Le Blog du Merdier

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Notes et textes divers, période 2003/2004

Notes et textes divers, période 2003/2004

 

 

 

 

Notes et textes divers, période 2003/2004

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dimanche, mai 20 2007

Un ciel

Même dans le meilleur de cet « autre monde possible », la vraie gentillesse, totalement gratuite, innocente comme l’âme d’un très jeune enfant, fera toujours défaut… Ou se manifestera, aussi fugitive, aussi exceptionnelle que dans le monde présent.

Les hommes et les femmes de tous les mondes possibles ne seront jamais les enfants qu’ils furent lorsque la connaissance et l’expérience n’avaient encore investi leur ciel… Un ciel dont certaine nuance de bleu, si proche de souvenirs plus anciens que ceux de l’origine de notre vie, est la marque d’une noblesse et d’une pureté absolues.

Tout ce qui vit sur terre, dans la mer ou dans les airs, et dont l’existence ne peut couler autrement que l’eau claire d’un torrent de montagne, est apatride dans ce monde peuplé d’êtres qui se sont ralliés à la loi commune des courants et des appartenances.

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Rimbaud

De très nombreux intellectuels depuis tant d’années, et aujourd’hui encore, ne cessent d’écrire sur l’œuvre d’Arthur Rimbaud…

Analyses, commentaires, critiques, réflexions… Des pages et des pages, telles des bornes à perte de vue, jalonnent le chemin dont le tracé se perd dans les impostures de l’Histoire et l’hypocrisie de ceux qui définissent le sens de la pièce et choisissent les acteurs.

Jusqu’aux jours de la vie si brève de ce poète maudit en son temps, la reconnaissance de son œuvre traverse les saisons une à une, génération après génération, escalade les holocaustes, descend les marches d’un escalier tout encombré des terreurs passées… Et cette marche en arrière rejoint enfin un être mutilé et mourant sur un lit d’hôpital à Marseille… Puis cet effacement de semelles de sable dans le désert Africain.

A quoi riment la gloire et la reconnaissance lorsque le corps n’est plus que poussière et qu’il ne reste de l’âme, de l’œuvre du disparu, qu’une écriture passée au crible de toutes les modes nouvelles, une écriture mille fois traduite ou même réécrite, controversée selon d’innombrables interprétations ?

Rimbaud ne fut-il pas tout seul, à l’intérieur de sa vie ? Personne n’a été dans sa peau, ne l’a jamais rejoint dans le cœur de sa bulle ! Alors, on peut bien dire ou interpréter ce que l’on veut, au travers des âges…

Nos émotions, nos aspirations, nos rêves, tout ce que nous sentons mais ne pouvons pas toujours traduire ou communiquer, tout ce qui fait que nous sommes nous et personne d’ autre au monde, nos expressions, nos regards d’une seule fois, nos égarements, nos interrogations, les mots que nous n’avons ni écrits ni prononcés, ce « cosmos » à l’intérieur de notre bulle, c’est avec tout cela que nous disparaissons un jour, que personne dans l’ avenir immense ne saura jamais… ou prétendra savoir traduire.

L’enfer des saisons de guerre, les saisons, toutes les saisons de tous les temps de l’Histoire, avec leurs entractes d’enfer, ce dérisoire envol des étoiles montantes, la chute des astres, les fractures de la vie, le pourquoi et le comment des enfants insoumis, les prières muettes, les silences et les indifférences, les holocaustes, les révolutions, les pierres funéraires, les encyclopédies, toutes les rues de la vie avec leurs cris, leurs effusions, leurs haines, leurs étalages et leurs odeurs… Sont des semelles de sable dans un désert peuplé de petites créatures infinies. Que le désert soit bleu, rouge ou gris, il est lui seul, la vie éternelle, et tout ce qui l’habite…

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La bonté

Le seul et véritable destin de la bonté, c’est de prendre un jour le dessus sur la violence et la haine…

Or, les hommes de ce monde en lequel nous vivons depuis toujours, ont une bien piètre image de la bonté : ils la représentent humiliée, écrasée, bafouée, et de plus ils se moquent de la bonté comme si jamais elle ne pouvait s’opposer avec force et détermination à la dureté du monde.

Mais la dureté du monde et cette image de la bonté humiliée ne sont pas une fatalité comme voudraient nous le faire croire les puissants, les arrogants, et d’une manière générale, tous ceux qui collaborent avec les acteurs privilégiés de la loi du monde.

Le vrai visage de la bonté n’est pas celui de la résignation. Le regard de la bonté est un regard énergique, droit et pur.

Même si la bonté est aujourd’hui foulée aux pieds comme le blé sous la grêle, couchée comme l’herbe par le vent, elle ne périra jamais, survivra à toutes les humiliations et toutes les servitudes, car c’est bien là son destin : s’élever contre le pouvoir et l’orgueil des hommes.

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Le talent

On peut avoir du talent et être un parfait salaud. Quelques écrivains, musiciens, intellectuels, artistes, philosophes, professeurs ou éducateurs ont un talent fou mais sont de parfaits salauds... Ils peuvent être des personnages médiatiques, du moins dans la « sphère » en laquelle ils évoluent et dont ils constituent bien évidemment les éléments essentiels du noyau central.

Oui, l’on peut avoir beaucoup de talent et être « imbuvable », c’est à dire exécrable, afficher son mépris, son outrecuidance, son agressivité, sa « vision du monde » à la figure des gens, éjaculer des vérités acides, argumenter, pérorer, pourfendre, se comporter dans la vie ordinaire envers les membres de sa famille puis les autres personnes en général, comme un cochon ou un prédateur.

