casier est vierge de toute injonction administrative.

Mais pas ce soir. A quoi bon ?

Aujourd'hui, elle se dirige directement vers la salle 37, au rez-de-chaussée, du bâtiment C. Sa salle de cours, au bout d'un couloir qui fait un coude. La même depuis bien longtemps maintenant. Ça l'arrange bien. Les escaliers commencent à lui être un peu pénibles. Elle sort ses clés de la pochette de son cartable et ouvre la porte, peinte d'un vieux rose défraîchi.

La salle est dans la pénombre. Quelqu'un a dû utiliser la vidéo, hier, après son départ. Elle bascule les deux interrupteurs et referme derrière elle. Dans le couloir, quelques élèves, assis par terre, écoutent leur walkman. Deux esseulés ont un livre dans les mains. Les autres arriveront après la deuxième sonnerie, à leur habitude.

Elle a posé sans s'en rendre compte son cartable à plat en travers du coin gauche du bureau, comme toujours, mais ce soir elle ne l'ouvre pas encore.

Elle s'assied et regarde cette classe vide, ces rangées de tables que les agents de service ont réalignées rapidement hier soir, après avoir balayé, effacé le tableau et vidé les poubelles. Cinq rangées de tables à deux places, disposées pour laisser deux allées de part et d'autre du bureau. Quarante places, heureusement pas toutes occupées, la plupart du temps. Dans le fond, à droite, une armoire métallique et des panneaux d'affichage encombrés de vieilleries laissées par des collègues insouciants. A sa droite, sur une console fixée en hauteur, un téléviseur et son magnétoscope ; à sa gauche, sur le mur, un écran escamotable et, devant, un rétroprojecteur sur sa table de projection roulante. Elle pense que les choses ont quand même bien changé depuis ses débuts. Sauf le bureau. C'est un bon vieux bureau à panneaux de chêne, assemblés par tenons et mortaises, comme on n'en fait plus. Deux tiroirs et sur la droite, à l'intérieur, une petite tablette pour la boite à craie. Sa chaise aussi doit être une rescapée : toute en hêtre, avec des accoudoirs, c'est presque un fauteuil. Les tables et les chaises des élèves, elles, ont été remplacées, il y a une dizaine d'années. Le formica a détrôné le bois que compas et canifs avaient creusé, perforé, sculpté, et couvert d'inscriptions sans cesse renouvelées. Sur celles-ci on ne trouve plus que des graffiti au crayon à papier qu'un coup d'éponge fait disparaître.La salle n'a pas encore été utilisée de la journée et elle n'a pas besoin d'y remettre de l'ordre avant l'entrée des élèves. Elle se lève pour aller ouvrir les stores d'occultation. Un soleil pâle et déjà bas entre dans la pièce, faisant danser dans la lumière la poussière qu'elle vient de soulever. La deuxième sonnerie retentit. Il est dix-sept heures. Elle va ouvrir la porte de la salle. Jamais, depuis le début de sa carrière, les élèves ne sont rentrés avant son invitation. Elle leur fait face et les regarde s'asseoir dans un brouhaha sympathique. Ils savent et attendent le signal : ce bruit de règle qui les fera se taire sans qu'elle ait un mot à dire et marquera le début de son cours.

Pour eux, c'est la sixième, septième ou huitième heure de la journée, un cours comme les autres, la suite de celui d'hier ou d'avant-hier, mais surtout le dernier du jour, le plus difficile à suivre comme à assurer, pense-t-elle.

Pour elle aussi, c'est le dernier. De sa journée, bien entendu, de sa semaine, heureusement, mais de sa carrière aussi, et elle ne sait si elle doit dire enfin ou hélas.

Dans une heure, elle aura mis fin à trente sept ans et demi d'enseignement du Français.

Elle se revoit, jeune normalienne brillamment reçue à l'agrégation de Lettres Modernes, devant sa première classe, animée d'un grand trac certes, mais de cette fougue juvénile aussi, de cet enthousiasme à soulever les montagnes qui lui font défaut aujourd'hui.

