On peut avoir du talent et être un parfait salaud. Quelques écrivains, musiciens, intellectuels, artistes, philosophes, professeurs ou éducateurs ont un talent fou mais sont de parfaits salauds... Ils peuvent être des personnages médiatiques, du moins dans la « sphère » en laquelle ils évoluent et dont ils constituent bien évidemment les éléments essentiels du noyau central.

Oui, l’on peut avoir beaucoup de talent et être « imbuvable », c’est à dire exécrable, afficher son mépris, son outrecuidance, son agressivité, sa « vision du monde » à la figure des gens, éjaculer des vérités acides, argumenter, pérorer, pourfendre, se comporter dans la vie ordinaire envers les membres de sa famille puis les autres personnes en général, comme un cochon ou un prédateur.

Il paraît que le talent chez les Civilisés excuse tout, même l’ignominie…

Que reste t-il du talent dans l’Histoire écrite ou enregistrée, reconnue et officielle, enseignée et médiatisée, sinon l’illusoire enluminure, d’une souveraine beauté certes, mais qui s’est complu dans une exaltation de soi et qui pour finir, l’Histoire se perdant entre les ères glaciaires et les évolutions géologiques, se fond dans l’encre du cosmos ? Et n’aura sans doute jamais aucune signification pour des êtres qui, ailleurs, vivent sous d’autres cieux ?

Que reste t-il du talent lorsqu’il cesse d’être crédible pour des milliers de gens qui ne vivent pas la même vie quotidienne que ces « monstres sacrés » du Show Biz ou de l’actualité ? Le talent de ces gens là n’est-il pas une lumière morte pour ceux et celles qui se débattent dans la réalité quotidienne ?

Que reste t-il du talent lorsque, par un retournement de la mode, par l’émergence de nouveaux repères et de courants d’idées, il cesse d’être reconnu ?

Que reste t-il du talent lorsqu’il n’est qu’une bonne facture ?

Imaginons un petit scénario catastrophe… Tu te trouves, toi, l’intellectuel, le cinéaste ou l’artiste de génie, acculé au fond d’un ravin en face d’une araignée géante carnivore… Pourquoi pas, avec toutes ces manipulations génétiques ! A quoi va te servir ton talent ? Tu ne peux même pas déguerpir. Tu vas te faire dévorer, oui ! Et le salaud, en l’occurrence, ne sera pas l’araignée géante…

N’est pas encore né, celui ou celle qui apprivoiserait l’araignée… D’ ailleurs, cette idée d’apprivoisement, n’est-elle pas un leurre ?

La beauté est parfois émouvante et cruelle. Mais l’idée de la beauté, c’est nous, êtres que nous sommes, qui l’avons conçue. La beauté existe t-elle ? Et qu’est ce que le talent, au fond ? Sinon un concept humain ? Que dire alors, de l’architecture d’une toile d’araignée, de l’édification et de la gestion d’une fourmilière, du langage des dauphins, du plan de vol d’une oie sauvage ?

Quand on a du talent, à mon avis, l’on ne devrait pas être un salaud. Avoir du talent c’est une chance. Mais c’est aussi un lourd fardeau à porter sur ses épaules. Si tu as du talent, tu es responsable. Tu dois être une lumière vive pour ton entourage, une lumière qui n’existe pas seulement pour prouver qu’elle existe, mais pour faire exister la lumière des autres.

Un prédateur par exemple, exerce son talent en aspirant l’énergie des autres créatures. L’œuvre d’un révolté, même d’une très grande beauté, ne transpire que de toutes les nuisances émises par le sens du monde mais exalte rarement ce qui émerveille, relie ou réconcilie les hommes. L'on peut être un écorché vif, mais il ne faut pas que l’expression de ses propres écorchures écorche les autres.

La poésie ou la littérature d’un exécrable coquin, si reconnue, si académique, si avant-gardiste soit-elle, se nourrit de toutes les pourritures de l’esprit revêtues et complices de la barbarie.

Le prédateur, le révolté, le génial coquin, l’écorché qui écorche, peuvent avoir du talent… Mais ils ne sont jamais crédibles, même si on les admire et les flatte.

Imaginez un excellent professeur de philosophie, jouissant d’une majestueuse « aura », qui culbuterait les filles de sa classe… Même en y mettant une sacrée classe ! Et qui de surcroît, sur la route des vacances, abandonnerait son chien, jetterait ses reliefs de pique nique sur le bord de la route ?

Oui, c’est vrai… On l’a assez dit : la beauté ou l’émotion souveraine, cela n’a rien à voir avec la morale…

Mais, entre nous, a-t-on besoin de morale ou de s’aimer ?

…..