Il paraît que le talent chez les Civilisés excuse tout, même l’ignominie…

Que reste t-il du talent dans l’Histoire écrite ou enregistrée, reconnue et officielle, enseignée et médiatisée, sinon l’illusoire enluminure, d’une souveraine beauté certes, mais qui s’est complu dans une exaltation de soi et qui pour finir, l’Histoire se perdant entre les ères glaciaires et les évolutions géologiques, se fond dans l’encre du cosmos ? Et n’aura sans doute jamais aucune signification pour des êtres qui, ailleurs, vivent sous d’autres cieux ?

Que reste t-il du talent lorsqu’il cesse d’être crédible pour des milliers de gens qui ne vivent pas la même vie quotidienne que ces « monstres sacrés » du Show Biz ou de l’actualité ? Le talent de ces gens là n’est-il pas une lumière morte pour ceux et celles qui se débattent dans la réalité quotidienne ?

Que reste t-il du talent lorsque, par un retournement de la mode, par l’émergence de nouveaux repères et de courants d’idées, il cesse d’être reconnu ?

Que reste t-il du talent lorsqu’il n’est qu’une bonne facture ?

Imaginons un petit scénario catastrophe… Tu te trouves, toi, l’intellectuel, le cinéaste ou l’artiste de génie, acculé au fond d’un ravin en face d’une araignée géante carnivore… Pourquoi pas, avec toutes ces manipulations génétiques ! A quoi va te servir ton talent ? Tu ne peux même pas déguerpir. Tu vas te faire dévorer, oui ! Et le salaud, en l’occurrence, ne sera pas l’araignée géante…

N’est pas encore né, celui ou celle qui apprivoiserait l’araignée… D’ ailleurs, cette idée d’apprivoisement, n’est-elle pas un leurre ?

La beauté est parfois émouvante et cruelle. Mais l’idée de la beauté, c’est nous, êtres que nous sommes, qui l’avons conçue. La beauté existe t-elle ? Et qu’est ce que le talent, au fond ? Sinon un concept humain ? Que dire alors, de l’architecture d’une toile d’araignée, de l’édification et de la gestion d’une fourmilière, du langage des dauphins, du plan de vol d’une oie sauvage ?

Quand on a du talent, à mon avis, l’on ne devrait pas être un salaud. Avoir du talent c’est une chance. Mais c’est aussi un lourd fardeau à porter sur ses épaules. Si tu as du talent, tu es responsable. Tu dois être une lumière vive pour ton entourage, une lumière qui n’existe pas seulement pour prouver qu’elle existe, mais pour faire exister la lumière des autres.

Un prédateur par exemple, exerce son talent en aspirant l’énergie des autres créatures. L’œuvre d’un révolté, même d’une très grande beauté, ne transpire que de toutes les nuisances émises par le sens du monde mais exalte rarement ce qui émerveille, relie ou réconcilie les hommes. L'on peut être un écorché vif, mais il ne faut pas que l’expression de ses propres écorchures écorche les autres.

La poésie ou la littérature d’un exécrable coquin, si reconnue, si académique, si avant-gardiste soit-elle, se nourrit de toutes les pourritures de l’esprit revêtues et complices de la barbarie.

Le prédateur, le révolté, le génial coquin, l’écorché qui écorche, peuvent avoir du talent… Mais ils ne sont jamais crédibles, même si on les admire et les flatte.

Imaginez un excellent professeur de philosophie, jouissant d’une majestueuse « aura », qui culbuterait les filles de sa classe… Même en y mettant une sacrée classe ! Et qui de surcroît, sur la route des vacances, abandonnerait son chien, jetterait ses reliefs de pique nique sur le bord de la route ?

Oui, c’est vrai… On l’a assez dit : la beauté ou l’émotion souveraine, cela n’a rien à voir avec la morale…

Mais, entre nous, a-t-on besoin de morale ou de s’aimer ?

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vendredi, avril 27 2007

L'humanuscule

Il bâtit… bâtit, bâtit… Bâtit son nid…

Il a 30 ans. Un double équateur de bourrelets, oui, déjà ! À 30 ans, entre son hémisphère Sud arpenteur de trottoirs et son hémisphère Nord dont la capitale pense et décide.

Il a signé un prêt bancaire… de 20 années… presque hésité sur 25.

Mais cinq ans de plus, cela ne payait ni le crépi, ni la véranda en sus. 20 ans… Il va la payer jusqu’au DEUG de son rejeton, sa maison formatée, s’il n’a pas fait un infarctus avant…

Quatre fois le prix qu’elle aurait coûté, lotissement « Les Alouettes », s’il avait pu la bâtir sans signer le prêt… En héritant, par exemple.

Il est cadre moyen dans une boîte qui vend et achète, se restructure et fusionne avec une autre boîte… Sans battre de l’aile, la boîte affiche un bulletin de santé qui laisse présager une intervention prochaine dans ses éléments structurels. Autant dire que, tous diagnostics confondus, même si pour le trimestre à venir, la conjoncture est favorable, les Mondiopérateurs, pressés par leurs cohortes d’actionnaires, vont exiger un dégraissage en matière de coûts salariaux…

Il quitte « Les Alouettes » à sept heures du matin, il parcourt 40 kilomètres dans sa voiture pour aller travailler, et la boîte encore lui demande de crapahuter dans les embouteillages, sur les voies de contournement et dans les dédales des ensembles pavillonnaires de la mégapole voisine , peut être une centaine de kilomètres, autant de ronds points et de feux tricolores, afin de négocier des contrats juteux, de débrouiller des affaires complexes, se débattre dans des situations relationnelles inextricables… Il est de retour aux « Alouettes » à l’heure du journal télévisé, il gare sa Safrane devant le portail de son petit éden familial. Vanné, pompé, saturé d’objectifs commerciaux, l’estomac chargé de nourritures coulantes ou conditionnées en barquettes… Ou encore, s’il a pu se rendre au restaurant, tout confit d’un plat du jour plantureux, la tête bouffie de soucis professionnels car son travail consiste pour l’ essentiel à vendre à des clients « potentiels », des produits et des services superflus. Les commissions par les temps qui courent ne permettent d’acheter ni la chaîne Hi-fi, ni le dernier ordinateur.