Elle essaie de déterminer son état d'esprit de ce soir.Il y a de la lassitude. Comment n'y en aurait-il pas ? Les ans ne passent pas impunément. Aujourd'hui pour elle, les marches sont plus hautes, les caractères d'imprimerie plus petits et les autobus plus rapides qu'autrefois. C'est la vie et nul n'échappe à ses évolutions.

Pourtant, elle ne s'en est pas trop mal sortie de ce côté-là. Les lunettes, elle les avait déjà à vingt ans, elle s'est un peu voûtée de s'être tant penchée sur livres et copies et son oreille gauche est devenue un peu paresseuse, mais à par ça, elle se porte comme un charme. A tel point qu'elle n'a même pas de médecin attitré. Ses filles le lui reprochent assez.

De la lassitude, mais pas de renoncement.

Et toujours le même amour de la littérature, la grande compagne de sa vie. A chaque saison littéraire, elle trouve à s'enthousiasmer, en cherchant un peu au loin du déversement médiatique. Et puis, les grands anciens sont toujours là, qu'on peut lire et relire avec la même émotion, le même plaisir renouvelés. Et jusqu'à présent, elle a réussi à y intéresser ses élèves. Oh, certes les programmes officiels y ont sans doute perdu un peu et ses choix lui ont parfois valu quelques critiques, mais de temps à autre, elle rencontre encore d'anciens élèves qui viennent lui dire : "Oh, madame, c'est grâce à vous que j'ai découvert tel écrivain ; vous savez, je viens de terminer ma maîtrise, mon doctorat sur telle partie de son oeuvre, justement..." Alors, les remontrances de tel ou tel inspecteur, englué dans ses instructions officielles...

Aujourd'hui, pour terminer une séquence sur la nouvelle, elle a choisi un texte d'un auteur contemporain, découvert sur Internet. Elle toussote deux fois pour s'éclaircir la voix et commence :

Km 1500

Les 110 CV de la 307 HDI répondent à la moindre sollicitation de son pied droit, avalant les courbes inversées de l'autoroute qui l'emmènent loin vers le sud. De temps à autre, aux péages, il prend un ticket ou présente sa carte bancaire. Les facturettes s'accumulent à côté de lui. Où va-t-il ? Aucune idée préconçue. Son corps sera seul juge. Il guette un signal qui ne vient pas et l'automobile file vers le midi, et lui avec, sans savoir vraiment pourquoi.

Cet après-midi, à l'ouverture de la concession de Nantes, quand il a pris livraison de la voiture après avoir signé les papiers de l'achat en LOA, on lui a dit : "sur ce modèle l'entretien a lieu tous les vingt mille kilomètres, mais après cinq mille, vérifiez quand même les niveaux, et ne poussez pas le moteur avant 1500 km". Son regard oblique vers le compteur. Il n'y est pas encore. Un déclic se fait dans une zone de son cerveau. Il vient de découvrir le terme de ce voyage impromptu, inespéré, inattendu.

Nantes. Bordeaux. L'autoroute déroule devant lui son ruban luisant de soleil et lui s'applique à l'enrouler le plus régulièrement possible pour ne pas faire de faux-plis dans sa tête. Toulouse. Le soir tombe. Perpignan. Le Perthus. A peine un képi endormi au pied d'une guérite abandonnée. Les temps ont bien changé. Deux pinceaux de lumière filent dans la nuit. Gérone. Barcelone. La France est loin déjà. Tarragone. Valence.  Une très légère odeur d'ammoniaque lui rappelle que la climatisation fonctionne. Il louche sur l'ordinateur de bord : température extérieure : 12°; kilométrage parcouru : 1352.

Viennent aussi sur l'afficheur la fréquence de la radio qui déroule son fil musical et l'heure. Il lit : 4 h 23. Il appuie sur la commande, espérant que la machine lui dise depuis combien d'heures il est parti, mais cela n'a pas été prévu par le programme. Il doit faire un effort de calcul : à cent trente de moyenne ou pas loin, et compte tenu de quelques arrêts physiologiques, une bonne douzaine d'heures. Ses paupières s'alourdissent malgré les cafés bus régulièrement toutes les trois heures. Cent quarante huit kilomètres encore. Son ordinateur de bord personnel vient de commencer un compte à rebours qu'il ne veut plus arrêter.

