Malo, deux ans
Par Pierre-Alain le mardi 5 février 2008, 18:00 - Fragments - Lien permanent
— Tu t'appelles comment ?
— A-lo.
— Tu as quel âge ?
Il brandit vers moi un V victorieux, de l'index et du majeur :
— Deux ans !
— Wow ! Tu es grand maintenant, dis donc !
Un peu, mon neveu ! Le bambin se rengorge et répète et re-répète après moi :
— Ma-lo, deux ans.
Voilà les présentations faites.
Pour l'instant, Malo s'intéresse encore peu aux autres, je ne m'attends donc pas à ce qu'il me demande : "Et toi ?"; d'ailleurs sa connaissance des nombres est encore réduite, aléatoire et discontinue.
Quant à mon nom, il le répète au moins cinquante fois par jour, à la cantonade, sous une forme le plus souvent interrogative :
— Papi, il est où Papi ? Papi !
— Oui, je suis là, Malo, dans le bureau.
— Papi, essiner, papi.
— Tu veux dessiner ? D'accord, tiens, voilà un crayon et une feuille de papier.
— Monte, papi, monte.
— Tu veux monter sur mes genoux ? Allez, viens, mais tu ne touches pas à l'ordinateur, hein ?
Trente secondes et quatre gribouillis plus tard :
— Fini, papi, encore feuille.
— Une autre feuille de papier ? Bon, mais c'est la dernière, d'accord ?
— Oui, papi.
C'est comme ça toute la journée. Malo, enfant d'aujourd'hui, n'aime rien tant que la compagnie, répugne à s'occuper tout seul et zappe d'une activité à l'autre tel un adulte avec sa télécommande.
Non, ce n'est pas vrai, j'exagère. Depuis longtemps déjà, quelque chose le passionne ; il ne s'en lasse pas, demande sans arrêt à aller les voir passer, à monter dedans : les trains ! : TER, TGV, métro, tout est bon. Et à défaut, l'autobus ou la voiture. Saint-Lazare est devenu son lieu de promenade préféré, cela devient lassant pour l'entourage !
Il y a du déterminisme là-dedans. Quelle fille aurait cette toquade ?
Devinez ce que le Père Noël, ce suppôt de Coca-cola, lui a apporté pour arranger l'affaire : un petit train en bois et plastique, multicolore avec un circuit en huit, tout en bois lui aussi.
Depuis, il refuse de se déplacer d'une pièce à l'autre sans la locomotive et les wagons ; par chance, il consent à laisser les rails en place. Ouf !
Mais, miracle, il est capable de jouer avec, seul, un bon moment, même si l'expérience termine toujours de la même manière :
— Papi, crain !
— Quoi, Malo !
— Papi, cassé crain.
Le viaduc est branlant, un wagon a déraillé, une vache est sur les voies ou une voiture tombée du chargeur. L'équipe de secours doit intervenir dans les plus brefs délais et c'est moi qui suis d'astreinte !
— J'arrive, Malo, attends deux secondes, je finis ma lettre.
— Papi, cassé crain !
— Oui, Malo, un peu de patience, bon sang !
Depuis quelques semaines, il a ajouté une corde à cet arc passionnel. L'autre jour, en allant acheter le pain, le nez en l'air et l'index au vent, il s'est mis en arrêt comme un pointer qui vient de renifler une perdrix :
— Oh, chelle, papi, chelle !
C'était une grue de chantier, ancien modèle ! La description, pour raccourcie qu'elle fût, m'a paru pertinente. Il y avait bien de l'échelle là-dedans ! Et depuis, à chaque fois que nous passons devant, ou devant n'importe laquelle de ses sœurs, d'ailleurs, c'est le même cri émerveillé :
— Chelle, papi, chelle !
— É-chelle, Malo, mais non, ce n'est pas une échelle, c'est une grue.
— Crue ?
— Grue comme dans gre-nouille.
— Gre-nouille.
— OK. That's it.
La syntaxe et la prononciation française de Malo sont encore hésitantes parce qu'il apprend deux langues en même temps. L'anglais de son père australien qu'il comprend parfaitement et le français de sa mère, qui a logiquement pris le dessus puisqu'il vit en France, qu'il va à la halte-garderie avec d'autres petits Français et que sa nounou parle cette langue (la nounou de Malo est une ivoirienne, star du coupé-décalé, sous le nom de Dodo Pélagie, mais il l'appelle Tata, comme font tous les enfants).
Malo supplée son manque de vocabulaire par la répétition, jusqu'à satiété et plus, du message qu'il veut transmettre.
Au grand dam de sa famille.