Il a son samedi… Tout de même ! Mais le samedi, c’est pour les courses, le matin entre 10heures 30 et midi, à Carrefour… Et la tondeuse, 1200 mètres carrés, l’après midi après la sieste du voisin de préférence. Et Patrick Sébastien le soir à la télé… Les samedis soir de juin, l’on se fait en famille un petit barbe – cul discret… Si le vent vient du bon côté. Aux « Alouettes », comme dans la plupart des lotissements pavillonnaires d’ ailleurs, les chiens, des gros assez souvent, des « je monte la garde », aboient fort, surtout lorsqu’un cycliste inconnu s’égare dans le lotissement.

Dimanche matin… Un gros dodo jusqu’à 10 heures ou plus. Puis le tiercé, le repas dominical, la sieste, la promenade en auto quand il fait beau jusqu’à la lisière de la petite forêt apprivoisée à trois kilomètres au-delà de la sortie de l’autoroute, ou quand il pleut, une virée au centre commercial ouvert le dimanche pour admirer les beaux canapés, les cuisines intégrées…

Dimanche soir à la télé… Il hésite entre un thriller avec Tom Cruise sur la Une, ou Urgences sur la deux. Depuis deux ans qu’il a bâti bâti, aux « Alouettes », il n’a pas encore fait son crépi. Il est tout de brique vêtu et financièrement nu comme un ver. Parce que la Safrane, en plus des traites de la maison, il faut la payer… Et l’un dans l’autre, les deux prêts, celui de la voiture et celui de la maison, cela fait plus de la moitié de la paye du ménage… Largement plus. A chaque fin de mois, il est raide comme un passe lacet et doit des sous partout.

Il bâtit, bâtit bâtit… Bâtit sa vie, de tic et de toc, avec des projets de vacances qui ne vont pas plus au Sud que la rive Nord de la Méditerranée, pas plus à l’Ouest que la côte Atlantique. Des projets, des évasions, des étés, des campings et des bungalows tous reliés par des kilomètres d’asphalte. Il est l’omnibus dont chaque arrêt est une halte fric devant les distributeurs automatiques de billets. Et quand il se fait avaler sa carte, il s’épuise en une diatribe enflammée contre sa banque…

Il bâtit, bâtit bâtit…. Bâtit son nid. De tout ce qu’il peut y couver dedans, jusqu’aux excréments de ses aspirations, jusqu’aux pollutions de ce qu’il consomme… Quand il se connecte sur le site de sa jolie voisine, il assiste à un défilé de mode qui le ravit. Il se régale des expressions de son visage, écoute ce qu’elle raconte, explore tout ce qu’elle a féminisité de sa personne et de son atmosphère.

Il bâtit, bâtit bâtit… Au gré de ses envies et de ses lubies, de tout ce qui est préfabriqué, normalisé, planifié, réglementé, aseptisé… A quoi peut bien servir une cuisine intégrée lorsque, du lundi au vendredi, l’on ne consomme que des denrées en barquette, en plastique ou en boîte ; le samedi soir, la pizza du camion de passage, et le dimanche, si l’on cocufie sa salle à manger salon pour le menu gastronomique de l’hôtel des Acacias au beau milieu de tous ces messieurs dames en costume, tailleur, coiffure en chou fleur, moustaches à la Jacques Lanzmann et pochette de cuir à bandoulière ?

Il a bâti, bâti bâti… Mais dans sa maison, il n’y a pas de bibliothèque. Il ne lit jamais de livres. Seulement des revues de sport, le journal de la région… Ce n’est pas un intellectuel. Chez son voisin, il y a une très grande bibliothèque, en beau bois, avec de solides étagères qui supportent de gros volumes reliés de cuir. Mais le voisin ne lit pas, cependant. Il achète, pour 20 Euro en moyenne, tous les grands succès, les prix littéraires, les ouvrages à la mode que produisent les auteurs connus, les hommes politiques, les journalistes et les écrivains de renom. En plus des derniers romans de la saison, pour son épouse, il commande des encyclopédies Hachette, il est abonné à France Loisirs. S’il ne lit pas, alors pourquoi les achète t-il tous ces livres ? Tout de même, il les survole un peu à temps perdu, pour avoir l’air de s’y connaître, les soirs de réception en compagnie de ses amis. C’est que, chez le « Tabac Journaux » du coin, les rayons du milieu du magasin regorgent de tout ce qui peut sortir, se vendre, à grand renfort de publicité, avec des bandes rouges ou bleues autour des livres, et la sacro-sainte mention : prix Renaudot, Fémina, Interallié…

Les livres, c’est comme les denrées alimentaires, la mode, les programmes de télévision, les séries Américaines et les derniers films qu’on voit dans toutes les grandes salles de cinéma. Les livres sont aussi aseptisés que les poulets, le poisson et la viande… Peut être un peu moins tout de même. Ils sont là pour prouver que le monde existe bel et bien… Avec quelques malheurs certes, et un peu de contestation parce qu’il faut que cela remue les tripes de temps en temps. Les livres « non aseptisés » sont trop dangereux : ceux là, on ne les trouve pas dans les bibliothèques des municipalités de Gauche et encore moins de Droite, ni chez les libraires, ni chez le « Tabac Journaux » du coin.