Mais s'il atteignait les mille cinq cents kilomètres au plein milieu de nulle part, entre deux sorties ? Attention ! Ne pas se laisser piéger. Mais quand même faire confiance à l'instinct. Au destin. A la loi des nombres. Il sent comme une espèce de communion entre lui et la machine, sans trop savoir lequel commande l'autre.

1420. Alicante ne devrait pas être loin à présent. L'autoroute continue-t-elle au-delà, vers Almería et l'Andalousie ? Il essaie de rassembler ses souvenirs de géographie ibérique et des montagnes arides surgissent devant lui. Mais la dynamite et l'argent des hordes teutonnes et bataves viennent à bout de tout, lui souffle une petite voix malintentionnée. - Tu oublies toutes les voitures françaises que tu as doublées depuis la frontière ! Il est obligé de convenir en son for intérieur que cette Costa Blanca sur laquelle il est engagé est aussi la dernière banlieue de Paris : les immeubles d'appartements de vacances poussent au soleil depuis bientôt quarante ans, repoussant au delà de l'autoroute les agrumes et les légumes de jadis, et les smicards de Suresnes, Montreuil ou Aubervilliers viennent se donner l'illusion de l'aisance, sous un soleil de plomb, dans des cages à lapins qu'ils n'accepteraient pas d'habiter dans leur pays. Tous les mirages ne sont pas au désert !

1460. Dans les lueurs de l'aube, le Peñón de Ifach, planté sur le rivage, veille sur les villas cossues de Calpe étagées sur les contreforts de la sierra, tandis qu'à ses pieds des immeubles clonés à des dizaines d'exemplaires, tentent vainement de s'élever à sa hauteur. 

1480. Le dernier café bu est loin et ses yeux clignent dangereusement. Il ralentit l'allure. Heureusement, ici les bandes blanches latérales sont rugueuses et le remettent dans le droit chemin quand il s'écarte de la trajectoire idéale. Il sait que seule une frayeur plus importante que les autres pourrait désormais libérer en lui l'adrénaline qui le réveillerait tout à fait et l'emmènerait sans heurt au terme de son voyage. De toute façon, il lui faut tenter sa chance. Il s'y abandonne. 

1490. Encore dix kilomètres. Sortie Alicante 5000 m. Il veut voir la mer. Péage. El Campello. Platjas. C'est vrai qu'ici on parle valencien avant de parler espagnol. Rues parallèles d'immeubles de brique aux balcons alignés. Rond-points en construction. Boulevard de la mer.

1499. Ses yeux se ferment malgré lui. Au bout de l'avenue, un sens interdit et une route qui oblique vers l'intérieur, pour laisser place à un "paseo marítimo" dont les pavages dessinent des reliefs à la Vasarély.

1499,9. Il s'engage dans la première rue sur la gauche. Cent mètres encore.

1500. Bingo ! Pensión La Pepa. Il coupe le moteur. Et s'endort comme une masse sur son volant. Jusqu'à ce qu'une sonnerie stridente lui vrille les tympans. Il empêche sans doute quelqu'un de sortir ou de rentrer. Il ouvre un œil.

Horreur ! Le fanal rouge du radio-réveil clignote sans merci. "Il est cinq heures et Paris s'éveille...". A côté de lui, le lit est vide et dans la main il tient la clé de sa toute nouvelle voiture...

P.-A. G.

Un friselis de murmures à la lecture des trois dernières phrases lui a révélé que la chute avait produit son effet. Elle distribue le texte photocopié, tout en posant sa première question :

— Alors, selon vous, pourquoi ai-je choisi de vous lire cette nouvelle ?