Le gaillard est charmeur et d'une volonté bien affirmée ; ses caprices sont principalement alimentaires. Il cultive une aversion périodique pour la viande et le poisson.
Il a une prédilection pour la graine de couscous, les coquillettes, les haricots verts et les petits pois qu'il entend manger un à un, parfois en les écrasant auparavant avec le pouce dans ou à côté de l'assiette.
Pourvu que cette manie se s'étende pas au couscous lui-même !
Pour les desserts, pas de problème, il aime tout, le petit diable.
Bref, pour ses parents, le faire manger est toujours une aventure, parfois expédiée sans encombre, mais le plus souvent émaillée de conflits, en dépit des choix offerts, des récompenses promises ou des punitions décidées.
Monsieur préfère aller au lit sans manger plutôt que de baisser pavillon ; il promet bien d'être coopératif, mais le goût de l'affrontement est souvent le plus fort.
Il n'y a que deux remèdes extrêmes : l'un cruel, que je ne recommande pas, la privation de son doudou, et l'autre qui, pour l'instant, l'amène toujours à résipiscence : le coin !
Par bonheur, avec moi, il ne se risque pas trop à ces simagrées ; si j'élève la voix, il fait parfois la lippe, mais cède généralement et dans le cas contraire, un peu de jeûne, n'a jamais fait de mal à personne, comme disait le pédiatre de mes enfants.
Depuis quelques semaines, Malo a été affranchi des barreaux de son lit de bébé. Rendu méfiant par une roulade au bas de celui-ci dès la première nuit, il dort désormais contre le bat-flanc offert par le mur. Mais, le plus curieux est que, bien qu'il puisse à présent se lever seul, il n'en fasse rien, attendant qu'on vienne le chercher ou se contentant avec sagesse d'appeler. Prudence est toujours mère de sûreté, n'est-ce pas ?
Tout ce que je vous dis là était vrai le mois dernier. Mais Malo a chaussé des bottes de sept lieues et progresse chaque jour à pas de géant vers la connaissance.
Le mois prochain, il s'envole pour trois semaines en Australie. Parlera-t-il anglais en rentrant de ce bain linguistique au pays de ses grands-parents paternels ? Comment sera-t-il quand nous le reverrons, sa grand-mère et moi ?
See you soon, Malo.
Love from papi.
©Pierre-Alain GASSE, janvier 2008.
Commentaires
Bonsoir. Pardonnez-moi par avance ce commentaire public (effacez-le s'il vous pose problème), mais j'ai tourné, tourné un moment et puis je me suis dit : Dis-le lui, il faut le faire. Bien, voilà : je suis tombée par hasard sur l'article ci-dessus, et je dois dire que votre style y est un véritable bonheur de lecture. Du coup, je suis allée voir certains de vos textes "littéraires", et... désastre. Le style est rigide, emprunté, artificiel. Et je sais pourquoi, c'est l'évidence : cessez de torturer scandaleusement le style naturel qui est le vôtre et que vous manifestez dans l'article ci-dessus. Développez-le, laissez-le vivre, ce style direct, sensuel, sincère et chaleureux, un brin ironique. N'essayez pas de tarabiscoter et d'écrire (ce mot, en italiques si elles existaient ici) : gardez votre façon naturelle de raconter une histoire, comme vous le faites merveilleusement ci-dessus. C'est tellement mieux. Voilà, c'est dit. Vous avez un don de raconter avec une tendresse amusée, ne le gâchez pas. Je dois vous dire une chose : la vie (aventureuse)de votre petit Malo aurait fait 300 pages ainsi tournées que je ne m'en serais pas outre mesure lassée. A méditer... Ouf, ça va mieux. Désolé pour ma rudesse, si je vous ai secoué. Adios et bonne chance pour vos écrits (mais je reviendrai pour la suite -?- des aventures de Malo).
N'ayez crainte, j'accepte tout à fait ce commentaire et je vous en remercie : cet espace est fait pour cela. Un seul regret : j'ignore lesquels de mes textes vous considérez comme "littéraires" et lesquels vous ont paru d'un style rigide, emprunté, artificiel. Sans doute me serait-il utile de le savoir, pour apprécier à sa juste valeur votre critique. Ceci dit, je vous concède bien volontiers que, parmi ma soixantaine de nouvelles, toutes ne sont pas du même tonneau. Il en est des écrits comme des vins : toutes les années ne se valent pas !
Pierre-Alain GASSE
Je l'avais oubliée celle-ci ! Toujours un plaisir de la relire - à garder précieusement pour la donner à "Malo" le jour de ses 18 ans (comme une certaine "Lettre imaginaire à ma fille", conservée précieusement et dans sa langue d'origine depuis bientôt 20 ans !). xOx