Il a donc bâti, bâti bâti, notre « humanuscule » trentenaire… Et, bon an mal an, le gâteau d’anniversaire se charge de bougies. Et les traites sont toujours là, fidèles au rendez-vous de la fin du mois ! Si l’on peut, on fera plus cossu que la Safrane, car le dos, sur des centaines de kilomètres, passé la quarantaine, sur un siège un peu raide, il se met à chanter manon parfois…

Quand le gâteau se charge de bougies, les habitudes changent… A la place du pantalon à doubles poches latérales on arbore la petite pochette en cuir ou la sacoche à rabats et bandoulière. Au lieu de s’asseoir sur le canapé les genoux croisés avec son assiette de charcuterie salade composée devant la télé pour le thriller, l’on prend ses repas à table, normalement, en famille.

Cinq ans après avoir bâti bâti, notre « humanuscule », il a traversé une petite crise. La crise existentielle, le pourquoi et le comment, le sens du monde, qu’est-ce que l’on fait sur Terre et tout le tremblement ! Alors il s’est mis à avoir de la « vie intérieure ». Le résultat fut désastreux : sa femme l’a quitté, ses enfants ont déserté le domicile familial. C’était devenu invivable pour tout le monde. Le meilleur de soi-même ne change pas la vie de ceux qui vivent auprès de nous, pas plus qu’il ne nous a changé nous-mêmes.

Il a essayé d’écrire un livre. Pas besoin d’être un intellectuel pour écrire un livre… Une histoire impossible, des gosses de banlieue dans une cité HLM en pleine explosion socioculturelle, des filles drôles et émancipées, des vieux qui ne voulaient pas aller en maison de retraite, des banquiers qui se révoltaient, des assureurs véreux repentis, des facteurs brûlant des tonnes de publicités en pleine rue, des femmes qui passaient la vaisselle par la fenêtre, ne faisaient plus ni lessive ni repassage… Le style y était, à peu près, sauf les mots qui n’existent pas dans le dictionnaire. Cela n’en finissait pas, trois cent pages… mais il y passait ses nuits, ses dimanches, ses congés…

A un océan de la conclusion, il a tout lâché. Il a renoncé, coulé coulé. Non, on n’ écrit pas un livre quand on passe sa vie aux « Alouettes », quand on est salarié, vendeur dans une boîte qui bat de l’aile et fusionne avec une autre boîte, et que l’on n’ a ni les relations, ni les moyens ni l’environnement pour…

Pensez-vous, comment trouver le temps de se documenter, de composer, de relire, de corriger, de vérifier la concordance des situations, la vraisemblance, le style, l’orthographe… Toutes ces heures où chaque paragraphe est comme un bout de terrain conquis, ces jours, ces nuits, ces mois, peuplés d’instants volés à la routine, avec les regards moqueurs ou indifférents des autres… Après huit heures d’activité professionnelle et de déplacements, sans contacts, sans relations, sans appuis… Autant vouloir faire sortir une forêt d’un désert. C’est de la folie, de l’utopie, du suicide moral…

La crise s’est tassée finalement, au bout de quelques années. Elle a fait comme tous les ronds dans l’eau : des rides concentriques de plus en plus espacées… L’épouse et les enfants sont revenus. L’épouse parce qu’aux « Alouettes » il n’ y a que des abris de bus et le « Tabac Journaux » du coin, les enfants parce que, ailleurs qu’aux « Alouettes », on peut pas toujours squatter chez les copains branchés. Il bâtit, bâtit bâtit…
C’est un « humanuscule », c’est à dire l’un de ces huit cent millions d’humains vivant dans des pays à économie développée, plus riche… ou moins pauvre que tous les autres humains de tous les pays de la Terre « en voie de développement ».
Par comparaison, je pense qu’un habitant de l’Ethiopie profonde, d’un village du Penjab ou d’une favella de Rio de Janeiro n’est pas un humanuscule.
L’ humanuscule est un être aseptisé, qui bâtit, loge, squatte, consomme, pollue, se nourrit trop bien, dont l’organisme se charge de scories, qui pense… ou ne pense pas, agit, vit, respire, use des tonnes d’eau, et pousse sur la terre comme un arbre sans racines et sans branches.

De ces quelque six milliards d’humains qui ne mangent pas à leur faim, n’ont pas assez d’eau, vivent dans une très grande misère, dont une bonne partie, répartis sur le continent Asiatique travaillent douze heures par jour et gagnent jusqu’à dix fois moins que nous en Europe, émergera bientôt une puissance qui foulera aux pieds notre civilisation. Mais ce monde là ne sera pas meilleur que le nôtre.

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jeudi, mars 22 2007

La tortue...

La tortue

Lorsque, enfant, je vivais en Afrique du Nord, il m’arrivait de rapporter des tortues, que je ramassais aux abords d’un oued à proximité de l’immeuble où je demeurais avec mes parents, au neuvième et dernier étage.

Tout au bout de la coursive le long de laquelle s’ouvraient les portes des six appartements de l’étage, j’avais aménagé, en accord avec nos voisins qui étaient nos amis, un espace délimité par des briques, des morceaux de planches, de gros galets. C’était là un enclos provisoire pour ces bêtes à carapace dont la lenteur des mouvements laissait supposer qu’elles n’avaient pas besoin d’un vaste territoire…

Mes parents voyaient d’un mauvais œil un tel élevage, d’autant plus que les détritus, épluchures de légumes, feuilles de salade, morceaux de pain rassis, ainsi que les déjections de ces animaux s’accumulaient de jour en jour, encombrant le passage. De surcroît, le régisseur, homme de loi et d’administration, devant prochainement effectuer son incursion mensuelle auprès des locataires, ne manquerait pas de nous signifier l’obligation de tout nettoyer dans les plus brefs délais. Mais le jour fatidique étant encore relativement éloigné, je parvins à grand’ peine à négocier avec mes parents le maintien de cet élevage clandestin.