Une dizaine de mains, garçons et filles, mais plus de filles, se sont levées :

— Oui, Mélanie.
— C'est à cause de la fin, Madame.
— Pourquoi, qu'est-ce qu'elle a de particulier la fin ? Oui, Harold :
— Elle est surprenante. Pendant toute l'histoire on croit que c'est un vrai voyage et qu'il va y avoir un accident et, finalement, ce n'est qu'un rêve.
— Exactement. C'est là une caractéristique commune à beaucoup de nouvelles et pour ainsi dire une loi du genre : la chute est inattendue. Et certains diront même que plus inattendue est la chute, meilleure est la nouvelle. Mais ce critère, nous l'avions déjà rencontré dans nos lectures précédentes ; alors pour quelles autres raisons ai-je bien pu choisir ce texte ? Relisez-le silencieusement et vous allez trouver.

Les têtes se penchent sur le texte pendant un temps variable, allant d'une dizaine de secondes à quelques minutes, mais la relecture s'achève toujours au premier indice décelé. Deux mains sont déjà levées.

— Oui, Claire :
— Le titre est bizarre, Madame.
— Bizarre. Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Ben, d'habitude le titre explique un peu le sujet, ou c'est le nom d'un personnage.
— Et pas là ?
— Ben, non, déjà Km 1500, on ne comprend pas bien si ça veut dire qu'il y a 1500 km à faire, une distance, quoi, parce qu'il n'a pas mis deux points après Km.
— Qui ça, "il" Claire ?
— Euh, l'auteur.
— Et alors, s'il n'y a pas ces deux points, il veut dire quoi le titre ? Oui, Mickaël :
— Moi, je crois que c'est une destination, pas une distance.
— Bien, Mickaël, mais en fait c'est les deux : le narrateur veut atteindre ce km 1500, ce mille cinq centième kilomètre parcouru qu'il s'est fixé comme terme de son voyage, dans son rêve. Mais quel est l'objectif de ce titre ambigu ?
— Nous intriguer - dit une paire de tresses filasse.
— Oui, Marie-Claude et même, dans ce cas précis, nous induire en erreur puisqu'il nous incite à croire à un voyage alors qu'il ne s'agit que d'un rêve, ce qui fait que la chute nous apparaîtra comme plus inattendue. Bien, après cette chute inattendue et ce titre surprenant, qui retient l'attention, citez-moi une autre caractéristique de la plupart des nouvelles, que nous avons déjà vue et que l'on rencontre ici aussi.

Silence. Puis une tignasse de rasta lève un bras :

— On t'écoute, Clovis.
— Ça commence tout de suite, quoi, y'a pas de temps perdu à nous les casser avec ceci cela. Il y va direct, le mec.
— Exactement, mais tu ne pourrais pas me traduire ça en termes plus choisis ? On utilise une expression latine pour qualifier ce genre de début, qui est une des caractéristiques principales des nouvelles, et cette expression on l'a déjà vue...
— Ah, ouais, c'est un début médiatique...

Fous-rires.

— Mais non. On n'est pas à Star Academy, ici. C'est un début "in medias res", c'est à dire, en plein milieu des choses, sans introduction ni description préalables. La nouvelle, c'est court, alors, comme le dit Clovis, y'a pas de temps à perdre.

— Ouais, ça c'est cool !
— Bon, Clovis, ça va bien ; autre question, plus difficile. Dans cette nouvelle, et cela arrive assez souvent aussi, il y a des indices laissés par l'auteur qui devraient permettre au lecteur de prévoir, de deviner la chute. Dans celle-ci, j'en vois deux, un au début et un autre juste avant la chute. Qui-est-ce qui pourrait me les trouver ?

Les têtes replongent sur le texte. Madeleine Lavergne s'assied quelques instants, avant de se redresser à la première main levée :

— Alors, Tiphaine, tu as trouvé ?
— Euh, je sais pas, Madame, mais quand il dit "pour ne pas faire de faux-plis dans sa tête", je trouve que ça va pas avec le reste, c'est pas possible, je crois.
— Tu as raison. Effectivement, la deuxième partie de cette phrase "L'autoroute déroule devant lui son ruban luisant de soleil et lui s'applique à l'enrouler le plus régulièrement possible pour ne pas faire de faux-plis dans sa tête" nous fait basculer dans l'irréel, mais de manière incomplète car on pourrait croire à une simple métaphore, ou si voulez une image pour nous faire comprendre que le conducteur cherche à suivre la courbe idéale, et donc, le lecteur ne va pas, au moment de sa lecture, prendre cet indice au sérieux. Alors, l'auteur va nous donner un deuxième indice, juste avant la chute, vous le voyez ?