Mes pensionnaires s’appelaient Sophie, Proserpine, Cunégonde, Fatma, Aïcha, Zorra, Mina. Elles étaient de tailles diverses et la plus petite à peine plus grosse qu’un œuf de poule. Outre ces pensionnaires que, nécessairement, je devrais en temps voulu rapatrier dans leur territoire d’origine avant le passage du régisseur, j’entretenais dans notre appartement, sur la loggia, une amitié particulière avec une autre fille à carapace qui, elle, n’avait pas de nom et à laquelle j’étais très attaché.

L’imagination ne m’aurait pas manqué pour donner un nom à ma «fille »… J’aurais peut-être à cette fin « péché » dans les étoiles du ciel, mais il m’avait paru invraisemblable de donner une identité à cette bête là, surgie de la terre comme tombée du ciel dans mes rêves de gosse. Elle ne pouvait être pour moi qu’un drôle de caillou vivant avec des pattes et une tête. Un caillou qui, dans mon idée me reliait à des trésors n’appartenant à personne et ne pouvant donc avoir de nom tel que celui que l’on donne à un petit chien par exemple.

Par contre, les pensionnaires au bout de la coursive extérieure étant des êtres « empruntés », plus par amusement que par amitié, il m’avait paru assez drôle de les pourvoir d’un prénom féminin.

Dans les premiers temps de cette amitié particulière avec la fille sans nom, il n’y avait aucune magie en la relation qui s’établissait entre nous. J’approchais doucement le bout de mon doigt lorsque sa tête paraissait, mais aussitôt les pattes antérieures formaient une muraille d’écailles, la tête s’enfonçait à l’intérieur de la carapace. Patient, obstiné, amusé, curieux, je renouvelais à maintes reprises le même geste d’approche et parfois je l’avoue, l’amusement prenait la tournure d’un sentiment proche du dépit ou même de la colère.

A chaque tentative tout se refermait brutalement, et je percevais un petit « tchuitt » discret, sorti des deux minuscules trous situés tout juste à la pointe de la tête. Patiemment, de longues minutes durant, j’attendais que la muraille d’écailles s’écarte de nouveau, et que paraisse enfin le bout de la tête. Mais tant que je demeurais à l’affût, tout proche et le doigt tendu, les lourds vantaux musclés de la porte restaient soudés et rien n’aurait pu les écarter, pas même la pointe d’un canif. De toute manière, une telle effraction se serait soldée par l’échec définitif de mon entreprise de communication.

Cela dura plusieurs semaines. Je m’évertuais à toutes sortes de ruses, entre autres celle qui consistait à tendre un bout de salade tout près des deux murailles d’écailles. J’agitais fébrilement le bout de salade, l’approchant de la fente qui ne s’entrouvrait même pas d’un dixième de millimètre. En désespoir de cause, je finissais par déposer la feuille de salade devant l’animal puis m’éloignais…

Mon père, avec son ironie habituelle, me disait : « Tu n’as qu’à mettre une pincée de sel en dessous de son trou de bale, peut-être que ça marchera. »

Un jour le miracle s’accomplit : alors que la feuille de salade, auparavant desséchée, venait de parcourir le tube digestif de ma « petite fille caillou », les deux battants musclés de la grande porte s’ écartèrent enfin et la tête parut.

Je tendis mon doigt et, à ma grande surprise, je parvins à le poser tout doucement sur le dessus de la tête. Je réussis même à toucher le cou de l’animal à l’endroit le plus doux et le plus fragile. Alors la tortue se mit à avancer lentement, tendant sa tête et la maintenant dressée, j’accentuai la pression de mon doigt allant même jusqu’à serrer entre le pouce et l’index cette petite tête qui s’abandonnait. J’aurais pu d’un seul coup, l’écraser car en dépit de sa fermeté apparente, je sentais bien entre mes doigts à quel point l’animal était vulnérable. Sa peau épaisse, constituée d’une croûte d’écailles, me faisait penser à la coquille d’un œuf d’oiseau ganté de cuir froid. Les yeux, comme deux étoiles noires, immobiles, semblaient n’avoir aucun regard autre que celui d’une innocence indéfinissable. Je me baissai, approchant le bout de mon nez à un centimètre de la pointe triangulaire de la tête, et je perçus très nettement le petit souffle froid jailli des deux trous : c’était la respiration de l’animal, régulière, délicate, inodore. Cette respiration se faisait parole, presque confidence, elle me disait sa ressemblance avec la mienne, issue elle aussi, de deux trous. Je pris alors conscience qu’une relation s’établissait entre nous : j’étais la « grande bête à deux pattes », soit un humain ; elle était la petite bête à carapace, un reptile selon notre vocabulaire pour identifier ce genre de créature.

Je songeais aux très nombreuses journées durant lesquelles la tortue s’était murée, barricadée à l’intérieur de sa forteresse, alors que je tentais sans succès de nouvelles phases d’approche…Et la forteresse s’était ouverte d’un seul coup !

Si un tel miracle pouvait se produire, me dis-je, entre un reptile et un humain, qui sont des êtres si différents, ne pouvait-il en être de même entre des êtres de la même espèce ? Pour la première fois de ma vie, l’idée me vint que la relation elle-même pouvait s’apparenter à un être vivant. Un être certes, sans réalité physique, mais un être tout de même. Et que la vocation de cet être là était de relier entre eux les êtres physiques, dussent-ils être si différents les uns des autres.

Bien des années plus tard, au fil du temps selon les situations et les évènements, dans cette drôle de traversée, la vie, je me suis aperçu que finalement, entre êtres de la même espèce, les humains en l’occurrence, c’était bien plus compliqué qu’entre êtres d’ espèces différentes. Cela tient peut être de ce que l’humain vis à vis de ses semblables, perçoit la relation non pas comme un être vivant mais comme le vecteur de sa pensée et de ses aspirations, le fil conducteur de son énergie, de son orgueil, de ses projections entre lui-même et tout ce qu’il veut atteindre.



Dés lors, toute phase d’approche, tout apprivoisement n’a qu’un avenir incertain. L’intensité de la relation disparaît dans l’habitude, la lassitude ou toutes sortes de motivations dépendantes de nouveaux besoins.

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mardi, mars 20 2007

Notes/textes divers 2

Ce n’est pas l’amour qui manque sur Terre… Mais c’est « l’ennemour » qui domine par toutes les indifférences et toutes les enluminures. L’amour qui ne manque pas n’est qu’une très belle enluminure aux mille visages séduisants. A peine grattée, l’enluminure met la solitude à nu. Par l’immensité de leur silence et la pesanteur de leur immobilisme, les indifférences participent, avec les habitudes et les automatismes, à l’érosion des sensibilités survivantes. La haine et la violence sont des séismes. L’ennemour est une marée noire planétaire.

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Le comble de l’hypocrisie dans le monde d’aujourd’hui, c’est la marginalité dont certains hommes et femmes se parent pour refaire un monde qui ne sera jamais fondamentalement différent de celui dans lequel on vit.

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Si tu es seul, si tu as mal, si personne ne t’écoute, et si le mur, en face et autour de toi se dresse comme une barricade aussi infranchissable qu’incontournable, il ne te reste alors plus, toute ta vie durant, qu’à taper, taper très fort, et même de plus en plus fort, sans jamais t’arrêter un seul instant. A force de taper, de marteler, une lézarde dans le mur apparaîtra. Et pour finir, la fissure s’élargira, une brèche s’ouvrira dans laquelle tu te précipiteras. Le mur est un obstacle entre deux mondes : celui dans lequel on veut nous faire vivre à tout prix, et celui dans lequel il est interdit d’aller parce que nous y vivrions sans ceux qui barrent notre vie.

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Les uns se turent ou crièrent, les autres moralisèrent ou professèrent. Dans un gigantesque ballet d’extravagances, d’outrecuidances, de conciliabules et de concepts dérisoires, la nuit des courts et longs métrages de la vie bruissait encore de bouillonnements incolores. Quand tomberas-tu du ciel, étoile du jour dont personne ne sait dessiner l’aurore ? Renégat, pisse gras sur les murs ripolinés et pelliculés d’images sacralisées ! Renais gras du jus de tes colères et de tes révoltes ! Caméra au poing, vitupérations imagées à bout de bras, entre dans les créneaux de l’ignominie où sévissent les pare chocs de tous ces diablotins en 4X4, et témoigne de leur mépris souverain, si dérisoire dans la circulation générale…

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La laideur du monde nous écartèle de sa beauté cruelle… Mais de quel monde s’agit-il ? La laideur n’est-elle pas comme une flaque de lait, immaculée, miroitante, criblée de danses de mouches bleues ? N’est–elle pas aussi une odeur de sainteté ventilée aux quatre coins du monde pour des milliers de nez bouchés ? Je ne sais pas. Je ne sais plus… Je sens seulement que la laideur est aussi dérisoire que la beauté ou que la cruauté.

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Il n’y a pas de solitude heureuse… Seulement des solitudes provisoirement confortables.

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Ce que je trouve intéressant dans les gens, c’est le meilleur d’eux-mêmes, ce qu’il y a de vrai et d’émouvant en eux. Tout le reste, ce qu’il y a de moins bon en eux, et même ce qu’il y a de détestable, ne m’intéresse pas parce que cela fait partie du sens commun.

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Définir l’intelligence ou la bêtise est aussi absurde qu’inutile. Je n’ai pas de mots ni de formules pour l’une comme pour l’autre. A quoi bon ? L’intelligence ou la bêtise ne sont que des concepts. Mais dans le sens du monde, ces concepts sont comme des repères géographiques : ils délimitent les espaces à l’intérieur des quels s’établit la relation entre les êtres. Dans un sens qui n’est plus celui du monde mais celui de l’univers et de la diversité, les êtres ne peuvent être définis. Ils existent, évoluent, disparaissent, ainsi que la relation qui s’établit entre eux.

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Tout commence dans la lumière avec l’innocence de nos très jeunes années, les rires clairs et les mots d’enfant qui vont droit au cœur. Tout se répand sur le chemin incertain de la connaissance, et difficile de l’expérience, avec des certitudes qui ne sont que des leurres, l’indifférence, l’hypocrisie et la dureté du monde, le souvenir de ce qui fut et ne sera plus… Tout finit dans la nuit, avec tout ce qui brûle en nous et que personne ne saura jamais ou croira savoir… Ce sont ces régals fous dans les cabrioles les plus inattendues tout au long du chemin, qui nous font oublier qu’on est faits comme des rats. Ce sont ces stations debout, assis ou couché, si pénibles, dans les accidents de la vie, qui nous font accepter qu’on est faits comme des rats. Entre l’oubli et la résignation, où est la place du refus ?