Silence.

— A vrai dire, c'est un demi-indice seulement. Vous donnez votre langue au chat ?

Un chœur de OUIIII ! tonitruants s'élève.

— Bon, on se calme. C'est quand il cite les paroles de la célèbre chanson de Jacques Dutronc "Il est cinq heures... Paris s'éveille". Cela peut avoir un double sens : tout d'abord que le radio-réveil diffuse réellement cette chanson, mais aussi que notre personnage se réveille à Paris et que donc son voyage de Nantes à Alicante n'était qu'un rêve. Ce que va nous confirmer la phrase suivante. La dernière. Mais cette dernière phrase, vous la comprenez comment ? Oui, Ronan :

— Il a oublié de se lever.
— Mais non, son réveil vient de sonner. Oui, Maïa :
— Y'en a que pour sa nouvelle bagnole, il s'est même couché avec les clés pour pas qu'on les lui pique, alors sa copine elle en a eu marre et elle s'est tirée.
— C'est bien, Maïa, c'est effectivement ce que laisse entendre l'auteur, mais tu pourrais nous dire cela en bon français ; allez, vas-y :
— Euh, l'auteur veut nous montrer que l'automobile tient beaucoup trop de place dans l'esprit des garçons.
— Eh bien, tu vois, quand tu veux. Effectivement, les enquêtes d'opinion montrent que le français en général accorde une importance exagérée à sa voiture et au sentiment de puissance qu'elle lui donne, au détriment de son budget, de sa sécurité, voire des membres de sa famille.

Une sonnerie aigrelette vient de retentir, déclenchant une agitation soudaine.
Madeleine Lavergne hésite. Entre se retirer sur la pointe des pieds en silence et leur dire... Elle n'a que dix secondes pour se décider :

— Une dernière chose avant que vous ne sortiez : la semaine prochaine, vous aurez un autre professeur de français, jusqu'à la fin de l'année.
— Pourquoi, Madame ? Vous êtes malade ?
— Non, Benoît, mais je pars en retraite. Ce cours était mon dernier. Je vous souhaite bonne chance à tous.

Sa voix a un peu tremblé, mais cet âge est sans pitié et cette heure la dernière de la journée ; aussi le brouhaha de la sortie couvre-t-il son émotion. La classe s'est vidée comme par enchantement. Elle ramasse ses affaires, efface le tableau où elle avait inscrit les différents points d'intérêt évoqués, éteint l'éclairage, passe son manteau accroché à la patère, y reprend son sac à main.

Elle a empoigné son cartable, est sortie de la classe. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle n'a pas fermé à clé.

Elle chemine dans les couloirs sombres du bâtiment d'externat. C'était la dernière heure de cours d'une journée d'automne et elle est une des rares à ne pas tolérer de sortie avant la sonnerie ; aussi ne s'étonne-t-elle pas de parcourir seule les cent mètres qui la séparent de l'extérieur.

Mais au détour du couloir, deux ombres encapuchonnées s'agitent devant la porte de la réserve à matériel.

— Hé, qu'est-ce que vous faites, là ? - essaye-t-elle de dire d'une voix forte, pour cacher sa surprise et son appréhension.

Dérangées alors qu'elles tentaient de refermer la porte à clé pour retarder la découverte de leur méfait, les deux ombres se redressent, les bras encombrés de deux magnétoscopes. Elles ne l'avaient pas entendue venir ; elle est déjà sur eux. C'est la panique. Un appareil tombe. Une lame jaillit au bout d'une main dans la pénombre, décrivant une courbe à la hauteur de sa gorge et Madeleine Lavergne s'écroule dans un cri.

C'est le veilleur de nuit, lors de sa première ronde, qui l'a découverte dans une flaque de sang, encore tiède. Le jour de ses soixante ans. Ma prof.

La pénurie d'agents d'entretien n'avait pas permis pas que le ménage fût fait ce soir-là dans cette partie du lycée.

 ©Pierre-Alain GASSE, février 2003. Tous droits réservés.