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Les bulles de savon que les enfants soufflent au bout de petites sarbacanes multicolores s’élèvent dispersées ou agglutinées, puis s’évanouissent en silence… Elles ne sont jamais reliées même si elles se touchent ou se croisent. Chacune de ces bulles est un univers clos empli de déchirures et de solitude. Un étrange reflet nous fait imaginer l’intérieur de la bulle, et c’est par ce reflet que l’on identifie la bulle. Les bulles non reliées n’existent pas. Elles ne sont que rêves ou mirages.

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J’ai une si haute idée des mots, qu’en face de leur grandeur, de leur force, de leur beauté et de l’énergie qui les anime, je me sens comme un enfant capricieux, insupportable dans ses emportements, ses contradictions, ses facéties, ses cabrioles et toutes les circonvolutions de son esprit brouillon… Je voudrais que les mots en effet, puissent allumer le feu qui n’a encore jamais existé… N’est-ce point là une ambition démesurée, un pari impossible contre l’adversité, l’indifférence, le sens du monde ?

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Si l’on parvient à survivre séparé de tous ceux que nous aimons, l’on survit d’autant mieux encore, éloigné de tous ceux qui ne nous aiment pas. La vie est une drôle d’expérience dans laquelle on survit à l’indifférence : celle que nous avons pour les autres, et celle que les autres manifestent à notre égard. Mais survivre n’est pas vivre…

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Se sentir exister, n’être que dans sa propre peau, ne voir que de son seul regard, c’est être enfermé, séparé de l’autre. Toutes ces solitudes qui ne sont pas les nôtres, toutes les maladies des gens, leurs peines, leurs joies, leurs aspirations, leurs cris, leur désespoir, tout cela, nous ne pouvons que les imaginer, ou tout au mieux, essayer de les écouter de toute notre âme, de tout notre cœur… Jamais nous ne les éprouvons en nous-mêmes, tels que les autres les ressentent. Se sentir exister, c’est être prisonnier à vie dans une bulle… Une bulle transparente comme le verre, l’eau ou l’air, dont la membrane est sans épaisseur mais aussi infranchissable qu’un rideau métallique… A travers la bulle nous voyons, nous percevons, nous pouvons même toucher ce qui est dans les autres bulles. La seule issue vers laquelle nous essayons de nous projeter n’est que l’idée d’une porte ouverte. Dans un sursaut illusoire, nous nous jetons sur cette porte. Lorsque la bulle éclate ou se déchire enfin, l’on ne se sent plus exister puisque l’on n’existe alors plus. Il ne reste sur le talus ou dans les broussailles, que les épluchures des mots. Les mots qui, avant de s’effacer, exhalent le temps de la respiration de celui qui s’en approche, l’haleine de tout ce que ces mots ont voulu dire… Avant que la bulle n’éclate, tout ce qui de l’intérieur d’elle-même fusait, n’a jamais pu traverser la membrane. Cette vie au-dedans de soi qui bout et se gonfle n’est qu’une implosion dont les fragments éparpillés tournent autour de la bulle comme une ceinture d’étoiles prisonnières.

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Tout ce qui nous semble fort, ancré comme les racines dans la terre, voire imputrescible, est en réalité d’une fragilité déconcertante. Tout ce qui est acquis est à reconquérir. Toute certitude heureuse n’est qu’une tête de pont édifiée sur une côte battue par les vents. Il n’y a pas de miracle : le meilleur de soi-même ne suffit pas toujours, non seulement parce que le combat est inégal mais aussi parce que les forces qui animent ce combat s’appuient sur des situations absurdes et inextricables. Il n’y a pas de miracle mais seulement une espérance magnifique, déraisonnable même… Et c’est par cette espérance là et tout ce qui la soutient, que la tête de pont parvient à tenir. Tout ce qui passe dans notre vie comme une lueur d’une très grande beauté, même fugitive… Un visage, un sourire, un regard par exemple, sera toujours la plus heureuse de toutes les certitudes : cette certitude là est imputrescible.

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La vie n’est pas un conte de fées… Même si l’on aimerait bien parfois, qu’elle en soit un… On a bien le droit de rêver un peu, non ? La loi du monde, la loi commune, c’est la dureté du rapport de communication entre les êtres. Une dureté quotidienne, renouvelée, sans concession ni mansuétude. Une dureté implacable, dans tous les domaines relationnels : la famille, les voisins, les collègues de travail, etc.… On ne pardonne pas, on ne supporte rien, les paroles claquent comme des coups de fouet. Les allusions, les moqueries, n’en finissent plus de se renouveler. En ce sens, il faut reconnaître que l’intelligence du commun des mortels est souveraine… Et que l’inspiration ne fait jamais défaut. Mais c’est la loi du monde… La dureté du rapport de communication n’est pas seulement dans la violence ou la sécheresse des propos, elle est aussi dans les comportements, l’indifférence ou cette si habituelle complaisance à l’étalement de sa personnalité qui efface l’existence des autres. Tout ce qui échappe à ce rapport de force en lequel dominent la pesanteur des apparences, des modes et des références, la verticalité et l’horizontalité du « moi », la complexité et la diversité des intérêts en jeu, la prépondérance des courants de sensibilité et des influences, marginalise la relation et la rend alors tout à fait exceptionnelle : le rapport de communication change d’ espace, la dureté disparaît, les attentes et les égoïsmes se diluent dans la conscience de l’existence de l’ autre.

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Je fais parfois le choix de ne pas répondre à la dureté du monde par ma propre dureté… Je rejoins en ce sens la pensée du Christ autour de l’idée selon laquelle il faut aimer son prochain et même ses ennemis. En effet, aimer ses amis, aimer les gens qui nous font du bien, cela, tout le monde peut le faire. C’est dans le sens commun, le sens du monde. Mais aimer les gens lorsqu’ils ne nous plaisent pas à priori, aimer des personnes qui ne manifestent à notre égard que mépris ou indifférence, qui nous font du mal, aimer ceux ou celles qu’en toute logique, on ne peut que combattre, cela, personne ne le peut. Je crois que ne pas répondre à la dureté du monde par la dureté que l’on a forcément en soi, c’est la seule voie possible vers l’existence d’un espace relationnel vraiment différent de celui en lequel on communique aujourd’hui. Mais il ne faut pas se voiler la face… C’est extrêmement difficile, sinon impossible, dans la réalité des situations vécues, des humiliations subies, quand les violences verbales ou physiques s’expriment aussi communément. Nous devons également gérer nos propres contradictions. S’il y a bien une première porte à ouvrir, c’est celle de la reconnaissance. …..

Mon « bateau pirate » arbore du haut de son grand mât, non pas le fanion à tête de mort, mais une chevelure scintillante de regards émerveillés. Ces regards là sont des regards pirate parce qu’ils entrent par effraction dans l’intimité de tous ces visages tombés du ciel comme les étoiles. Mon effraction est l’étreinte que ces visages attendent de moi… S’ils l’attendent.

Avec certains êtres, une communication s’établit tout de suite : ces êtres là ne sont pas forcément ceux avec les quels nous aimons communiquer. D’autres semblent murés dans le silence, mais ils nous attirent. Et l’on ne sait alors par quel bout s’y prendre car le silence de ces êtres n’est pas une porte ouverte ou fermée par laquelle on peut passer. Leur silence est un langage qu’il faudrait apprendre à traduire… Et il n’y a pas vraiment de bonnes traductions. Lorsque l’enjeu semble d’importance, par la relation qui s’engage, un tel silence est toujours comme un pays inconnu en lequel on n’ose entrer. La charge émotive est très forte parce que du premier pas ou du premier mot dépend ce qui va être gagné ou perdu.

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Les visages sont parfois comme des murs ripolinés qui ont des yeux. Mais ces yeux s’ouvrent sur des jardins clôturés en lesquels tu n’es jamais convié. Les visages peuvent être des fenêtres ouvertes sur de très beaux paysages… Sans que l’on puisse situer la ligne d’horizon, sans que les liens entre les êtres qui habitent ce paysage puissent s’établir. La ligne de l’horizon n’est pas une limite pour un monde connu : elle est une porte ouverte. Si l’on ne la situe pas, toutes les brumes qui entourent le paysage sont des frontières hermétiques. Les liens entre les êtres habitent davantage le paysage que les êtres qui peuplent ce paysage.

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Notes et textes divers 1

Pour entrer dans la modernité, et vivre dans la modernité, nous devons retrouver nos racines. Tant que nous demeurerons coupés de nos racines, toute idée de modernité ne sera que supercherie.

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Il fut un temps où l’on savait inventer le beau et le vrai avec des choses très simples. L’on y mettait de l’atmosphère et tout ce que l’on avait dans ses tripes. A notre époque l’on parle du beau et du vrai avec des mots très compliqués et l’on emploie des formules que les gens ne comprennent pas. Mais on ne sait plus inventer le beau et le vrai.

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Aimer « parce que… » est une parodie de l’ amour. Nous ne savons pas aimer puisque nous n’aimons que pour toutes sortes de raisons.

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Un regard lucide est un regard aussi heureux que tragique. Les enfants ont ce regard là, mais ils ne le savent pas puisqu’ils le vivent en eux.

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Nous sommes tous chacun de nous, des êtres exceptionnels. Mais nous sommes tous également, des êtres ordinaires. Il y a parfois dans cette contradiction une beauté particulièrement émouvante.

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L’orgueil est comme une forteresse que l’on peut assiéger. Mais l’absence d’humilité est un désert dans lequel on ne cesse de tourner en rond. L’absence d’humilité est peut être pire que l’orgueil : Nous ne sommes pas forcément fiers mais nous ne sommes jamais humbles… à l’exception des plus petits d’entre nous, ceux qui ne marchent pas encore…. à l’exception des plus âgés d’entre nous, ceux qui vont bientôt nous quitter. …..

Un cœur grand comme un cosmos est une petite fleur égarée sur un gigantesque tumulus : les pierres mêlées à l’argile et au sable, pétries par l’Histoire, usées par la géographie, n’ont que le cœur du monde, indifférent à la corolle de la petite fleur s’ouvrant dans l’immensité du ciel.

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Notre présent est une tragédie antique… Il n’y a rien de nouveau sur la planète d’Internet et des téléphones portables. Demain, aussi différent soit-il d’aujourd’hui, ressemblera à une tragédie antique.

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La reconnaissance de l’Autre est assurément le plus difficile des apprentissages. Mais c'est aussi le plus nécessaire.

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Ce dont je suis le plus fier au monde, c’est de ma famille… A dire vrai, ma famille est mon unique sujet de fierté. Tout le reste n’est que ronds dans l’eau. Et lorsque je me vois dans une glace, mes plus beaux rêves deviennent aussi fragiles qu’inconsistants. Alors je comprends l’indifférence contre laquelle tous ces rêves se battent. C’est ma famille qui me sort de l’inconsistance de tous ces rêves, me sauve de cette indifférence et de cette dureté du monde que je reconnais cependant… Ma famille dont je suis si fier.

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Lorsque tu es tout seul au restaurant devant ton verre, ton assiette et ta carafe de vin, voici ce que tu peux écrire sur la nappe de papier : « Comment exprimer en quelques mots, le fond de ses tripes ou le bleu de son âme sur ce rectangle immaculé de papier, et si c’était possible, en une de ces formules digne des plus grands penseurs de la Terre, à quoi cela servirait-il ? »

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